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Liberia

Etat d’urgence décrété

Le président Charles Taylor vient de décréter l’état d’urgence au Liberia en raison de l’avancée des rebelles vers la capitale Monrovia. Les dissidents annoncent que la ville pourrait tomber dans les prochains jours tandis que les forces gouvernementales affirment repousser les attaques. Déjà en janvier dernier, l’envoyé spécial de RFI au Liberia qualifiait ce pays de «chaos tropical».
De notre envoyé spécial au Liberia

En portant Charles Taylor au pouvoir en 1997, les Libériens espéraient enfin retrouver la paix. Taylor avait déclenché la guerre civile, il était donc le mieux placé pour l’arrêter. Malheureusement depuis deux ans, le nord du Liberia est le théâtre de nouveaux affrontements ; certains membres d’anciennes factions ayant refusé le jeu démocratique. Protégés par la Guinée et soutenus, selon le nouveau régime de Monrovia, par les Etats Unis et la Grande-Bretagne, les «dissidents» affirment se battre pour la réconciliation et le développement. Face à eux, les patriotes ont repris du service.

Passé le pont au-dessus du fleuve Saint-Paul, le comté du Lofa dans le nord-est du Liberia. Au premier barrage, tout sourire, un gosse d’à peine dix ans s’amuse à prendre des poses guerrières. Comme ses copains et les «grands», il a son fusil d’assaut AK-47 pour protéger le pays. Après quelques minutes de discussions avec ses supérieurs, l’enfant-soldat lève la barrière. Quatre kilomètres plus loin, un nouveau barrage. Trois jeunes gardes entourent un homme visiblement éméché malgré l’heure matinale. En s’extirpant de son hamac, «Papa Cruel» se prétend commandant chargé des opérations spéciales dans la région. Des titres ronflants pour des miliciens en haillons. «Si nous avons repris les armes, c’est pour défendre notre gouvernement et notre comté», affirme-t-il.

Désœuvrés à la fin de la guerre civile, ils sont plusieurs milliers d’anciens combattants du NPFL (National Patriotic Front of Liberia), la faction de Charles Taylor durant les années de terreur, à avoir fait leur retour aux armes. Agé d’une vingtaine d’années pour la plupart, la trentaine pour les plus âgés, ces vétérans se sont laissés convaincre par les appels présidentiels. Raison de cette mobilisation : la multiplication depuis deux ans d’attaques en provenance de la Guinée voisine. D’anciens dignitaires du régime de Samuel Doe ainsi que des membres de l’ULIMO-K (United Liberian Movement-Koroma), une faction opposée à Taylor, se sont réfugiés de l’autre côté de la frontière à l’issue des élections en 1997. Depuis regroupés sous le nom des Libériens Unis pour la Réconciliation et le Développement (LURD), ils entendent mettre un terme au «pouvoir inique et corrompu» en place à Monrovia. Belle ambition pour des spécialistes du pillage, des viols et des exécutions sommaires de civils.

Charles Taylor dénonce les «intégristes musulmans»

Qui pourrait croire que les attentats du 11 septembre ont le moindre lien avec ces ténèbres tropicaux ? Et pourtant, les dissidents étant pour la plupart Mandingues donc musulmans, Charles Taylor n’hésite pas à affirmer que «la guerre dans le Lofa est principalement le fait de fondamentalistes islamiques. 85% de ces combattants sont des intégristes musulmans qui prétendent mener un Djihad contre le Liberia.» Le président libérien espère ainsi s’attirer les faveurs des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, promoteurs selon lui de l’embargo sur les armes à destination de son pays depuis bientôt dix ans.

Nous poursuivons la route. Un nouveau check-point. Le crâne d’un dissident planté à l’entrée d’un village vient rappeler qu’ici les germes de la barbarie sont toujours fertiles. Un adolescent tient la corde. Fier de sa Kalachnikov et de son morbide trophée. Il jure tout d’abord avoir vingt-cinq ans puis admet n’en avoir que quatorze. Isolé sur la scène internationale, le régime tente de dissimuler ses enfants-soldats. Dès lors, quand un journaliste vient pointer son nez dans cette région où les armes font à nouveau force de loi, on envoie les gosses se cacher derrière les restes de maisons.

Le comté du Lofa n’est plus aujourd’hui qu’une longue suite de villes en ruines et de villages déserts, tenus par des miliciens passant le plus clair de leur temps à se soûler au vin de palme et à fumer la marijuana locale. En remontant vers le Nord, les destructions se font toujours plus massives, les hommes plus aguerris. Le général des Marines Jack le Rebelle est un expert ès guérilla : «Notre première mission c’est de couper leurs routes d’approvisionnement. La guérilla c’est une affaire de tactiques et dans le NPFL si aujourd’hui nous sommes au gouvernement, nous avons été par le passé une faction rebelle. On sait donc comment faire. En fait, nous nous amusons à jouer un jeu que nous connaissons tous.» Armes et munitions ? «Nous montons des embuscades pour les capturer aux dissidents.» La profusion d’armes légères, mitraillettes et lance-roquettes, laisse planer quelques doutes sur ces affirmations. En fait, ici rien n’est conventionnel. Des adolescents équipés de lance-pierres côtoient des gosses au treillis trop long et à l’arme trop lourde.

Après vingt quatre barrages et cent vingt kilomètres de piste à travers la forêt : les restes de Voïnjama. Un ancien carrefour commercial transformé en cité fantôme. Ici, c’est le général Rufus Fasue qui organise la visite. Spectacle pathétique d’une ville où il y a quelques années cinquante mille personnes de différentes ethnies cohabitaient. Du bureau des Nations Unies, il ne reste que les murs délabrés. De l’école technique, à peine plus. Les murs de l’église presbytérienne comme ceux de la mosquée sont criblés d’impacts de balles. Les rues jonchées de douilles. A la faveur des conquêtes et des reconquêtes, vraisemblablement six depuis mai 2001, la ville a été totalement pillée par les forces gouvernementales et leurs opposants. Les maisons ont perdu leur toit de tôle ondulée, laissant leur squelette à des inscriptions où se côtoient «La mort est meilleure que la vie» et «Opération sauvetage Voïnjama». A quelques mètres d’un bâtiment administratif, un cratère dans le sol ; les traces d’un bombardement de l’armée guinéenne affirme le général que ses hommes ont surnommé Equalizer. L’essentiel des civils de la région, eux, sont partis s’entasser dans des camps de déplacés situés à la lisière du Lofa. Quelques uns sont restés, réfugiés dans la forêt, se nourrissant des produits de la brousse.

Dans les camps, les hommes de moins de trente ans sont rares. Nombre d’entre eux ayant été enrôlés de force ou abattus pour un vague soupçon, une quelconque résistance ou une simple rapine. Dans les deux camps de CARI, où survivent plus de dix mille personnes dépendantes de l’assistance des ONG, près de trois cent femmes ont vu leur destin brisé par la guerre. L’une d’elles témoigne, «Dans notre fuite, nous avons rencontré des dissidents. Ils ont tué nos maris et ont dit aux femmes que désormais nous serions leurs épouses. Pendant deux jours, nous avons dû rester à leurs côtés. Puis nous nous sommes échappées dans la forêt pour rejoindre ce camp. Sur ma route, après les dissidents, ce fut l’armée qui m’a harcelé. Les militaires nous fouillaient et si nous avions encore un peu d’argent ou de riz, ils nous les prenaient.» Si dieu semble avoir oublié le Liberia, Monseigneur Francis, l’archevêque de Monrovia, garde espoir. L’espoir que son pays en finisse un jour avec ses «rédempteurs». «En 1980, Doe était venu pour nous débarrasser de la corruption. Résultat ? Dix ans de violations de nos droits, d’oppressions et de meurtres. Puis en décembre 1989, le NPFL est venu pour assurer notre rédemption, pour nous libérer. Nous avons obtenu une guerre de barbares qui a mené à la destruction de notre pays et de notre peuple. Mais ils étaient nos sauveurs. De la même façon, ceux qui attaquent depuis la frontière guinéenne assurent qu’ils viennent pour notre rédemption. Nous sommes épuisés par tous ces rédempteurs.»

Avec le retour de la guerre, le Liberia a renoué avec ses plus sinistres habitudes. En quittant le Lofa, il nous est demandé de transporter de l’autre côté du pont le gosse croisé au premier check-point. Sûr de lui, il affirme se battre pour Taylor. Sait-il qui est Taylor ? Non. Il sait s



par Cyril  Bensimon

Article publié le 09/02/2002