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Musée du quai Branly

La grande nef futuriste de Jean Nouvel

Les caissons suspendus sur la façade du musée abriteront les pièces particulièrement rares.(Photo : Nicolas Borel)
Les caissons suspendus sur la façade du musée abriteront les pièces particulièrement rares.
(Photo : Nicolas Borel)
Le musée du quai Branly a été conçu pour se découvrir et se révéler progressivement à la curiosité du visiteur. Il se repère toutefois immédiatement dans le paysage urbain : il ne ressemble « ni une banque, ni un centre de la sécurité sociale », explique son concepteur, l’architecte Jean Nouvel. « On atteindra le musée par une série de filtres », explique celui-ci car « ici l’illusion berce l’œuvre d’art. (…) le jardin parisien devient un bois sacré et le musée se dissout dans les profondeurs ». Epousant la courbure douce de la Seine au pied de la tour Eiffel, juché sur pilotis, prévu pour être -à terme- niché dans la verdure, le musée s’organise autour de quatre bâtiments distincts. Pour édifier cette longue passerelle, entourée de verdure et éclairée, la nuit, par un lac d’eau-lumière, il a fallu surmonterde grosses contraintes environnementales.

A l'ombre de la tour Eiffel, un mystérieux bâtiment couvert de 800m2 de verdure...(DR)
A l'ombre de la tour Eiffel, un mystérieux bâtiment couvert de 800m2 de verdure...
(DR)

Le nom du musée édifié par Jean Nouvel porte en lui-même son adresse, musée du quai Branly : plan de Paris en main, il suffit de traverser le pont d'Iéna en piquant sur la tour Eiffel. A l’ombre de celle-ci, sur la gauche, et longeant la Seine, un mystérieux bâtiment couvert de quelque 800 m² de verdure donne le premier signalement d’un musée qui se cherche et se devine. Abritée derrière une palissade de verre (un rempart phonique) et quelques arbres de hautes futaies -dont les frondaisons flirtent avec la terrasse du restaurant situé sur le toit du musée- émerge alors la grande nef, haute de 12 mètres et longue de 200 mètres. Il faut se donner un peu de mal pour trouver ? C’est étudié pour. Gilles Clément, qui a dessiné l’écrin de verdure pour le musée (18 000 m² de jardin), a imaginé « un espace souple, ondulant, où la distance ordinairement prise avec la nature se trouve remplacée par une scénographie d’immersion ».

«Le bâtiment de l'Université», tout de verre et de pierre et dont les plafonds ont été peints par des artistes arborigènes australiens contemporains.(Photo : Nicolas Borel)
«Le bâtiment de l'Université», tout de verre et de pierre et dont les plafonds ont été peints par des artistes arborigènes australiens contemporains.
(Photo : Nicolas Borel)

L’ensemble comprend quatre bâtiments. Le premier, « le bâtiment musée », développé sur cinq niveaux constitue le cœur du projet et se décline en espaces aux géométries variables dont les caissons en bois suspendus sur la façade ne constituent, par exemple, qu’un des éléments : sorte de cabinets de curiosités, ils abriteront des pièces particulièrement rares ou précieuses. Le second, « le bâtiment Branly », adossé à un immeuble haussmannien et couvert de quelque 150 variétés de plantes, est dévolu aux services administratifs. Entre les deux, et relié à chacun par des passerelles transparentes, « le bâtiment Auvent -ou Samouraï-» , abrite sur 1 300 m² la médiathèque, le salon de lecture, et une salle de consultation des fonds spéciaux. Le quatrième, « le bâtiment de l’Université », tout de verre et de pierre vêtu et dont les plafonds sont couverts de fresques -peintes par des artistes aborigènes australiens contemporains- est, quant à lui, consacré aux ateliers de restauration où les œuvres transiteront avant d’être exposées, conservées ou restituées aux pays d’origine qui les confieront.

« Paysages enchevêtrés de l’univers animiste »

La longue passerelle du musée, hérissée par endroits d'étranges couteaux oranges : des «<em>brise-soleil reprenant la forme des sabres de samouraï</em>».(Photo : Nicolas Borel)
La longue passerelle du musée, hérissée par endroits d'étranges couteaux oranges : des «brise-soleil reprenant la forme des sabres de samouraï».
(Photo : Nicolas Borel)

« Ce lieu doit être une invitation à la rencontre et à la découverte. Le bâtiment se lit à travers un filtre (…). On devine qu’il s’agit d’un bâtiment voué à des cultures qui ne sont pas celles de notre pays », déclare Jean Nouvel. Le fait est : le musée du quai Branly se cherche sans passer inaperçu. Côté Seine, la longue passerelle est habillée de différents matériaux : ici ce sont des palissades en bois et des sortes de cabanes aux couleurs brune, ocre et sable, accolées et suspendues à la façade; là elle est couverte de parois en métal et en verre sérigraphié : les ombres des feuillages viennent se refléter pour donner plus de densité à la verdure des arbres qui manquent encore de maturité; ailleurs, elle est hérissée d’étranges couteaux oranges : « ce sont  des brise-soleil aux tons bruns reprenant la forme des sabres de samouraï, d’où le surnom donné au bâtiment », explique Patrick Januel, directeur général adjoint de la maîtrise d’ouvrage.

Si l’on choisit en revanche d’accéder par la rue de l’Université, parallèle à la Seine, le regard devra (d’ici, certes, quelques années car les arbres sont encore jeunes) fouiller la végétation, et se faufiler entre les floraisons de magnolias et les graminées, les bulbes et les bambous. Sentiers, petites collines, bassins et chemins dallés de pierres de torrent devraient, à terme, être entourés d’une végétation légère renvoyant aux « paysages enchevêtrés de l’univers animiste » comme autant d’invitations à la rêverie et à la méditation. Le soir venu, le ventre du bâtiment sera éclairé par un lac d’eau-lumière. « Ce lac est l’œuvre de Yann Kersalé, un artiste, et non pas un éclairagiste », souligne Jean Nouvel : il filtrera une lumière douce sous la longue passerelle, juchée sur pilotis.

Une réalisation d’envergure pour 235 millions d’euros

«<em>Les travaux d'assise de la construction ont été très complexes</em>» et ont largement participé à un dépassement de budget de près de 70 millions d'euros.(Photo : Nicolas Borel)
«Les travaux d'assise de la construction ont été très complexes» et ont largement participé à un dépassement de budget de près de 70 millions d'euros.
(Photo : Nicolas Borel)

Point de « tripaille technique » exhibée. Pourtant, à lui seul, le plateau des collections représente 4 750 m² et 26 poteaux portent ses 3 400 tonnes à dix mètres au-dessus du sol. Tout a été conçu pour faire oublier la matérialité de l’architecture. Jean Nouvel expliquait sa démarche dans une lettre d’intention pour le concours international d’architecture (1999) qu’il a remporté : « Seul le résultat compte (…) les poteaux, aléatoires dans leur positionnement et leur taille, se prennent pour des arbres ou des totems ». Le choix des matériaux a été effectué dans le plus grand respect des normes HQE (haute qualité environnementale) : ainsi, par exemple, les peintures ont été utilisées sans solvant, et la généralisation des espaces vitrés limite les besoins en éclairage : « Filtrés à 99%, et installés de part et d’autre du plateau des collections, ils contribuent à la climatisation du lieu en évitant le réchauffement de l’intérieur », explique le maître d’ouvrage.(http://www.inrap.fr/fichier_pdf/communique/communique_71.pdf)

Coût de l’opération : 235 millions d’euros au lieu des 167 millions prévus à l’origine : « les travaux d’assise de la construction ont été très complexes », plaide Stéphane Martin, le président du musée, ajoutant que « onze années de chantier, compte tenu de l’ampleur du projet, ne sont pas excessives ». Il a fallu déblayer les sols des vestiges de l’Exposition universelle de 1937, financer deux opérations de fouilles archéologiques, et créer -dans les fondations- une paroi moulée en béton ( 750 m de long sur quelque 30 m de profondeur) pour protéger les collections d’éventuelles crues de la Seine.

Que l’on se console, la réalisation est d’envergure. Au final, souligne l’ensemble de l’équipe, le bâtiment a le mérite d’être deux étages moins haut que le plan d’occupation des sols : ainsi, la cité de verdure et de lumière ne gâche en rien la vue des riverains sur la colline de Chaillot, de l’autre côté de la Seine. Mieux, de la terrasse du musée, le visiteur pourra profiter également d’une vue imprenable sur tout Paris.


par Dominique  Raizon

Article publié le 24/04/2006 Dernière mise à jour le 24/04/2006 à 14:42 TU