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Liban

Ces irréductibles qui refusent de fuir

Dans la banlieue sud de Beyrouth, 25 juillet. L'armée israélienne menace de détruire dix immeubles pour chaque roquette de Katioucha tirée sur le nord d’Israël. 

		(Photo : AFP)
Dans la banlieue sud de Beyrouth, 25 juillet. L'armée israélienne menace de détruire dix immeubles pour chaque roquette de Katioucha tirée sur le nord d’Israël.
(Photo : AFP)
Des centaines de milliers de Libanais ont fui les raids israéliens pour trouver refuge dans des écoles, des stades sportifs et des jardins publics. Mais d’autres refusent de quitter leurs maisons exposées aux bombes israéliennes. Ils sont rejoints par une poignée d’étrangers qui ont choisi, eux aussi, de rester.

De notre correspondant à Beyrouth

«Je ne quitterai ma maison que pour rejoindre le Très-Haut». Riwa n’a que 32 ans mais elle est déjà sept fois mère. Comme plusieurs centaines de familles chiites, elle refuse de quitter son modeste appartement dans la banlieue sud de Beyrouth pour un lieu plus sûr. Pourtant, les bombes israéliennes peuvent à tout moment réduire son immeuble en ruines. Deux rues plus loin, il ne reste presque plus rien du quartier de Haret-Hreik, qui abritait le QG du Hezbollah et les maisons de la plupart de ses chefs. Des montagnes de gravats s’élèvent désormais à la place des bâtisses de dix étages. Il s’en dégage une désagréable odeur de poudre. Mais cela ne semble pas émouvoir Riwa, pas plus d’ailleurs que les menaces de l’armée israélienne de détruire dix immeubles pour chaque roquette de Katioucha tirée sur le nord d’Israël.

Refuser de fuir, c’est résister

«En 25 ans, j’ai été chassée à quatre reprises de chez moi, se souvient amèrement la jeune femme. Je n’avais que cinq ans lors de mon premier exode. Ma vie est faite d’exils, de souffrances, d’images de mon père et de mes frères entassant à la hâte matelas, couvertures et casseroles dans un taxi pour fuir le village sous les bombes israéliennes. Jamais plus je ne vivrai cela. Je préfère mourir ici, avec mes enfants». Riwa héberge dans son appartement du rez-de-chaussée quatre familles qui habitent les étages supérieurs généralement plus exposés aux raids israéliens. Ses voisins aussi refusent de quitter la banlieue sud, bien que l’approvisionnement en nourriture et en produits de première nécessité devienne de plus en plus difficile. Pas question d’aller rejoindre le demi-million de réfugiés entassés dans les écoles publiques et les stades sportifs de Beyrouth et des autres régions du pays.

«Plus aucune région n’est épargnée par les bombardements israéliens, explique Ahmed, la cinquantaine. Alors autant rester chez soi et garder sa dignité. Dépendre de l’aide fournie par les associations humanitaires est dégradant. Jamais personne n’est mort de faim». Pour Siham, rester dans la banlieue sud est une forme de résistance à l’Etat hébreu. «A chaque guerre, Israël commence par pousser les habitants à l’exode, affirme cette jeune comptable. Son but est de vider les villes et villages pour utiliser les déplacés comme carte de pression sur le gouvernement et le Hezbollah. En restant sur place, on fait échec à ses plans». Les enfants, sauront-ils un jour surmonter les traumatismes provoqués par les raids et les images insoutenables des morts et des blessés? «Cela fait quarante ans que nous sommes en guerre avec Israël. Il faut que les jeunes apprennent ce qu’est la guerre. C’est leur destin», répond Ahmed avec fatalité.

Des étrangers qui restent

Certes, l’écrasante majorité des habitants de la banlieue sud ont fui cette région de quatre kilomètres carrés, habitée par un demi-million de chiites. Les rues sont désertes, les commerces ont baissé leurs rideaux. Mais entre deux raids, des têtes pointent des fenêtres, comme pour prendre une bouffée d’oxygène en attendant le prochain passage des chasseurs-bombardiers israéliens. Profitant des périodes d’accalmie, des pères de familles sortent en rasant les murs pour aller faire des emplettes chez un épicier encore ouvert. «L’eau potable, le lait pour enfant, les couches et les médicaments sont introuvables, se plaint Zouhair. Le haut comité de secours nous a promis du ravitaillement. On attend en vain depuis trois jour». Il lève brusquement la tête et scrute le ciel d’un œil craintif. Au loin, le vrombissement des avions israéliens se fait entendre. «Ils reviennent, allons-nous en», dit-il en entraînant ses trois fils.

Ces familles qui ont choisi de braver tous les dangers sont rejointes par une poignée d’étrangers qui ont refusé de se faire évacuer. Ils sont quelques dizaines de Français, de Canadiens et même d’Américains, à avoir choisi de partager le sort des Libanais. C’est le cas de Thomas, un jeune enseignant français qui s’est porté volontaire dans une association d’aide aux déplacés. «J’avais fait ma valise et je m’apprêtais à prendre le bateau affrété pour l’évacuation des ressortissants français, explique-t-il en triant des médicaments. A la dernière minute, j’ai changé d’avis. Je n’ai pas pu m’en aller et laisser derrière moi mes amis, mes voisins, ma vie quoi. J’aime trop ce pays. Ca me fait mal au cœur de le voir en train d’être détruit sous mes yeux. Je veux partager le sort de ce peuple».

A l’heure où parle Thomas, les combats font rage au Liban sud. L’armée israélienne se rapproche de la localité de Bint-Jbeil. Son aviation et son artillerie pilonnent la région de Tyr. Une nouvelle vague de déplacés est attendue dans les heures qui viennent. Une routine triste et meurtrière que rien ne semble pouvoir rompre.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 25/07/2006Dernière mise à jour le 25/07/2006 à TU

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(©AFP/Bourgoing/RFI)