Israël – Liban
Nazareth : le dilemme des Arabes israéliens
(Photo : Sonia Chironi / RFI)
De notre envoyée spéciale à Nazareth
«Je demande pardon à cette famille, je sais que les excuses ne sont pas suffisantes, j’en assume l’entière responsabilité. Ce n’était pas volontaire». Plus de 24 heures après la mort de deux enfants musulmans à Nazareth, la plus importante localité arabe d’Israël, le chef du Hezbollah libanais a fait son mea culpa. Pour Hassan Nasrallah, Rabia Taluzi, 3 ans, et son frère Mahmoud, 7 ans, sont des «martyrs du Liban, de la Palestine et de la Résistance».
Dans le quartier de Safafa, où la famille était venue rendre visite à un oncle quand le drame s’est produit, rares sont ceux qui osent blâmer le Hezbollah et son chef pour les événements de la veille. «Des deux côtés, ils doivent cesser les combats. Vous voulez que je m’en prenne à Nasrallah, mais je ne le ferai pas. Nous ne sommes pas meilleurs qu’eux, ils se font tuer et nous aussi. Je ne suis pas en colère contre lui», a déclaré un cousin de la famille dans la presse israélienne. Une réaction qui illustre le dilemme de nombreux Arabes israéliens, citoyens de l’Etat hébreu dont ils représentent un cinquième de la population, et solidaires du peuple libanais, voire du Hezbollah et de son combat contre Israël.
A Safafa, tout le monde est au moins d’accord sur une chose : cette roquette tombée sur un quartier musulman de Nazareth est une erreur de tir. «Ils ne l’ont pas fait exprès, c’est certain», assure une vieille dame, pour qui ce n’est «la faute de personne». Pour d’autres, s’il doit y avoir un responsable, c’est Israël. «Même si c’est une roquette du Hezbollah qui a tué les enfants, ils devraient être ajoutés à la liste des victimes libanaises», estiment des proches de la famille.
«Relâcher les prisonniers»
Dans la rue, des enfants continuent à jouer à l’endroit où la roquette s’est abattue la veille. Le bilan de la veille aurait pu être bien plus terrible. «Ils étaient une vingtaine à jouer dehors. Le mercredi, avec mes huit frères et sœurs et leurs enfants, nous avons l’habitude de passer la journée ici, chez nos parents», explique Rawia alors que toutes les femmes de la famille s’affairent autour d’elle pour finir de nettoyer la maison, qui n’a plus ni fenêtres, ni portes. «Mais cinq minutes avant l’explosion, nous les avons tous fait remonter pour les faire manger. Mon fils de 7 ans se tenait là, près de la fenêtre quand soudain il a crié : une roquette arrive ! Je n’ai pas pu croire à ce que j’entendais. Quelques secondes plus tard, il y a eu une énorme explosion. Et puis j’ai vu les deux enfants. L’un d’eux était déjà mort. L’autre a succombé à ses blessures en attendant les secours», raconte-elle en réprimant ses larmes, avant de s’écrier : «Ce sont nos enfants qui paient pour ce conflit ! Mon fils n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il avait tellement peur qu’il n’a même pas voulu se lever pour aller aux toilettes. Cette petite fille là, que vous voyez, elle était à côté de lui quand la roquette est tombée. Elle a vomi toute la nuit».
Quand on lui demande si elle est en colère contre le mouvement chiite, Rawia répond qu’elle en veut aux deux côtés, au Hezbollah et au gouvernement israélien. Difficile de savoir si elle dit vrai, quelques instants plus tôt, le chef de famille est intervenu pour ordonner aux femmes de surveiller leurs propos devant une journaliste pour ne pas avoir de «problèmes». Quoi qu’il en soit, Rawia espère que la mort de ces enfants poussera les deux camps à trouver un accord pour «mettre fin à cette guerre inutile». «Nous en avons assez. Nous voulons la paix, une vie normale pour nos enfants. S’ils le décident, en cinq minutes, ils peuvent tout arrêter». Comment ? Elle hésite, puis finit par répondre : «En relâchant les prisonniers, de part et d’autre».
par Sonia Chironi
Article publié le 21/07/2006Dernière mise à jour le 21/07/2006 à TU