Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Proche-Orient

La vallée du Jourdain, no man’s land palestinien

Le nouvel ordre militaire israélien limitant l'accès des Palestiniens à la vallée du Jourdain bouleverse le système économique de la région.(Photo : AFP)
Le nouvel ordre militaire israélien limitant l'accès des Palestiniens à la vallée du Jourdain bouleverse le système économique de la région.
(Photo : AFP)
Un nouvel ordre militaire israélien interdit aux habitants du cœur de la Cisjordanie de pénétrer dans cette zone très fertile où sont implantées de nombreuses colonies. Une mesure discriminatoire qualifiée d’ « annexion » par une organisation de défense des droits de l’Homme.

De notre envoyé spécial a Bardala

La vallée du Jourdain est désormais hors d’atteinte pour la quasi totalité des Palestiniens de Cisjordanie. A l’exception de 50 000 d’entre eux, dont la carte d’identité mentionne qu’ils habitent dans l’un des villages de cette région, tous les autres, c'est-à-dire plus de deux millions de personnes, ne peuvent plus y pénétrer librement. Les champs, les sources d’eau et les routes de cette zone très fertile, qui couvre un tiers de la Cisjordanie, sont désormais peu ou prou réservés aux colons et aux soldats israéliens. Cette « annexion » de facto est le produit d’un ordre militaire édicté au mois de mai 2005 « sans que le gouvernement ait débattu du sujet et que le public ait été informé », précise l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme B’Tselem.

En vertu de cette décision, les Palestiniens qui s’aventurent dans la vallée du Jourdain sans la carte d’identité ou le permis adéquat, peuvent être arrêtés par l’armée et reconduits au-delà du cordon de check points qui en verrouillent l’accès. A intervalles réguliers, les soldats israéliens effectuent des descentes dans les villages disséminés le long de la route 90, l’axe principal de cette région, pour y débusquer les « illégaux ». Il y a deux semaines, Abed, un paysan de 32 ans engagé dans une exploitation d’Ein Beda, un hameau du nord de la vallée, mais originaire de Tubas, une ville plus a l’ouest, dans le cœur montagneux de la Cisjordanie, a été réveillé en pleine nuit par des coups sourds contre sa porte et des cris en mauvais arabe. « C’était les soldats, raconte-t-il. Ils ont regardé ma carte d’identité puis ils m’ont fait monter dans leur jeep et ils m’ont abandonné peu après derrière le barrage de Tayassir. J’ai du crapahuter dans les collines pendant plusieurs heures pour le contourner et pouvoir revenir chez moi ».

Ce nouvel ordre militaire bouleverse le système économique de la vallée du Jourdain. « C’est une mesure catastrophique, dit Fathi Khedarat, coordinateur d’une ONG de soutien aux paysans, car dans cette région, la terre appartient le plus souvent à des gens qui habitent Naplouse ou Tubas. Pour obtenir un changement d’adresse, il faut passer par le bureau de liaison israélien, ce qui est cher, compliqué et hasardeux. Du coup de nombreux fermiers n’ont plus les moyens d’atteindre leurs champs et de les cultiver. Moi-même, j’habitais Bardala, dans le nord de la vallée. Mais comme ma femme est de Jénine, sa présence à Bardala est devenue illégale et nous avons du déménager à Tubas ».

Des heures d’attente aux checks points

En octobre dernier, l’étau de l’armée sur les fermiers palestiniens s’est encore un peu plus resserré. L’exportation de leurs productions vers Israël, via le terminal de Bet Shean, au nord de la vallée, est devenue interdite. A défaut, les cargaisons de légumes et de fruits doivent faire un long détour par l’ouest, ponctué de deux check points. « Les soldats postés à ces barrages appartiennent à l’unité religieuse Nahal, dit Fathi Khedarat, ce sont les pires de toute la Cisjordanie. Pour peu qu’il n’y ait pas d’équipe de la Croix-Rouge en vue, on peut attendre des heures pour passer. Alors qu’en huit heures, les produits des colons sont sur les marchés de Londres, les nôtres doivent parfois attendre trois jours pour atteindre Tubas ».

Le gouvernement israélien affirme que ces règlements n’ont pas de portée politique. « Il s’agit d’une question de sécurité », affirme Rana’an Gissin, un porte-parole du Premier ministre. Les Palestiniens en doutent fortement. Depuis le début de l’occupation en 1967, la vallée du Jourdain a toujours été considérée par les dirigeants israéliens comme un atout stratégique. La décision d’y implanter tout un réseau de colonies répondait à la volonté d’en faire de facto la frontière orientale du pays. Durant le processus de paix, Israël n’a d’ailleurs consenti à céder à l’Autorité palestinienne que 45 km² sur les 2 400 qui forment la vallée.

Initialement Israël prévoyait de prolonger son mur de séparation dans cette zone pour la séparer du reste de la Cisjordanie. Ces plans, selon B’Tselem, ont été abandonnés à la suite de la polémique suscité par cet ouvrage et sa condamnation par la Cour Internationale de Justice en juin 2004. « Il apparaît désormais qu’Israël veut réaliser par d’autres moyens ce qu’il n’a pas réussi à faire grâce à la barrière », estime B’tselem. Confisquer la terre en s’efforçant d’en faire partir ses habitants. Un projet que ne désavouerait pas Rehavam Ze’evi, une figure de l’extrême-droite israélienne, célèbre pour ses appels à l’expulsion des Palestiniens vers la Jordanie. Après son assassinat en 2001 par un commando du FPLP, son surnom, Gandhi, a été donné à la route 90 qui traverse la vallée du Jourdain.


par Benjamin  Barthe

Article publié le 01/03/2006 Dernière mise à jour le 01/03/2006 à 12:11 TU