Liban
«Une solidarité de circonstance avec le Hezbollah»
(Photo : AFP)
RFI : Comment le Hezbollah est-il perçu au Liban, une semaine après le début du conflit ?
Patrick Haenni : Le désaveu initial du Hezbollah s’est estompé. Au tout début de cette guerre, il y a eu un rejet fort de la stratégie du Hezbollah. Après les enlèvements des militaires israéliens, les Libanais disaient : «Ils nous engagent dans un conflit qui n’est pas le nôtre». Le calcul d’Israël a été d’insister sur cette division, en pensant qu’avec les frappes sur les populations civiles, les Libanais se retourneraient contre le Hezbollah. J’ai même vu deux tracts différents, envoyés par l’aviation israélienne pour démontrer la manipulation de la milice par les pays étrangers. Sur l’un d’eux, on voit le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, sortir d’une lampe, avec deux bombes à la main. Autour de lui, deux dresseurs de serpents : les présidents syrien et iranien. Sur la lampe est écrit : «A votre service !».
RFI : Cette propagande israélienne fonctionne-t-elle ?
P.H. : Non, cette propagande ne marche pas. Tout le monde en rit, car il s’est développé une solidarité de circonstance entre les groupes politiques et religieux et le Hezbollah. Par exemple, j’ai vu hier, à Tripoli, qui est un fief de l’islamisme sunnite, de nombreux prêches chiites, ce qui était impensable avant la guerre. Tout cela parce que l’armée du Hezbollah est la seule à pouvoir défendre le territoire.
RFI : L’Etat libanais n’a-t-il pas les moyens de se défendre ?
P.H. : La Résistance islamique, qui est l’armée du Hezbollah, est beaucoup plus puissante que l’armée libanaise. Mais surtout, l’armée libanaise est beaucoup trop fractionnée. Si Fouad Siniora, le Premier ministre, décidait une mise au pas du Hezbollah par l’armée, cela se solderait par son éclatement. Comme toute la société libanaise, le gouvernement n’a peur que d’une chose : que la société se fragmente. Et, aujourd’hui, nous sommes dans une logique militaire où la logique politique n’a plus lieu d’être. Il n’y a plus que les acteurs militaires qui parlent. Comme l’armée libanaise est trop faible, il ne reste plus que le Hezbollah. On voit d’ailleurs bien que le Premier ministre souffre de cette impuissance.
RFI : Le Hezbollah peut-il profiter de ce leadership temporaire ?
P.H. : A long terme, nous ne pouvons pas le dire, car cela dépendra de l’issue de la guerre. Ce qui est sûr, c’est que pour l’instant le conflit ne lui est pas défavorable. Au contraire, le Hezbollah pense que le temps joue pour lui, voire que la victoire est proche. Il n’a subi que très peu de pertes : quatre hommes, selon ses déclarations, mais si l’armée israélienne en avait compté d’autres, elle l’aurait tout de suite dit. Le Hezbollah a tout à gagner dans une escalade militaire, car il essaie d’acquérir une aura symbolique dans le monde musulman. Les discours d’Hassan Nasrallah, son chef, ont du reste beaucoup changé. Avant les frappes israéliennes, il exigeait principalement des échanges de prisonniers avec Israël. Aujourd’hui dans une sorte de gradation identitaire, le Hezbollah se voudrait défenseur de l’identité arabo-musulmane et de sa résistance face au monde occidental et aux Israéliens. Ses ministres au gouvernement libanais se présentent d’ailleurs déjà comme des «ministres de la résistance». Mais le soutien tacite que reçoit le Hezbollah au sein de la société libanaise n’est que temporaire. Le Liban n’a pas l’habitude des périodes d’Union sacrée.
Propos recueillis par Sébastien Farcis
Article publié le 20/07/2006Dernière mise à jour le 20/07/2006 à TU