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Liberia

Monrovia joue la détente avec ses voisins

Les ministres des Affaires étrangères du Liberia, de Sierra Leone et de Guinée se sont rencontrés pour la deuxième fois en fin de semaine. Un progrès important alors que les relations entre les trois pays étaient rompues, en raison des violents affrontements frontaliers de ces derniers mois.
Après plusieurs mois de vive tension, les premiers signes de détente sont enfin perceptibles entre les Etats membres de l'Union du fleuve Mano (Liberia, Guinée, Sierra Leone). Après une première série d'entretiens dans la capitale libérienne, Monrovia, du 13 au 15 août dernier, leurs ministres des Affaires étrangères se sont à nouveau rencontrés en fin de semaine, cette fois en Sierra Leone, pour tenter de mettre fin aux violents affrontements qui se déroulent aux frontières des trois pays, depuis septembre 2000. A terme, ces discussions, dont les prochaines sont prévues le 10 septembre prochain en Guinée, pourraient ouvrir sur un sommet entre les chefs d'Etat libérien, guinéen et sierra-léonais.

Si elle avait effectivement lieu, la rencontre serait historique. Dire que les trois dirigeants se vouent une hostilité respective est un euphémisme, tout particulièrement en ce qui concerne Charles Taylor et Lansana Conté. L'inimitié entre les présidents libériens et guinéens remonte à guerre civile dans la plus vieille république d'Afrique, entre 1989 et 1997. En 1990, Taylor lance une offensive avec son mouvement armé, le Front national patriotique du Libéria (NPLF), contre le régime du président Samuel Doe. Ses hommes sont bientôt aux portes de Monrovia, mais il est stoppé par la force ouest-africaine d'interposition (ECOMOG). Dominée par les troupes nigérianes, cette dernière est intervenue in extremis, en partie sur l'insistance du président Lansana Conté.

De lourds contentieux

Par la suite, la Guinée va choisir de soutenir et d'armer l'ULIMO, un mouvement armé favorable à Doe, puis, après une scission interne, l'ULIMO-K, faction dirigée par Alhaji Kromah. En 1997, Taylor finit par remporter une double victoire: tout en ayant été à l'origine d'une des plus monstrueuses guerres qu'a connu le continent africain, il se paye le luxe de parvenir au pouvoir par les urnes. Alhaji Kromah, lui, a fui le pays, abandonnant ses combattants. Une grande partie n'a toutefois pas désarmé et continue à proposer ses «services» au plus offrant, notamment au RUF sierra-léonais. Mais elle multiplie aussi les incursions en territoire guinéen pour se «servir» chez son ancien allié, avec d'autant plus de facilité que la fermeture fréquente de la frontière entre le Libéria et la Guinée est sans effet, dans une zone de non-droit où les armes circulent en abondance.

Résultat : Monrovia accuse Conakry de soutenir les Libériens Unis pour le développement et la démocratie (LURD), un mouvement vraisemblablement composé de combattants d'anciennes factions hostiles à Taylor, qui revendique les violentes attaques de ces derniers mois dans le comté de Lofa, frontalier de la Guinée et de la Sierra Leone. Côté guinéen, on rejette bien sûr la responsabilité sur Monrovia et on évoque les incursions armées régulières de l'autre côté de la frontière, en faisant porter le chapeau aux soldats gouvernementaux libériens.

Au mois de mars, la tension entre les deux capitales a atteint un niveau tel que les autorités de Monrovia ont signifié à l'ambassadeur de Guinée son expulsion pour «activités incompatibles avec leur statut». La mesure visait également son confrère sierra-léonais. De fait, les relations sont tout aussi acrimonieuses entre les autorités de Freetown et Taylor, ce dernier étant le principal parrain des rebelles sierra-léonais du RUF, mouvement dont il a contribué à la création en 1991.

Depuis, la pression s'est accentuée sur l'ancien chef de guerre. Le 4 mai dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté des sanctions contre Monrovia. Elles visent notamment les diamants, principal source de financement du RUF écoulés via le Liberia, et interdit la délivrance de visas aux dirigeants du pays et à leur famille. Le régime de Charles Taylor est également mis à l'index pour son piètre bilan en matière de droits de l'homme. Fin juillet, Amnesty International a ainsi accusé une unité spéciale de l'armée de massacres, tortures et détentions arbitraires dans le comté de Lofa. Bien que l'organisation montre également du doigt les rebelles du LURD, ces révélations n'arrangent pas les affaires du régime Taylor.

Fortement encouragés par Koffi Annan, qui a appelé à plusieurs reprises les pays de l'Union du fleuve Mano au dialogue, et par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), les premiers signe de détente sont intervenus début août, avec la levée de la mesure d'expulsion des ambassadeurs Guinéen et Sierra Léonais. Soucieux d'améliorer son image, Taylor joue apparemment le jeu. Sur le plan intérieur, il cherche également à donner des gages à son opposition, dont il avait accusé certains leaders de soutenir le LURD. A l'occasion de la fête nationale, le 27 juillet, il a ainsi annoncé une amnistie, visant notamment l'opposante Ellen Johnson-Sirleaf, candidate malheureuse à la présidentielle de 1997. Prudente, cette dernière n'est pas encore rentrée au bercail. D'autant qu'on parle de plus en plus de l'instauration de l'état d'urgence, officiellement pour cause de déstabilisation dans le comté de Lofa, qui permettrait au pouvoir de resserrer un peu plus l'étau en prévision des prochaines législatives et présidentielle, prévues en 2003.



par Christophe  Champin

Article publié le 24/08/2001