Liberia
Dosage gouvernemental
(Photo : AFP)
Au lendemain de sa prestation de serment, Ellen Sirleaf a annoncé une première vague d’une dizaine de nominations, les plus faciles ou les plus évidentes. Elle a porté son choix sur des technocrates et procédé aux premiers renvois d’ascenseur politique, le temps sans doute de s’entourer des précautions requises par la tutelle internationale, qui doit gérer le Plan de soutien à la gouvernance et à la gérance économique (Gemap) du Liberia, le temps aussi de composer un échiquier gouvernemental viable. A ses yeux, ce dernier doit «refléter la représentation des partis [une trentaine dont une demi-douzaine pour les principaux partis d’opposition], des comtés [15 au total], des confessions [animistes et chrétiens seraient 40% chacun, les musulmans 20%] et des communautés ethniques [les créoles étant estimés à 2,5% de la population]. Toutefois, précise Ellen Sirleaf, «nous n’avons pas promis que chaque parti politique obtiendrait des portefeuilles ministériels mais il s’agira d’un gouvernement inclusif dans lequel tous les partis devront être représentés».
Outre le filtrage politique destiné à garantir un minimum de loyauté à son égard, Ellen Sirleaf exige des impétrants qu’ils franchissent le triple obstacle de «critères de compétence, d’intégrité et de droits de l’homme». Il s’agit en effet d’écarter politiciens improvisés, potentats aux mains trop sales et seigneurs de guerre passibles de poursuites pour crimes de guerre, ce qui n’est guère aisé après tant d’années de guerre, de corruption et d’alliances à retournement. C’est donc à des personnalités bénéficiant, comme elle-même, d’une expérience et d’une caution internationale qu’Ellen Sirleaf a confié les premiers portefeuilles.
Une ancienne collègue à la Banque mondiale (BM), Antoinette Sayeh, sera la ministre des Finances d’Ellen Sirleaf. Antoinette Sayeh a servi la BM au Bénin, au Niger et au Togo, mais aussi le Fonds monétaire international en Asie. Plus stratégique, le ministère de la Défense échoit à Brownie Samukai, un ancien chef de la police sous le gouvernement intérimaire d'Amos Sawyer (1990-1994). Pendant son exil, sous Charles Taylor, les Nations unies avaient recruté Brownie Samukai, sur sa bonne réputation, pour des missions au Timor et en Tanzanie. Quant au très convoité ministère des Mines, il revient à un autres ancien fonctionnaire international de la Banque africaine de développement (BAD), Eugene Shannon, spécialisé dans les questions d’environnement et qui devra faire ses preuves dans la gestion des exploitations de diamant.
Expertise et reconnaissance
Ellen Sirleaf, qui ambitionne de promouvoir la parité entre les sexes, a confié le nouveau ministère du Genre et du Développement à une militante du mouvement de défense des droits de la femme, Varban Gayflor. Mais elle ne pouvait pas non plus manquer de récompenser les fidèles de son Parti de l’unité (UP). Son ancien directeur de campagne, l’ancien journaliste Morris Dukuly, va rester aux Affaires présidentielles, comme ministre d’Etat. Son rival repenti, Willie Knuckles, arrive aux Travaux publics. Il avait renoncé à briguer le soutien du parti contre elle. Un militant dévoué aux droits de l’Homme, Samuel Kofi Woods relève le défi du ministère du Travail et un médecin hospitalier du comté de Bong, le docteur Walter Gwenigale devient ministre de la Santé.
Le premier représentant de l’opposition nommé au gouvernement le 18 janvier, Joseph Korto, était pour sa part le candidat à la magistrature suprême du Parti action du Liberia (LAP). Mais au deuxième tour, il a opportunément apporté à Ellen Sirleaf sa grande notoriété dans le comté de Nimba, la deuxième circonscription électorale du pays. Pour cet appoint providentiel, il reçoit le ministère de l’Education. Le Parti national démocratique du Libéria (NDPL) de Winston Tubman, l’un des fils du premier président créole du Libéria, reçoit le ministère des Postes et des Télécommunications, octroyé à Jackson E.Doe, un ancien du LURD.
Autre revenant sur la scène gouvernementale, Johnny McClain retrouve le ministère de l’Information qu’il a déjà occupé les mois précédant le coup d’Etat d’avril 1980 qui avait renversé le régime créole de William Tolbert. Parfaitement bilingue (anglais-français), très expérimenté en matière de commerce international, il a pu, entre-temps, mettre en œuvre ses talents dans le domaine des communications (en radio en particulier), comme représentant permanent de l’Unesco au Cameroun et en Namibie. Pour Ellen Sirleaf, il présente en outre l’avantage majeur d’un solide ancrage dans le comté de Grand Bassa.
L’épineux dosage administratif
Plusieurs postes d’adjoints ont également été distribués. Celui de chargé de l’Administration au ministère des Affaires étrangères, par exemple, confié au président du Parti du peuple uni (UPP), le Dr Marcus Dahn, ou même celui de ministre adjoint à la Jeunesse, offert à un ancien joueur du Lone Star, Jonathan Sogbie. Reste à savoir si l’ancienne star de foot, George Weah obtiendra le ministère en titre chargé de la Jeunesse et des Sports, ou même un portefeuille plus prestigieux. Il a fait un score de 40,4% face à Ellen Sirleaf qui indique qu’elle doit en effet trouver de quoi satisfaire le Congrès pour le changement démocratique (CDC) de son malheureux concurrent.
Justice, Commerce ou ministère de l’Intérieur n’ont toujours pas de titulaire. Visiblement, la formation du premier gouvernement d’après-guerre donne du fil à retordre à la présidente. Et avant même d’engager l’action de reconstruction du pays, c’est toute l’administration qui reste à remettre sur pied. Là-aussi, les choix sont à la hauteur des défis. Mardi, Ellen Sirleaf a confié la charge de l’une des places-fortes de la corruption nationale, le Bureau des affaires maritimes (BMA), à l’un de ses anciens concurrents, John Morlu, un technocrate candidat à la magistrature suprême sous le pavillon de l’Alliance démocratique unie (UDA). Au deuxième tour, le nouveau commissaire du BMA, John Morlu, avait lui-aussi mis ses suffrages (1,2% des voix) dans la corbeille d’Ellen Sirleaf.
Toute à son épineux dosage administratif, Ellen Sirleaf juge «secondaire» la question de l’extradition de Charles Taylor que le président nigérian, Olusegun Obasanjo, a refusé de livrer à la justice internationale, en promettant en revanche de répondre à toute demande du nouveau président élu du Liberia. «Je suis tout simplement fatiguée de tout ça. Nous ne voulons pas que le problème de Charles Taylor soit un problème qui nous accapare ou un problème qui nous empêche de faire ce que nous devons faire pour les Libériens», déclare Ellen Sirleaf Il est vrai que l’ombre du président déchu pèse encore sur l’échiquier libérien où l’instabilité des alliances n’a d’égal que la volatilité du pouvoir.
par Monique Mas
Article publié le 01/02/2006 Dernière mise à jour le 01/02/2006 à 12:11 TU