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Liberia

Le conflit tribal libérien resurgit en Côte d’Ivoire

L’ouest de la Côte d’Ivoire est en train de s’enliser dans un conflit tribal, importé du Liberia voisin. Un conflit qui commence à faire beaucoup de victimes au sein de la population civile. Plusieurs centaines de personnes ont été abattues dans l’ouest de la Côte d’Ivoire parce qu’elles étaient Dioula, Yacouba ou Guéré. Ces exactions étaient jusqu’ici restées dans l’ombre. L’arrestation d’une centaine de Libériens à Bangolo par les forces françaises a mis en évidence ces exactions. Comment en est-on arrivé là ?
De notre correspondant à Monrovia

Les «éléments incontrôlés», comme on les appelle, sont des jeunes Libériens, quasiment tous des Gio, une ethnie libérienne qui a ses racines en Côte d’Ivoire. En effet, les Gio et les Yacouba de Côte d’Ivoire parlent la même langue. Ces jeunes Libériens Yacouba ont participé aux sept années de guerre civile au Liberia. Ils sont présentés comme des «éléments incontrôlés» car, malgré qu’ils se soient réclamés du MPIGO, ils ne reçoivent aucun ordre de Félix Doh, le chef de ce mouvement rebelle de l’ouest ivoirien. Félix Doh ne sait d’ailleurs pas comment les éléments en question rentrent et ressortent de la Côte d’Ivoire, après avoir commis des exactions et pillages dans les villages non loin de la frontière.

Ces jeunes gens sont incontrôlables aussi au Liberia. Ils font partie du groupe de miliciens à qui le gouvernement libérien fait appel quand les rebelles du Lurd se montrent menaçants. En retour, ils reçoivent des dollars. Ce sont ces mêmes ennemis, que les miliciens libériens affrontent sur le sol ivoirien. La province de Nimba, d’où les miliciens Gio sont originaires, et celle de Grand Gedeh, d’où proviennent les Krahns (ethnie de feu le président Samuel Doe), sont des provinces voisines. Deux provinces qui sont à la base des exactions commises lors de la guerre civile au Liberia. Quand il était au pouvoir, Samuel Doe avait pour ennemis jurés les Gio qui se sentaient marginalisés.

L'ennemi de mon ennemi…

Avant de commencer sa révolution, Charles Taylor a recruté deux cents hommes dans le Nimba qu’il a transformés en Forces Spéciales. C’est dans la même province qu’il a débuté sa guerre, avec un mouvement dont la composition était à 90% constituée de Gio. C’était alors l’heure de la vengeance contre les Krahn qui ont longuement été leurs bourreaux. Après la mort de Doe, les Krahn se sont regroupés au sein de l’Ulimo pour combattre Taylor. Le NPFL majoritairement Gio et l’Ulimo majoritairement Krahn se sont ainsi affrontés pendant sept ans sans qu’il y est de vainqueur. Mais après le recours aux urnes, c’est finalement Taylor qui l’a emporté. Après les élections, les jeunes Krahn ont massivement quitté le Liberia pour se réfugier dans la région des Guéré dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Les Krahn et les Guéré parlent la même langue. De la Côte d’Ivoire, les jeunes Krahn ont été recrutés en grand nombre pour former la rébellion du LURD. Quand les jeunes Yacouba ont formé le MPIGO pour venger Robert Gueï, ils ont été épaulés par les Gio. Les Krahn, eux, sont alors allés épauler les forces loyalistes pour stopper l’évolution du MPIGO vers la région guérée. Comme quoi, l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Ainsi la rivalité Krahn–Gio s’est déplacée en Côte d’Ivoire à une grande échelle cette fois, avec d’un côté les Krahn et les Guéré, et de l’autre les Gio et les Yacouba.

C’est donc un nouveau volet de la crise ivoirienne car les forces libériennes déployées dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ne peuvent plus être maîtrisées par leurs parrains respectifs. Celles du côté du MPIGO n’acceptent pas les ordres de Félix Doh. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à ouvrir le feu sur les éléments du MPIGO qui cherchent à les rappeler à l’ordre. Quand ils rentrent dans un village ou une ville guérée, c’est la terreur qu’ils y sèment. De même dans le camp des jeunes Krahn qui combattent aux côtés des forces loyalistes : lourdement armés, ils détruisent tout ce qui est Gio.



par Zoom  Dosso

Article publié le 20/03/2003