Liberia
Taylor est-il vraiment menacé ?
Quatre ans après la victoire électorale de Charles Taylor, le spectre de la guerre civile hante à nouveau le Liberia. Pour la première fois, les attaques rebelles, jusqu'ici cantonnées, à la zone frontalière de la Guinée et de la Sierra Leone, se rapprochent de la capitale. Mais une grande confusion règne sur la capacité réelle de ce mouvement armé à menacer le régime de Monrovia.
Le 24 décembre 1989 restera longtemps gravé dans la mémoire des Libériens. Ce jour-là, une centaine de combattants du NPFL, mouvement armé dirigé par Charles Taylor, venus de la Côte d'Ivoire voisine, lancèrent une attaque surprise sur la ville de Butuo, dans le sud-est du pays. L'une des plus violentes guerres civiles de l'histoire contemporaine africaine venait de commencer. En 1997, de guerre lasse, les électeurs élisent finalement l'un de leur bourreau, Charles Taylor. Sa victoire met un terme à huit ans de conflit. Mais après quatre ans de paix relative, la plus ancienne République d'Afrique subsaharienne est rattrapée par son passé.
Depuis un an, des combats opposant des membres d'anciennes factions armées aux soldats et miliciens gouvernementaux secouent le comté de Lofa, frontalier de la Guinée et de la Sierra Leone. Du coup, cette partie du pays a renoué avec les pratiques du passé. Exécutions sommaires, tortures, viols, flots de réfugiés et déplacés: un rapport d'Amnesty International, publié en juillet dernier, renvoie les protagonistes dos-à-dos.
Depuis quelques jours, le conflit, jusqu'ici relativement localisé, menace de s'étendre. Les rebelles du LURD (Libérien unis pour la réconciliation et le développement) se sont attaqués à une société d'exploitation forestière dans le comté de Gbarpolu, à une centaine de kilomètres de la capitale, Monrovia. De source officielle, une vingtaine de rebelles et plusieurs soldats ont été tués.
Du bois et des armes
Dans une interview accordée à nos confrères de la BBC, Joe Wylie, l'un des porte-parole du LURD, affirme que la cible n'a pas été choisie par hasard. «Le commerce du bois est proche de celui du diamant», a t-il précisé. Soumis depuis mai 2001 à un embargo onusien sur le commerce du diamant, servant à armer les rebelles sierra-léonais du RUF, le Liberia s'appuie désormais davantage sur l'exploitation forestière, qui échappe aux sanctions. Or cette question fait actuellement l'objet d'un débat entre les membres du Conseil de sécurité. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis, soucieuses de mettre Taylor à l'index, sont favorables à un élargissement des sanctions, dont la France et la Chine avaient souhaité jusqu'ici qu'elles ne touchent pas le bois. Or, la pression se fait de plus en plus forte sur ces deux pays. L'organisation Global Witness, en pointe dans la dénonciation des liens entre commerce des ressources naturelles et trafic d'armes, vient ainsi de publier un rapport selon lequel l'exploitation forestière permet au régime de Monrovia de poursuivre ses achats d'armes, notamment pour le compte du RUF, avec la complicité de certaines sociétés de la place et d'intérêts mafieux russes. Il montre également du doigt la France et la Chine, qui ont absorbé environ 70% des exportations de bois libériennes en 2000.
Le dernier fait d'armes du LURD pourrait néanmoins se retourner contre lui. Tout en mettant en avant l'utilisation, assurément condamnable aux yeux des Nations unies, du commerce du bois, ils offrent à Charles Taylor, isolé internationalement, l'occasion de se poser en victime, face à un mouvement qu'il accuse de relancer la guerre civile. Du même coup, le régime de Monrovia dénonce à nouveau le soutien de ses voisins guinéens et sierra-léonais à cette opposition armée, alors que deux semaines plus tôt, les ministres des Affaires étrangères des trois pays s'étaient engagés, lors d'une rencontre à Freetown, à tout mettre en £uvre pour mettre fin aux combats. «Les événements récents prouvent qu'il existe un sérieux décalage entre le discours et la réalité», constate Comfort Ero, chercheuse à l'International Crisis Group, basée à Freetown.
On commence, par ailleurs, à en savoir davantage sur le LURD et sur la personnalité la plus connue du mouvement, le «général» Joe Wylie. Ce dernier serait un proche de Roosevelt Johnson, leader de l'ULIMO J, faction opposée à Charles Taylor pendant la guerre civile et se réclamant du président Samuel Doe, assassiné en 1990. On parle aussi de Charles Julu, un général du régime Doe, auteur d'une campagne de terreur, entre 1985 et 1990, dans le comté de Nimba, frontalier de la Côte d'Ivoire. Des massacres que relate le chercheur Stephen Ellis dans un ouvrage terrifiant sur le conflit libérien, The Mask Of Anarchy (Hurst & Company, London). Quant à ceux qui combattent sur le terrain, Joe Wylie à lui-même confirmé, dans une interview diffusée sur Internet qu'il s'agit d'ex-membres des deux factions de l'ULIMO (Mouvement uni de libération pour la démocratie) et d'autres mouvements, tels que le LPC (Liberian Peace Council) de l'ancien ministre George Boley, ou même - mais cela reste à vérifier - des dissidents du NPFL de Taylor.
Reste à savoir à quel point ces derniers menacent Charles Taylor. Au mois de mars dernier, Joe Wylie avait été on ne peut plus clair: «Ce qui nous intéresse, c'est de mener une guerre qui libérera l'ensemble du pays». L'objectif semblait, jusqu'ici, trop ambitieux. Mais en rapprochant leurs offensives de la capitale, les hommes du LURD commencent à être pris beaucoup plus au sérieux. Est-ce parce qu'il bénéficient du soutien guinéen, voire, selon certaines sources, des services secrets américains et britanniques? Quatre ans après la fin de la guerre civile, le Liberia demeure, en tous cas, plus que jamais une inquiétante source d'instabilité pour l'Afrique de l'Ouest.
Depuis un an, des combats opposant des membres d'anciennes factions armées aux soldats et miliciens gouvernementaux secouent le comté de Lofa, frontalier de la Guinée et de la Sierra Leone. Du coup, cette partie du pays a renoué avec les pratiques du passé. Exécutions sommaires, tortures, viols, flots de réfugiés et déplacés: un rapport d'Amnesty International, publié en juillet dernier, renvoie les protagonistes dos-à-dos.
Depuis quelques jours, le conflit, jusqu'ici relativement localisé, menace de s'étendre. Les rebelles du LURD (Libérien unis pour la réconciliation et le développement) se sont attaqués à une société d'exploitation forestière dans le comté de Gbarpolu, à une centaine de kilomètres de la capitale, Monrovia. De source officielle, une vingtaine de rebelles et plusieurs soldats ont été tués.
Du bois et des armes
Dans une interview accordée à nos confrères de la BBC, Joe Wylie, l'un des porte-parole du LURD, affirme que la cible n'a pas été choisie par hasard. «Le commerce du bois est proche de celui du diamant», a t-il précisé. Soumis depuis mai 2001 à un embargo onusien sur le commerce du diamant, servant à armer les rebelles sierra-léonais du RUF, le Liberia s'appuie désormais davantage sur l'exploitation forestière, qui échappe aux sanctions. Or cette question fait actuellement l'objet d'un débat entre les membres du Conseil de sécurité. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis, soucieuses de mettre Taylor à l'index, sont favorables à un élargissement des sanctions, dont la France et la Chine avaient souhaité jusqu'ici qu'elles ne touchent pas le bois. Or, la pression se fait de plus en plus forte sur ces deux pays. L'organisation Global Witness, en pointe dans la dénonciation des liens entre commerce des ressources naturelles et trafic d'armes, vient ainsi de publier un rapport selon lequel l'exploitation forestière permet au régime de Monrovia de poursuivre ses achats d'armes, notamment pour le compte du RUF, avec la complicité de certaines sociétés de la place et d'intérêts mafieux russes. Il montre également du doigt la France et la Chine, qui ont absorbé environ 70% des exportations de bois libériennes en 2000.
Le dernier fait d'armes du LURD pourrait néanmoins se retourner contre lui. Tout en mettant en avant l'utilisation, assurément condamnable aux yeux des Nations unies, du commerce du bois, ils offrent à Charles Taylor, isolé internationalement, l'occasion de se poser en victime, face à un mouvement qu'il accuse de relancer la guerre civile. Du même coup, le régime de Monrovia dénonce à nouveau le soutien de ses voisins guinéens et sierra-léonais à cette opposition armée, alors que deux semaines plus tôt, les ministres des Affaires étrangères des trois pays s'étaient engagés, lors d'une rencontre à Freetown, à tout mettre en £uvre pour mettre fin aux combats. «Les événements récents prouvent qu'il existe un sérieux décalage entre le discours et la réalité», constate Comfort Ero, chercheuse à l'International Crisis Group, basée à Freetown.
On commence, par ailleurs, à en savoir davantage sur le LURD et sur la personnalité la plus connue du mouvement, le «général» Joe Wylie. Ce dernier serait un proche de Roosevelt Johnson, leader de l'ULIMO J, faction opposée à Charles Taylor pendant la guerre civile et se réclamant du président Samuel Doe, assassiné en 1990. On parle aussi de Charles Julu, un général du régime Doe, auteur d'une campagne de terreur, entre 1985 et 1990, dans le comté de Nimba, frontalier de la Côte d'Ivoire. Des massacres que relate le chercheur Stephen Ellis dans un ouvrage terrifiant sur le conflit libérien, The Mask Of Anarchy (Hurst & Company, London). Quant à ceux qui combattent sur le terrain, Joe Wylie à lui-même confirmé, dans une interview diffusée sur Internet qu'il s'agit d'ex-membres des deux factions de l'ULIMO (Mouvement uni de libération pour la démocratie) et d'autres mouvements, tels que le LPC (Liberian Peace Council) de l'ancien ministre George Boley, ou même - mais cela reste à vérifier - des dissidents du NPFL de Taylor.
Reste à savoir à quel point ces derniers menacent Charles Taylor. Au mois de mars dernier, Joe Wylie avait été on ne peut plus clair: «Ce qui nous intéresse, c'est de mener une guerre qui libérera l'ensemble du pays». L'objectif semblait, jusqu'ici, trop ambitieux. Mais en rapprochant leurs offensives de la capitale, les hommes du LURD commencent à être pris beaucoup plus au sérieux. Est-ce parce qu'il bénéficient du soutien guinéen, voire, selon certaines sources, des services secrets américains et britanniques? Quatre ans après la fin de la guerre civile, le Liberia demeure, en tous cas, plus que jamais une inquiétante source d'instabilité pour l'Afrique de l'Ouest.
par Christophe Champin
Article publié le 06/09/2001