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Liberia

En attendant les «dissidents»

Les forces rebelles aux portes de Monrovia ? Durant la première quinzaine de février, le régime libérien semble sur la corde raide après deux attaques successives. Charles Taylor instaure l’état d’urgence après que divers porte-paroles du mouvement des Libériens Unis pour la Réconciliation et le Développement (LURD) aient affirmé pouvoir faire tomber la capitale en 72 heures. La population, déjà soumise à des conditions de vie misérables, rêve de partir.
De notre envoyé spécial

Au matin, Monrovia s’éveille toujours aussi paresseusement. Dans les rues, les piétons indisciplinés frôlent des taxis jaunes surchargés d’écoliers en uniforme. Quelques anciens combattants font la mendicité. Les étals des marchés sont toujours aussi pauvres mais la foule est là, avec cette éternelle attente de jours meilleurs. Les moulinets et les sifflets des agents de police tentent de régler la circulation de ce petit monde. En fait, rien de bien nouveau à signaler. Seulement un sentiment diffus d’inquiétude, la peur de revivre les combats de rue des années de guerre civile. Ici, les rêves de paix finissent le plus souvent brisés alors on pense à l’exil vers des horizons plus cléments. L’exode massif n’a pas commencé mais dans les gares routières, les quelques bus en partance pour la Côte d’Ivoire ou le Ghana ne désemplissent pas. Pour l’heure, seuls les plus aisés tentent de mettre leur famille à l’abri.

C’est en fait une fois la nuit tombée que l’état d’urgence se fait plus réel. Si la présence militaire dans Monrovia n’a pas réellement augmenté, les barrages se font plus serrés. Les soupçons finissent souvent en arrestations, quelquefois en enrôlements forcés. Alors on évite de sortir dans la soirée.

Début février, les «dissidents», comme les appelle le gouvernement libérien, semblent aux portes de Monrovia. Concentrés depuis 1998 dans le Lofa, dans le nord du pays, les combats ne suscitaient guère l’inquiétude des chancelleries occidentales. «L’une des raisons de l’absence de la communauté internationale est qu’il existait un scepticisme sur la réalité de cette guerre. Pour certains, ce qui se passait ici était un écran de fumée, ce n’était pas une guerre. Nous, qui vivons quotidiennement au Liberia, sommes convaincu de la réalité des désastres engendrés par la guerre», déclare Felix Downes-Thomas, le chef de la mission des Nations Unies au Liberia. Un des nombreux conflits oubliés d’une Afrique désunie qui ne mobilise plus les bailleurs de fonds.

Pour le ministre de l’Information, Reginald Goodridge, «Il existe une conspiration du silence contre le Liberia. La communauté internationale nous a imposé des sanctions pour une assistance supposée au RUF. Ici au Liberia, nous avons toutes sortes de preuves que la Guinée soutient la dissidence. Pour l’instant personne n’a condamné la Guinée alors qu’un embargo sur les armes nous est imposé». Si Charles Taylor a effectivement servi de parrain aux rebelles sierra-leonais du RUF en échangeant armes contre diamants, le président guinéen jouerait à peu près le même rôle avec les insurgés libériens. Composés de membres d’anciennes factions rivales de celle de Charles Taylor durant la guerre civile, auxquels se seraient adjoints des Kamajors sierra-léonais et même quelques mercenaires du RUF, les LURD auraient pour commandant militaire un certain Sékou Koné. Du côté de Monrovia, on assure que l’homme ne serait autre que le gendre de Lansana Conté. Réplique du régime de Conakry : le Liberia a commencé en lançant des attaques sur les frontières guinéennes début 2001. Entre ces trois pays, le jeu macabre de la déstabilisation par rébellions interposées est devenu une spécialité régionale.

Lueur d’espoir, en Sierra Leone, le désarmement des combattants est officiellement achevé et les présidents des trois pays de l’union du fleuve Mano se sont rencontrés fin février au Maroc. Au terme de ce sommet, un engagement a été pris pour mettre un terme définitif au conflit sous-régional qui a provoqué au bas mot la mort de plus de 200 000 personnes depuis Noël 1989. Les faits suivront-ils les promesses ?

Pour se rendre compte de la réalité de la guerre qui sévit au Liberia, il suffit de se rendre seulement à une dizaine de kilomètres de Monrovia. Au milieu des anciens émetteurs de la Voix de l’Amérique, ils sont plus de 5 000 réfugiés à l’intérieur de leur propre pays à avoir trouvé un abri de fortune. Dans ce camp, les plus anciens arrivés disposent d’une petite habitation en terre ; ceux qui depuis le début de l’année ont été chassés de chez eux ou d’un autre camp de déplacés s’entassent dans des hangars délabrés. Aux alentours, les marmites chauffent un maigre contenu. Un homme s’exclame : «J’ai perdu mes enfants. J’ai perdu tous mes biens. Aujourd’hui, je suis nu. Je suis ici avec ma fille depuis six jours. Je suis obligé de mendier pour nous nourrir».

Manque de nourriture

Le manque de nourriture, c’est le principal problème mentionné ici, la précarité aussi. «Du fait des déplacements successifs, nous devons parer en permanence à l’urgence. Il est difficile d’avoir un suivi médical en continu avec ces gens. Dans la clinique installée sur le camp, nous traitons environ 200 personnes quotidiennement. Essentiellement des cas de malaria et des infections respiratoires», déclare Giuseppe Scollo, le chef de la mission MSF au Liberia. Depuis plus de dix ans, rares sont les Libériens qui n’ont pas connu les longues marches sur les routes du pays.
Concernant les affrontements de ce début d’année, tous donnent la même version. Des coups de feu dans la nuit. La fuite. Une première installation dans un camp de déplacés. Des coups de feu dans la nuit. La fuite. Plusieurs jours de blocages dans la ville de Klay pour s’assurer que des «dissidents» ne se sont pas infiltrés. Le 7 février au matin, une attaque sur Klay. La fuite jusqu’à ce camp de déplacés. Ont-ils vu les «dissidents» ? Non.

En remontant vers le nord, après une quarantaine de kilomètres d’une route traçant à travers le vert éclatant des hévéas et des palmiers, Klay Junction. Un point de passage pour le nord-ouest du pays autant qu’une ville désertée de sa population civile. Selon la version officielle, le 7 février au matin, environ 75 combattants des LURD ont lancé une attaque sur les lieux. Bilan de l’offensive surprise : un gradé des unités anti-terroristes abattu, trois civils morts dans l’incendie d’un camion, un poste des autorités brûlé, quelques maisons, des carcasses de voitures calcinées.

L’ambiance au sein des troupes balance entre tension guerrière et paresse liée à la chaleur du début d’après-midi. Pour ce qui est présenté comme une attaque massive reprise grâce à l’ardeur de la contre-offensive, le faible nombre de douilles sur le sol étonne. L’impression qu’une capitale est sur le point de tomber convient à certains. Un gouvernement isolé qui appelle la communauté internationale à la levée de l’embargo sur les armes et des sanctions qui lui sont imposés, des «dissidents» en panne de reconnaissance auprès d’une population épuisée par ses «libérateurs» successifs.

A la sortie de Klay, la présence militaire se fait moins présente. Le territoire est laissé aux miliciens. Des combattants du NPFL, l’ancienne faction de Charles Taylor, qui jurent de leur patriotisme et se financent sur les passages au Check-points. La défense du pays dans des mains d’adolescents, d’enfants, de gâchettes aussi faciles qu’imprécises. Ici, aucune pitié pour les «dissidents». Un adolescent révèle ses pratiques entre fanfaronnade et réalité barbare, «J’en ai attrapé un. Je lui ai coupé la tête et j’ai mangé son cœur». Est-il payé pour sa participation à la défense de la patrie ? «Non, alors on doit se débrouiller par nous même pour nous nourrir». Les quelques taxis qui s’aventurent encore dans la zone font les frais de l’appétit des combattants.

Le 14 février 2002, les combattants de LURD auraient lancé une offensive sur la ville de Tubmanburg, à vingt kilomètres plus au nord de Klay. Tubmanburg portait déjà les cicatrices des années de guerre civile, la nouvelle fuite des populations civiles lui a redonné une allure fantomatique. Aux restes d’une ancienne station service, le lieutenant Savannah Sharp tient la garde. Sous ses ordres une dizaine d’adolescents turbulents qui à la rencontre d’un groupe de combattants «amis» sont à deux doigts de régler leurs contentieux au fusil d’assaut. A la sortie nord de la ville, l’hôpital a été entièrement pillé par les «dissidents» affirme le lieutenant Sharp. Des meubles renversés, des portes cassées, des effets personnels abandonnés dans l’urgence, des médicaments volés, l’édifice qui par son modernisme devait faire la fierté de la ville est désormais à l’abandon. Impossible de savoir qui sont les réels auteurs du pillage. Y-a-t-il des enfants-soldats dans la troupe ? Le lieutenant Sharp jure que tous ses hommes ont plus de vingt ans. L’homme trouve, non sans gêne, des explications à la morphologie de certains de ses combattants, «par ici, il y a beaucoup d’hommes très petits. Vous leur donnez douze ans alors qu’ils en ont parfois trente».

Des «dissidents» cachés dans la forêt qui jurent vouloir restaurer la démocratie au Liberia, des forces pro-gouvernementales qui assurent combattre pour protéger les civils ; ici, les mensonges des chefs de guerre font écho au calvaire bien réel de la population.

De retour à Monrovia, une dernière tentative pour joindre l’un des nombreux porte-paroles des LURD. Dix jours auparavant, il assurait n’être qu’à quelques kilomètres de la capitale, que l’heure de traîner Charles Taylor devant les tribunaux allait bientôt sonner. Depuis son portable est toujours inaccessible. L’abonné est inscrit en Guinée.



par Cyril  Bensimon

Article publié le 18/03/2002