Hongrie
Législatives : les socialistes et la droite au coude à coude
(Photo : AFP)
De notre correspondante à Budapest
Un soleil printanier brille sur le stade de football du village où quatre à cinq cents personnes attendent fébrilement Viktor Orban, le candidat de la droite conservatrice aux élections législatives de dimanche. Sur le podium, une chorale menée par une ancienne prima donna entonne une chanson irrédentiste, un classique des cercles ultranationalistes magyars. Parmi la foule, certains portent un K-way, d’autres un foulard ou une pancarte orange, couleur symbole des Jeunes démocrates (Fidesz) de Viktor Orban en 1989, que le parti avait ensuite troqué pour le bleu conservateur. Mais le Fidesz s’est repeinte en orange depuis que la couleur est redevenue à la mode avec les révolutions ukrainienne et géorgienne.
Pour son dernier meeting de campagne, Viktor Orban s’est arrêté à Pétervasar, un petit bourg de 2 700 habitants au nord-est de Budapest. Vêtu d’une simple chemise noire et d’un pardessus vieillot, il salue la foule d’un « Hajra, Magyarorszag ! » (en avant, la Hongrie) équivalent du « Forza, Italia ! » de Berlusconi dont il est un admirateur. Souriant, Orban, ancien Premier ministre de 1998 à 2002 et qui ambitionne de reconquérir le pouvoir, déclare d’une voix sereine : « Nous voulons créer une autre économie. Car aujourd’hui, c’est le spéculateur qui gagne, pas celui qui a travaillé des années à la sueur de son front.(…) Notre économie repose sur des investissements étrangers… Nous voulons un pays qui s’appuie sur les entrepreneurs hongrois ! » Viktor Orban promet un « Etat solidaire et humain » qui baissera les prix du gaz et de l’électricité, réduira les charges sociales patronales de 10 points, donnera un quatorzième mois aux retraités et augmentera le salaire minimum…
C’est un retour au passé, un voyage nostalgique vers l’Etat providence des années Kadar, ces années paisibles du « socialisme du goulach », durant lesquelles l’Etat remplissait les frigidaires à condition que les citoyens ne s’occupent pas de politique. Le discours de l’ancien Premier ministre n’a rien à voir avec la politique menée par le Fidesz lorsqu’il était au pouvoir. La droite avait alors conduit une politique libérale, procédant à de nombreuses privatisations, notamment dans le secteur hospitalier. Mais la foule qui applaudit Orban n’en a cure. Pour elle, ce discours anti-capitaliste et anti-mondialiste est du baume au cœur. Car si la Hongrie surfe sur une croissance moyenne de 4,3 %, les habitants de Pétervasar, ville du Nograd, l’une des régions les plus pauvres du pays, disent ne pas en voir les retombées.
Châtiments corporels à l’école
La ville affiche un taux de chômage de 20 % contre une moyenne nationale de 7%. « Il n’y a pas d’investissement, pas de création d’emplois » déplore Ibolya Laszlo, 47 ans, cuisinière à l’Ecole technique locale. Avec le salaire de son mari, homme à tout faire à la mairie, le couple gagne 150 000 forints nets par mois (560 euros) ; une fois leurs charges payées, il leur reste l’équivalent de 370 euros mensuels pour vivre, alors qu’ils ont encore une fille à charge et que l’alimentation et l’essence coûtent aussi cher qu’en France. « On vit plus mal qu’avant », constate le mari, Istvan. Selon lui, « il faudra attendre 4 ou 5 ans avant que l’on voie les bénéfices de l’adhésion à l’Union européenne ». Le couple vote régulièrement pour le Fidesz. « Orban est humain, c’est un homme honnête », estime Ibolya.
Julia Repas, fervente militante du Fidesz, a habillé ses trois enfants de K-way oranges distribués par le parti. « Les socialistes hongrois (actuellement au pouvoir, NDLR), veulent le retour des soviétiques » affirme-t-elle. Julia avait été candidate au poste de comptable en chef à l’hôpital de la région où elle travaille, mais c’est « un sympathisant du parti socialiste qui l’a eu » dit-elle. « C’est comme avant ; si on n’est pas un ‘camarade’, on n’obtient rien ».
Pétervasar illustre le fossé qui, en Hongrie, sépare les villes de la province. Ici, peu de choses ont changé depuis la chute du communisme. Alors, à chaque élection législative, la majorité bascule. En 1998, le candidat du Fidesz avait gagné la circonscription avec 51,35 % des suffrages. En 2002, le socialiste avait coiffé son rival au poteau au deuxième tour, avec seulement quelques centaines de voix d’avance. Cette fois, Pétervasar pourrait bien retomber dans le giron du Fidesz. Mais ce ne sont pas seulement les promesses qui pourraient faire gagner la droite, ici et peut-être dans tout le pays. C’est l’efficacité de sa campagne, organisée avec d’anciens conseillers du président Clinton. Le « door-to-door », la campagne du porte-à-porte très pratiquée dans les pays anglo-saxons, a été menée tambour battant et notamment lors d’élections partielles dans deux villes, il y a trois semaines. Le résultat a été spectaculaire : le Fidesz a gagné avec 20 % d’avance sur la gauche.
Mais la virulence de la campagne du Fidesz, destinée à recueillir les voix de l’extrême droite, pourrait aussi lui faire perdre des voix au centre. Les conservateurs modérés ne voient pas d’un bon œil certaines propositions comme l’instauration du catéchisme obligatoire et des châtiments corporels à l’école, ou encore l’octroi de la citoyenneté et le droit de vote aux Hongrois des pays voisins. Ainsi, déclare un politicien du Fidesz, « nous garderons le pouvoir pendant 20 ans ». Si ces électeurs font défaut et s’orientent vers les petits partis du Forum démocratique (centre droit) ou l’Alliance des démocrates libres, le Fidesz aura perdu son pari : rafler toutes les voix du camp conservateur.
par Florence La Bruyère
Article publié le 09/04/2006 Dernière mise à jour le 09/04/2006 à 10:28 TU