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Noirs, antisémites : qui est la tribu Ka ?

Dimanche dernier, la rue des Rosiers à Paris, a été le lieu d'incidents à caractère antisémite.(Photo : Greudin)
Dimanche dernier, la rue des Rosiers à Paris, a été le lieu d'incidents à caractère antisémite.
(Photo : Greudin)
Un groupuscule baptisé tribu Ka a semé la panique dans l’un des quartiers juifs de Paris dimanche dernier. Constitué d’une trentaine de membres, des Noirs radicaux, le groupe disait vouloir affronter des membres de groupes juifs radicaux (le Bétar et la Ligue de défense juive).

Selon les témoignages recueillis par la police parisienne, une trentaine de jeunes hommes, tous noirs, sont arrivés dimanche vers 17h rue des Rosiers. Cette rue, dans le 4e arrondissement de la capitale, est en plein coeur de ce que l'on appelle le « quartier juif » de Paris, appelé le Marais. Les 30 hommes, qui se réclament de la tribu Ka, ont défié les passants et les commerçants de la rue leur demandant notamment où étaient les patrons de la Ligue de défense juive (LDJ) et du Bétar  (des groupes juifs radicaux).

Ils ont effectué plusieurs allers-retours dans cette rue (longue de quelques centaines de mètres) avant de quitter les lieux sans avoir commis d'agression autres que verbales. Une vingtaine d'entre eux auraient été contrôlés un peu plus tard. La scène a été filmée et photographiée par l'un des membres du groupe et on retrouve d'ailleurs les images sur le site internet de cette tribu Ka.

La tribu Ka se présente comme un groupuscule, fondé en 2004 par un militant noir radical, Stellio Gilles Robert, surnommé Kemi Seba. Il a 24 ans, serait né à Strasbourg (dans l'est de la France) et a déjà été confronté à la justice au moins une fois à l’occasion d’une plainte pour « diffamation publique et incitation à la haine raciale » déposée par le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais. Le jugement est actuellement en délibéré.

« Nous sommes une secte, oui... et alors ? »

Kemi Seba se présente comme l'ancien porte-parole du parti kémite. Il a été proche de l'humoriste Dieudonné dont il avait assuré la sécurité avant que son groupe ne soit dissout, en décembre 2004. Dieudonné qui a pris ses distances, d'ailleurs, avec cette nouvelle entité qu'est la Tribu Ka.

Ce groupuscule se fixe pour objectif : « de remettre le véritable peuple élu (kémite de son vrai nom) à sa vraie place : celui de guide de l'humanité ». En fait, le discours de la tribu Ka est ouvertement antisémite, mais revendique également la séparation totale des Noirs et des « Leucodermes » (c'est ainsi que ses membres qualifient les Blancs). Une rhétorique assez délirante, faite de rejet de l'intégration (qu'elle considère comme un esclavage moderne) et de sectarisme. La tribu Ka le revendique, d'ailleurs, sur son site internet : « nous sommes une secte, oui... et alors ? »

Un mot de ce que la police sait de ce groupe. Les Renseignement généraux estiment qu'il est composé d'une quinzaine de membres actifs, identifiés et connus, plus une quinzaine de sympathisants, donc, au total 30 personnes.

Un contexte de tensions communautaires en France

Le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a demandé ce mardi à Pascal Clément (le ministre de la Justice) d’interdire leur site internet. Cela risque de prendre quelques jours, puisqu'il faut une décision judiciaire pour cela. Quant à interdire le mouvement, on peut imaginer une dissolution ordonnée, là aussi, par la Justice. Mais est-ce que ce serait efficace ? Dans ce genre de cas, me confiait un policier, on sait qu'un mouvement qui meurt d'un côté renaît, en général, assez rapidement de l'autre.

D'autant que, jusqu'ici, et en dehors d'un discours antisémite, les membres de la tribu Ka ne se sont rendus (a priori) coupables d'aucun délit, ni d'aucun crime. Nicolas Sarkozy a annoncé l'ouverture d'une enquête policière, mais de l'aveu de plusieurs policiers que nous avons contacté, il n'y a pas grand chose dans le dossier. Rien, en tout cas, qui permette de lancer une véritable enquête, si ce n'est de renseignement et de surveillance.

L’apparition de la tribu Ka intervient dans un contexte de tensions communautaires en France. En décembre 2003, l'humoriste Dieudonné avait été à l'origine d'une vaste polémique. Dans un sketch, il avait prononcé les mots « Heil Israël ! ». La référence au salut des soldats du 3e Reich avait suscité de violentes réactions et c'est à ce moment là qu'on a vu émerger, en France, des groupes radicaux comme le parti Kémite (qui avait été fondé un an plus tôt, mais était resté jusque là assez discret).

Un paroxysme : l’assassinat d’Ilan Halimi

Du côté de la communauté juive, le Bétar existe depuis de très nombreuses années. La LDJ (la Ligue de défense juive) est un peu plus récente. Les deux mouvements sont placés très à droite sur l'échiquier politique. Ils sont très actifs avec un discours souvent assez virulent dénonçant le négationnisme, l'antisémitisme et prenant position sur le conflit israélo-palestinien.

Ce rapport de force entre les communautés noire et juive a atteint son paroxysme au moment de l'affaire Ilan Halimi. Ce jeune vendeur de téléphones portables juif assassiné par une bande dirigée par un homme d'origine ivoirienne, Youssef Fofana. Lors de la manifestation qui avait suivi cet assassinat, on avait aperçu, dans le cortège, des membres du Bétar et de la LDJ.

Il existe un contexte de tensions entre groupes identitaires, ethniques ou religieux, mais au-delà de ça, bien souvent, à caractère plus territorial. Les violences dans les banlieues, au mois de novembre dernier, avaient montré à quel point toute une frange de la population française se sent exclue de la société. La crise sociale, le chômage (en particulier chez les jeunes) sont autant de facteurs de tension qui peuvent mettre rapidement le feu aux poudres.

Les événements de ce dimanche pourraient bien être que l'expression extrême d'un malaise bien plus diffus.



par Raphaël  Reynes

Article publié le 30/05/2006Dernière mise à jour le 30/05/2006 à 17:24 TU