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Liberia

Le cauchemar sans fin

Plus de quatre ans après l’élection de Charles Taylor, le Liberia ne s’est toujours pas relevé des années de guerre civile. L’économie du pays est plongée dans le coma le plus complet et la reconstruction ne cesse d’être repoussée. Un marasme qui se conjugue depuis mai 2001 avec l’entrée en vigueur d’un embargo sur les exportations de diamants et les voyages des officiels libériens. Objectif des sanctions prononcées par le Conseil de Sécurité des Nations unies : obliger le régime de Monrovia à couper définitivement les ponts avec les rebelles sierra léonais du Front Révolutionnaire Uni.
De notre envoyé spécial au Liberia

Monrovia est aujourd’hui une longue suite de bâtiments calcinés, de murs criblés d’impacts de balles et de maisons constituées d’un enchevêtrement de tôles rouillées. La capitale de la plus ancienne république indépendante d’Afrique semble avoir été figée dans la torpeur de l’après-guerre, comme glacée malgré la chaleur ambiante.

Paumes et regard tournés vers le ciel, Rufus, un soldat de l’armée libérienne, désespère de voir un jour la situation de son pays s’améliorer. «Actuellement, il n’y a rien de bon au Liberia. Personnellement, cela fait plus de plus de dix mois que je n’ai pas perçu mon salaire.» Comme l’essentiel de la population, sa survie se joue au quotidien. Se faire dépanner d’un ou deux dollars par un ami, attendre un hypothétique virement d’un proche émigré aux Etats-Unis, c’est ainsi que subsistent bon nombre de Libériens.

Un étudiant à la faculté d’économie confesse un peu honteusement, «nous sommes devenus un peuple de mendiants». A Monrovia, le taux de chômage avoisine les 85%, les arriérés de salaire dans la fonction publique dépassent le plus souvent les six mois et plus de 15% des habitants de la ville souffrent de malnutrition. S’il existait un indice du désespoir, le Liberia aurait toutes les chances de servir de valeur étalon.

Charles Taylor : «On nous accuse de tous les maux»

Pour Charles Taylor, élu à la tête de l’Etat suite à une guerre civile qu’il avait lui même déclenché sept ans plus tôt, la raison du marasme actuel est très simple. «Durant les quatre années de ma présidence, nous n’avons reçu aucune assistance de la communauté internationale. Notre gouvernement n’a bénéficié d’aucune aide bilatérale. C’est sans précédent ! Nous avons été accusés de tous les maux et tout a été fait par quelques grandes puissances pour que ce gouvernement s’effondre.»

En clair, selon le président libérien, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne auraient décidé d’avoir la peau d’un régime tiers-mondiste dont la seule faute serait de ne pas suivre la ligne dictée par les maîtres du monde. S’il est vrai que Washington et Londres considèrent l’ancien Warlord (seigneur de la guerre) comme l’élément déstabilisateur de la sous-région, la corruption, les accointances avec les rebelles du RUF et le détournement des richesses naturelles du pays au profit de quelques-uns expliquent aussi le désengagement des bailleurs de fonds internationaux.

Aujourd’hui, les caisses de l’Etat sont vides mais les proches du pouvoir forment toujours le dernier îlot de prospérité visible à Monrovia. Dans leurs véhicules 4x4 flambants neufs, les nouveaux maîtres du pays traversent la ville pied au plancher, la main en permanence sur le klaxon pour que voitures et passants s’écartent au plus vite. Une manière comme une autre d’éviter la pauvreté ambiante.

Seulement, voilà six mois la donne a en partie changé. Après l’embargo prononcé en 1992 sur les ventes d’armes en direction du Liberia, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté des sanctions à l’encontre du régime de Charles Taylor. Depuis mai 2001, le pays ne peut plus exporter de diamants et tous les proches du pouvoir se sont vus signifier une interdiction de sortie du territoire. La communauté internationale espère ainsi que le gouvernement libérien cesse de soutenir le RUF en Sierra Leone.

Si Charles Taylor ne conteste pas l’existence des liens qu’il a longuement entretenu avec un mouvement plus porté sur les violations des droits de l’homme que sur le changement social, il jure avoir désormais coupé tous les ponts avec ses anciens alliés. Sa nouvelle bataille : la suspension de sanctions selon lui injustes et destructrices du tissu socio-économique libérien. «Nous nous sommes conformés voilà six mois aux recommandations du Conseil de Sécurité. Seulement l’imposition des sanctions a entraîné un désengagement d’autres pays de la communauté internationale. Les aides et les activités des ONG ont toutes été réduites. Et quel en est le résultat ? La faim et la malnutrition de nos enfants et de nos personnes âgées.» Confirmation des représentants des organisations non gouvernementales et des agences des Nations unies. Si l’urgence humanitaire n’est pas nouvelle, il n’a jamais été aussi difficile, selon eux, de mobiliser sur le Liberia. Les bailleurs de fonds et les entreprises privées rechigneraient à investir dans un pays trop souvent pointé du doigt.

De cette situation de crise, le régime a su cependant tirer un bénéfice politique. Ainsi pour que la population s’associe pleinement à l’équation gouvernementale «Sanctions = Privations», Monrovia s’est habillée de panneaux officiels au contenu on ne peut plus explicite. Un parmi d’autres, un éléphant paré des couleurs de l’ONU, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne écrase de sa lourde patte une fourmi recouverte du drapeau libérien. Le tout est accompagné du slogan : «les sanctions sont mortelles.».

A en croire le pouvoir, l’absence d’eau courante, l’électricité intermittente, les arriérés de salaire ou les services sociaux à un coût prohibitif sont les conséquences directes des sanctions. Une thèse que réfute Frances Johnson-Morris, la présidente de la commission Justice et Paix. Selon elle, «la situation du Liberia n’a pas changé depuis les élections. Les sanctions sont devenues une excuse commode pour les mauvaises prestations de quelques-uns et c’est ainsi que beaucoup de gens voient désormais les sanctions comme la cause de leur malheur.»

Le malheur, c’est en fait la valeur la mieux partagée des Libériens. Dès lors, la population, et en particulier la jeune génération totalement désespérée par l’absence de débouchés, n’a plus qu’un souhait : obtenir un visa pour l’Amérique. Tout un symbole pour ce pays fondé en 1847 par des esclaves affranchis en provenance des plantations de Virginie ou de Caroline. Le symbole d’un rêve de liberté qui tourne au cauchemar. Le symbole de la faillite du rêve libérien.



par A Monrovia, Cyril  Bensimon

Article publié le 20/12/2001