Liberia
Des élections hantées par le passé
(Photo: AFP)
Les spectres du passé vont hanter les urnes placées sous la haute surveillance de la Mission des Nations unies au Liberia (Minul), qui a déployé quelque 15 000 casques bleus et un millier de policiers en septembre 2003, après le départ de Charles Taylor en exil au Nigéria, quelques semaines plus tôt. Depuis lors, la justice internationale réclame Taylor à Freetown, en Sierra-Leone, pour qu’il réponde, devant un tribunal spécial, des exactions atroces commises par ses affidés du Front révolutionnaire uni (RUF). Mais, jusqu’à présent, le président nigérian Olusegun Obasanjo refuse de l’extrader, en vertu d’un accord d’asile politique dont les conditions n’ont jamais été publiquement explicitées.
Il est vrai que le «criminel de guerre» Charles Taylor ne manque ni d’entregent, ni sans doute d’informations compromettantes sur les petits accommodements régionaux qui ont gonflé la circulation des armes dans l’Ouest africain. En outre, pour cause de réconciliation nationale, mais surtout de faillite judiciaire et sécuritaire dans son pays, Taylor n’a encore jamais été cité à comparaître dans son pays. Son Parti national patriotique reste d’ailleurs durablement implanté au Libéria. Tentaculaire, il est l’héritier richement doté du Front patriotique (NPFL), la machine de guerre efficace avec laquelle Taylor avait lancé la guerre civile en décembre 1989. Aujourd’hui, le NPP est l’un des partis en lice les mieux pourvu pour battre campagne présidentielle.
Taylor tire les ficelles derrière Massaquoi
Toutes sortes de rapports internationaux voient la main de Taylor tirer les ficelles, derrière le candidat Roland Massaquoi. Mais au Libéria, Taylor n’est pas vu comme un épouvantail par tous les électeurs. La guerre des factions a creusé les sillons de rivalités croisées. La transition peu probante qui a suivi ne les a pas comblés. L’avenir des quelque 100 000 anciens combattants désarmés reste incertain. La norme générale, c’est la misère qui échoit en partage aux quelque 3 millions de Libériens restés au pays. Les organisations des droits de l’homme, comme Human Rights Watch (HRW), demandent que le futur gouvernement légitime s’engage à tout faire pour que Taylor soit livré à la justice. Tout dépendra, bien sûr, de l’obédience des futurs élus, mais pas seulement car rien n’est réglé au Libéria.
Un Massaquoi, par exemple, aurait sans doute de bons motifs d’aider son «ancien» patron – père nourricier, mais aussi concurrent – à rester dans les oubliettes de l’Histoire. Pour leur part, les camps adverses ne manquent pas de raisons de craindre un effet boomerang. Il faudrait une certaine audace au successeur de Taylor pour le rapatrier et le traîner au banc des accusés. Même ses tuteurs internationaux seront sans doute en peine. Lancé à la mi-septembre sous l’égide de l’Onu, pour veiller au bon usage des deniers publics, le Plan de soutien à la gouvernance et à la gérance économique (Gemap) doit d’abord faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, avant de valider les équipes mixtes chargées de remettre en état administrations et infrastructures.
La reconstruction du système judiciaire et l’assainissement des forces de l’ordre ont été renvoyées aux lendemains électoraux. Dans l’immédiat, comme le souligne HRW dans son dernier rapport («Liberia at a Crossroads»), la corruption qui gangrène toujours la justice, mais aussi l’armée et la police «favorise l’impunité au lieu de s’y attaquer». C’était déjà l’une des causes de la guerre de quatorze ans. Le Libéria peine à en effacer le spectre. Les fantômes du passé sont présents dans toutes les listes, à la présidentielle comme aux législatives.
Factions en lice
Issu de l’écurie Taylor, Charles Brumskine présida le Sénat avant de se fâcher avec son ancien mentor, en 1999, et de s’exiler aux Etats-Unis. Il concourre à la présidentielle sous la bannière d’un Freedom Party (FP). Egalement dans le camp des ennemis de Taylor, le candidat Alhadji Kromah compte toujours sur sa réputation de seigneur de la guerre bâtie sur son ancienne rébellion, l’Ulimo-K, fondée en 1991. Avant de faire scission, Kromah avait participé aux pérégrinations des anciens partisans du défunt président Samuel Doe, un capitaine issu de la communauté krahn, tombeur, en avril 1980, du président créole (fils d’esclaves américains), William Tolbert. A côté des querelles de personnes, le paramètre ethnique a joué un rôle prépondérant dans la naissance de l’Ulimo-K. Il a aussi été crucial dans la création du Lurd, fondé en Guinée, en 1999, par Sekou Damate Conneh, lui-aussi en lice pour la présidentielle.
George Weah s’efforce d’avancer la carte de la différence et joue du prestige du ballon rond. Il a démarré sa campagne présidentielle dimanche dernier dans la deuxième ville du pays, la provinciale Gbargna, jadis quartier général du chef de guerre Taylor. Escorté d’anciens enfants-soldats reconvertis en gardes du corps, Weah s’est plié au rite du bain de foule avec un vice-président potentiel, Rudulph Johnson, qui servit en son temps le défunt président Doe, comme ministre des Affaires étrangères. Autre clin d’œil du passé avec Ellen Sirleaf, candidate malheureuse en 1997, ancien ministre des Finances sous William Tolbert, recyclée dans le système bancaire international et ancienne haut-fonctionnaire au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
L'étendard créole revient
L’étendard créole revient avec le Parti national démocratique du Libéria (NDPL) qui promeut la candidature de Winston Tubman, l’un des fils du premier président du Libéria, William Tubman qui régna de 1943 jusqu’à sa mort, en 1971. Quant au très décrié Gyude Bryant, il espère garder une main dans les affaires nationales, à défaut de pouvoir être candidat à sa succession à l’issue de la transition qu’il a présidée. Varnie Sherman, le candidat du parti Action lui servira, sinon de faux-nez, du moins de relais dans les futures institutions. La présidence n’est en effet pas le seul bastion à prendre. Le Parlement bicaméral offre aussi de belles perspectives. Mais, au-delà de ces instances politiques, il s’agit de reconstruire l’Etat et les infrastructures sociales et économiques: autant de postes à pourvoir.
Faute de filtrage judiciaire, rien n’empêche certains criminels de guerre avérés de participer à la compétition électorale. Reste à voir s’ils sont décidés à jouer le jeu jusqu’au bout, quel que soit le verdict des urnes. Reste à vérifier la durabilité de leur reconversion, quel que soit le degré d’immunité qui leur sera ultérieurement concédé. Quoi qu’il en soit, ces premières élections d’après-guerre ne suffiront pas à elles-seules à dessiner le Libéria nouveau, attendu depuis 22 ans.
par Monique Mas
Article publié le 06/10/2005 Dernière mise à jour le 06/10/2005 à 16:27 TU