Côte d’Ivoire
Liberia, fragile refuge
(Photo: AFP)
Ce sont pour la plupart des femmes, des enfants et des personnes âgées. Ils ont abandonné leurs champs de riz ainsi que leurs plantations de café et de cacao pour se réfugier au Liberia, où subsistent encore les traces de 14 années de guerre fratricide. Ces réfugiés, qui sont aujourd’hui plus de dix mille, viennent de la région de Bin-Houin, qui est sous contrôle gouvernemental mais non loin de la «zone de confiance» qui sépare les Forces nouvelles (ex-rebelles) et les forces gouvernementales. «Nous avons fui parce qu’on a vu passer des chars de combat et des colonnes des forces gouvernementales se diriger vers Danané le 4 Novembre», explique Gué Sahié Prosper, porte-parole des réfugiés ivoiriens à Butuo. «Ils ont dit qu’ils partaient attaquer les rebelles parce qu’on leur a donné deux jours pour libérer la Côte d’Ivoire», ajoute-t-il.
Il y avait eu d’intenses combats dans la région de Bin-Houin, en 2003, entre les rebelles ivoiriens et les forces loyalistes de Laurent Gbagbo appuyées par des mercenaires libériens. Ces combats avaient laissé de terribles souvenirs à la population civile, quasiment composée de membres de l’ethnie yacouba, que l’on retrouve aussi de l’autre côté de la frontière, en territoire libérien, sous le nom de Gio. Les Gios du Libéria et les Yacoubas de Côte d’Ivoire parlent la même langue, le dan. Ils formaient un seul ensemble avant la colonisation. Même chose pour pour les Guérés de Côte d’Ivoire et les Krahns du Liberia. Les Krahns et les Gios entretiennent une longue tradition d’hostilité réciproque.
Fraternité transfrontalière
Les mercenaires libériens qui servaient de forces supplétives aux militaires de Gbagbo étaient tous de l’ethnie krahn. Ils avaient ensemble, avec les jeunes patriotes combattants Guérés, aidé les militaires ivoiriens en 2003 à repousser les rebelles de Toulepleu à Zon-Houin, en passant par Bin-Houin. «Après avoir repoussé les rebelles, les mercenaires libériens se sont adonnés à des exactions contre les civils dans la région Bin-Houin. Ils ont tué, violé et pillé les Yacoubas. On a peur que la même chose se répète cette fois. C’est à cause de cela qu’on est venu se réfugier chez nos parents gios», explique Gué Sahié Prosper.
Les parents Gios, hôtes des réfugiés ivoiriens, ont, comme l’exige la tradition africaine, décidé de partager leurs repas avec leurs frères et sœurs venus de la Côte d’Ivoire. «J’ai demandé à la population de recevoir les Ivoiriens à bras ouverts, comme ils l’ont fait pour nous quand il y avait le feu ici», indique le préfet de Butuo, Albert Farnga. «Nous allons partager nos repas avec eux jusqu’à ce que les organisations humanitaires arrivent à avoir accès à Butuo».
Butuo est difficilement accessible par la route et, depuis qu’ils sont arrivés au Liberia, les réfugiés ivoiriens n’ont bénéficié d’aucune aide humanitaire. Le directeur régional du Programme alimentaire mondial de l’ONU (Pam), Mustapha Darboe, a déclaré à la presse, mardi à Monrovia, que la Minul (Mission des Nations unies au Liberia) s’apprête à mettre des hélicoptères à la disposition du Pam pour acheminer de l’aide alimentaire à Butuo.
«Si les Français quittent…»
Si les réfugiés ivoiriens arrivent à avoir un peu de nourriture auprès de leurs hôtes libériens, il y a une chose que ces derniers ne peuvent pas leur offrir: des soins. Il n’y a aucun centre de santé à Butuo. Déjà les moustiques ont fait des victimes chez les enfants. Nina a 4 ans et elle est sans cesse attaquée depuis deux jours. Sa mère, impuissante, est désemparée tandis que sa petite fille souffre et pousse des cris de douleur.
Les réfugiés ivoiriens ne sont pourtant pas prêts à effectuer le retour. «On nous dit que les ressortissants français sont en train de quitter la Côte d’Ivoire. On ne peut donc pas retourner dans ces conditions», s’inquiète Robert Gueu. «Si les ressortissants français quittent, la force Licorne va de moins en moins s’interposer entre les Forces nouvelles et les loyalistes. C’est vraiment inquiétant».
Militairement, la situation est beaucoup plus inquiétante. Des centaines d’anciens combattants de l’ex-faction de la guerre civile libérienne Model, ont repris le chemin de la Côte d’Ivoire pour aller prêter main-forte aux Jeunes patriotes de Toulepleu, ville voisine dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Des civils, qui ont fui Toulepleu pour se réfugier au Libéria, ont déclaré à RFI que les mercenaires libériens et leurs amis ivoiriens sont à pied d’œuvre pour attaquer les Forces nouvelles.
par Zoom Dosso
Article publié le 18/11/2004 Dernière mise à jour le 18/11/2004 à 08:00 TU