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Guinée

La Guinée Conakry à la dérive

Lansana Conté n’est plus qu’une ombre fugitive dans la vie des Guinéens.(Photo : AFP)
Lansana Conté n’est plus qu’une ombre fugitive dans la vie des Guinéens.
(Photo : AFP)
Le président guinéen est hospitalisé depuis samedi en Suisse, après une évacuation médicale d’urgence dans la nuit de vendredi à samedi dernier. Atteint d’un diabète aigu et d’une leucémie, Lansana Conté, au pouvoir depuis 1984, est toujours officiellement aux commandes. Mais son pays est à la dérive, 48 ans après l’historique « non » du père de l’indépendance Sekou Touré, à l’offre d’adhésion à la Communauté française de de Gaulle.

De notre envoyé spécial à Conakry

Toute la journée de mardi, la radio nationale guinéenne a diffusé en boucle des bulletins rassurants sur la santé de Lansana Conté, assortis d’un éditorial fustigeant une « certaine presse  étrangère » accusée d’avoir « comploté contre le pays en annonçant l’hospitalisation en Suisse du chef de l’Etat ». Mais les médias officiels ont tout de même fini par admettre que, contrairement au communiqué de samedi dernier, le président n’est pas en simple « visite privée en Suisse où il en profitera pour subir des examens médicaux de routine ».

Evacué d’urgence dans la nuit de vendredi à samedi, le « général président » souffre d’un diabète aigu et d’une leucémie et les quelques mots difficilement audibles qu’il a prononcés à la radio nationale mardi, s’ils ont laissé entendre qu’il est toujours vivant, n’ont pas levé le doute sur son état.

Depuis déjà de longs mois, Lansana Conté n’apparaît plus que très rarement en public. Pourtant, c’est toujours ce militaire inflexible de 72 ans qui tient officiellement les rênes du pays. Mais le parallèle entre la dégradation physique du chef de l’Etat et celle de la vie quotidienne des Guinéens est saisissant. « Aujourd’hui, à cause de la hausse constante des prix,  le salaire mensuel moyen d’un Guinéen est inférieur au prix d’un sac de riz de 50 kg », se lamente un taximan. Pour ne rien arranger, Conakry, ville déglinguée et étouffante qui s’étend sur près de 40 km, vit au rythme des pénuries chroniques d’eau et d’électricité. « Le pire, c’est que pour avoir quelques heures de courant, nous devons financer nous même l’entretien du transformateur de notre zone et organiser des tours de garde  pour éviter que les employés de la compagnie l’arrachent pour l’envoyer  dans un quartier riche », raconte Ibrahima, un fonctionnaire.

Pourtant la Guinée dispose d’un des plus importants potentiels hydraulique d’Afrique. « La Guinée est la source de quatre fleuves de la sous-région. Mais même en terme de ce qui est exploitable, à peine 115 des plus de 300 mégawatts disponibles sont utilisés, en raison de multiples problèmes techniques », déplore Idé Niandou, représentant de la Banque Mondiale.

Une feuille de route pour sortir de la crise

Le pays du « non à de Gaulle » est aussi, sur le papier,  le plus riche d’Afrique de l’Ouest, avec deux tiers des réserves mondiales de bauxite, de l’or et du diamant à profusion, mais dont les recettes se perdent entre conventions minières mal négociées et détournements de fonds. « Si vous comparez  la simple production d’or rapporte à l’Etat malien près de 70 millions de dollars par an alors que la Guinée, avec toutes ses ressources minières, ne touche qu’environ 100 millions », souligne Idé Niandou.

Il y a trois semaines, le ras le bol des Guinéens a atteint un tel degré qu’ils ont répondu comme un seul homme à l’appel à la grève générale de cinq jours lancée par les syndicats. « De mémoire de Guinéen c’est une première depuis de décennies », témoigne un commerçant du centre ville. Dans ce pays traumatisé par la dictature sanguinaire du père de l’indépendance Sekou Touré et un successeur pas beaucoup plus démocrate, la population hésite à protester ouvertement contre le régime. Et elle préfère laisser ce soin à une opposition qui admet avoir été dépassée par les derniers mouvements sociaux « Nous ne nous attendions pas à une telle mobilisation, reconnaît l’opposant Sydia Touré, leader de l’Union des forces républicaines. Mais c’est un avertissement sans précédent pour le régime. »

Face à la lassitude extrême des Guinéens, l’opposition et diverses organisations de la société civile se sont réunies à Conakry, du 17 au 20 mars, et elles se sont accordées sur une feuille de route pour sortir de la crise. Elles proposent la formation d’un gouvernement d’union nationale dirigé par une personnalité neutre et chargé de redresser le pays pendant une période de transition d’au maximum 18 mois, avant la tenue d’élections transparentes.

« Les véritables maîtres du jeu sont les militaires »

Mais que le président Conté rentre vivant ou non à Conakry, la plupart des observateurs doutent que leur proposition soit prise en compte. « Les véritables maîtres du jeu sont les militaires, assure un diplomate. Ils ne bougerons pas tant que le président est en vie, respect du chef oblige. Mais après, c’est entre eux que tout va se décider ». Cela dit, l’armée guinéenne est loin d’être monolithique. « Il y a une énorme différence entre les hauts gradés âgés, qui profitent allègrement du système de prébendes institutionnalisé au plus haut niveau de l’Etat en Guinée, et les jeunes officiers formés à l’étrangers, dont certains voudraient bien mettre fin à ce régime », affirme l’opposant Jean-Marie Doré, président de l’Union des peuples de Guinée.

Dans ce contexte, les bailleurs de fonds internationaux et les partenaires occidentaux de la Guinée ont choisi une sorte de neutralité active. « Nos moyens de peser sur l’avenir politique de ce pays sont limités, vu que l’Etat Guinéen est déjà privé d’aide extérieure directe, mais nous ne pouvons pas non plus abandonner complètement un pays, frontalier de pays aussi fragiles que la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée Bissau », explique un haut fonctionnaire international.

Le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Union européenne ont donc décidé de soutenir l’actuel Premier ministre Cellou Dalein Diallo. Nommé il y a un an et demi, il est chargé de mener à bien d’indispensables réformes et de conclure un accord avec le FMI qui donnerait au gouvernement un peu plus de marge de manœuvre financière. Mais face aux blocages constants d’un entourage proche du président, qui a beaucoup à perdre dans une gestion transparente de l’Etat, la mission est quasiment impossible.


par Christophe  Champin

Article publié le 23/03/2006 Dernière mise à jour le 23/03/2006 à 12:10 TU