Liberia
Ellen Johnson Sirleaf: «Restaurer l’image et la crédibilité du Liberia»
(Photo: Monique Mas/RFI)
Depuis la fin de la guerre et son élection à la magistrature suprême en novembre 2005, «chaque jour, c’est la fête des femmes» au Liberia, sourit la présidente Sirleaf, invitée d'honneur à Paris, du 7 au 10 mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Ellen Johnson Sirleaf ne saurait bouder les hommages convenus réservés à la première femme président du continent africain. Mais «l’état de grâce ne durera pas», dit-elle, se fixant mission de prouver au monde que les Libériens sont capables de saisir «l’occasion sans précédent d’avancer dans la bonne direction», celle de la reconstruction et du développement. «Je n’ai pas de baguette magique», convient la présidente Sirleaf. Mais il faut «engager des réformes structurelles», avec obligation de résultats pour redonner confiance aux investisseurs. Sur cette longue route, le retour diplomatique de Paris à Monrovia est un tout petit pas, admet-elle, réaliste.
Entrevue avec son homologue Jacques Chirac, dîner offert en son honneur par le chef de la diplomatie française Philippe Douste-Blazy, déjeuner d'affaires à l’invitation des patrons du Medef (Mouvement des entreprises de France), l’économiste Ellen Sirleaf se félicite de la volonté affichée par Paris «relancer une coopération bilatérale étroite» avec le Liberia. Mais elle sait qu’il faudra du temps avant que les investisseurs risquent leur capital dans son pays. Pour sa première visite officielle en France, Ellen Sirleaf se suffit d’afficher le nouveau visage du Liberia, après celui du président déchu Charles Taylor, invité à Paris en 1998 et venu dans le convoi africain de l’épisode ivoirien des accords de Kléber en janvier 2003.
«Heureux que le Liberia ait un chef d'Etat démocratiquement élu qui soit une femme», Jacques Chirac a annoncé mercredi à la présidente du Liberia qu’une «représentation diplomatique officielle serait établie d'ici la fin de l'année» dans son pays. En effet, depuis le sac de l’ambassade de France à Monrovia au début de la guerre civile en 1990, et sa fermeture en 1996, seuls un attaché humanitaire et un attaché consulaire avaient été maintenus dans la capitale libérienne.
Lever les embargos sur le bois et les diamants
Avant Paris, Ellen Johnson Sirleaf était à Bruxelles, où elle a plaidé auprès du président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, en faveur d’une levée rapide des embargos internationaux qui frappent les exportations libériennes de diamants (depuis mai 2001) et de bois (depuis mai 2003). Il s’agissait alors de fermer le robinet des matières premières, monnaies d’échange dans les trafics d’armes qui ont alimenté la guerre. Mais en décembre 2005, malgré la bonne tenue de l’élection présidentielle, le Conseil de sécurité a prorogé ces sanctions, estimant que la fragilité du Liberia constituait toujours «une menace pour la paix internationale et la sécurité» régionale en Afrique de l'Ouest.
En mars 2005, l’exploitation du «bois du sang» avait pourtant enregistré un très sérieux revers avec l’arrestation d’un marchand d’armes néerlandais proche de Taylor, Guus Kouwenhoven, patron des deux principales compagnies forestières du Liberia (42% de l’espace forestier exploitable), l’Oriental Timber Company (OTC) et la Royal Timber Corporation (RTC), mais aussi membre influent de l’administration forestière du Liberia. De son côté, le 7 février dernier, Ellen Sirleaf a décrété l’annulation de tous les contrats de concessions forestières. Concernant les «diamants de la guerre», la nouvelle présidente a entrepris de lancer un programme conforme au processus de Kimberley. Reste dans ces deux secteurs à mettre sur pied des procédures et des organes de surveillance qui répondent aux exigences internationales.
«Nous avons demandé que l'influence française dans le domaine multilatéral aide à la levée des sanctions», indique la présidente Sirleaf. Le ménage est commencé, mais tout reste à faire et la présidente s’attend à une nouvelle temporisation du Conseil de sécurité en juin prochain. Mais les revenus du bois, la principale ressource du pays, lui font cruellement défaut. Dans le passé, bon an mal an, le bois représentait 50% des exportations. Selon l’Organisation internationale du bois tropical (ITTO), sous Taylor, les exportations de bois ont représenté une valeur annuelle de quelque 100 millions de dollars, dont 20 millions de revenus officiels pour le gouvernement. Et, depuis 1991, les principaux clients en étaient la Chine et la France qui ont traîné les pieds au Conseil de sécurité au moment de décider l’embargo.
Selon les écologistes de Greenpeace, entre 1999 et 2001, «des grumes d’une valeur de 48 millions d’euros ont quitté les ports de Buchanan, Monrovia et Sinoé à destination de cinq pays européens», parmi lesquels la France, «pour 29 millions d’euros». Reste la partie immergée de l’iceberg forestier, exporté en contrebande. L’ITTO rappelle que depuis quarante ans, nul n’a dressé d’inventaire des forêts libériennes riches d’au moins 240 essences. Selon les experts de l’ITTO, «il y a tant à faire qu’il est encore impossible d’élaborer un plan d’action». C’est pourtant ce que tente de faire Ellen Sirleaf, comptant peut-être sur un coup de pouce providentiel des clients du bois libériens au Conseil de sécurité.
Alléger la dette extérieure
Tout en se déclarant décidée à faire ses preuves de gestionnaire sous l’œil vigilant des représentants internationaux du Gemap, l’instance chargée de veiller à la bonne gouvernance politique et économique, «une simple assistance technique» selon elle, Ellen Sirleaf se garde bien de promettre travail et électricité aux 85% de chômeurs du Liberia, parmi lesquels 50 000 anciens combattants, 15 000 anciens enfants soldats et plus ou moins 400 000 déplacés rentrés les mains vides dans leurs villages où ils devront au moins attendre une saison avant les prochaines semailles et les futures récoltes. Pendant sa campagne électorale, dit-elle, c’est seulement dans la capitale, Monrovia, qu’elle s’est engagée de ramener l’eau et la lumière.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), «l'économie libérienne poursuit son léger redressement, soutenu essentiellement par un apport de devises en provenance de donateurs ainsi que grâce à une amélioration graduelle de la sécurité dans les zones rurales». Mais en 2004, le Produit national brut par habitant ne dépassait pas les 110 dollars par an et, en 2003, la dette extérieure, qui s’est accumulée au cours des vingt dernières années, représentait quelque 2,6 milliards de dollars. Dans ce domaine aussi, Ellen Sirleaf compte sur l’influence française, au sein de l’Union européenne notamment.
Soucieuse du désœuvrement de la jeunesse libérienne, Ellen Sirleaf avait suggéré à Paris une aide à l'éducation et à la reconstruction des infrastructures économiques. Le président Chirac propose plutôt un appui dans la formation d'infirmières et la lutte contre le Sida. Avec le ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy qu’elle a invité dans son pays, la présidente du Liberia a évoqué «une coopération entre les deux pays pour aider à la formation de la nouvelle police libérienne», mission actuellement confiée à la Mission des Nations unies au Libéria (Minul).
Juger Taylor sans risques pour le Liberia
Avant sa tournée européenne, Ellen Sirleaf s’était entretenue avec son pair nigérian, Olusegun Obasanjo, du sort à réserver à Charles Taylor, inculpé de crimes de guerre par le tribunal spécial de Sierra Leone. Jusqu’à l’élection d’Ellen Sirleaf, le président nigérian avait expliqué ses réticences à livrer son hôte de Calabar à la justice internationale par sa volonté de le remettre aux futures autorités élues du Liberia. Depuis l’avènement au pouvoir d’Ellen Sirleaf, les deux chefs d’Etat ont convenu de transmettre la «patate chaude» à l’Union africaine (UA). «Charles Taylor a des partisans au Liberia. Il a aussi des relais économiques» et une véritable capacité de nuisance, répond Ellen Sirleaf pressée de questions à Paris sur ce sujet.
«Oui, Charles Taylor fera face à la justice», assure Ellen Sirleaf. «Mais il existe plusieurs options qui méritent d’être discutées», ajoute-t-elle, sibylline. La présidente du Liberia ne veut pas prendre le risque de «déstabiliser le pays» en ramenant Taylor à Monrovia. Son urgence, c’est d’abord de consolider la paix en instaurant une «équité politique, ethnique et confessionnelle» et «en répondant aux besoins urgents de la population pour que personne ne songe à reprendre les armes» au Liberia ou à sauter une frontière, comme soldat de fortune, en Côte d’Ivoire ou ailleurs.
par Monique Mas
Article publié le 09/03/2006 Dernière mise à jour le 09/03/2006 à 18:39 TU