Liban
Hassan Nasrallah, ce chiite que les sunnites admirent
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
Depuis l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, jamais un Arabe n’aura été autant adulé par les foules, du Maroc à l’Irak, en passant par le Levant et le Golfe. Pourtant, Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais, est un chiite, une communauté minoritaire dans un monde arabe et musulman à majorité sunnite. Cela n’empêche pas les Frères musulmans d’Egypte, les sunnites de Jordanie, ceux des Territoires palestiniens et du Koweit, ou même d’Indonésie, de Turquie, du Pakistan et de bien d’autres pays encore, de brandir son portrait et de scander des slogans à la gloire de ce cheikh et de son parti qui tiennent tête à la puissante armée israélienne depuis presque un mois.
Cet homme de 46 ans, devenu le héros de dizaines de millions d’Arabes et de musulmans, est certes une personnalité forte et charismatique. Mais cela ne suffit pas pour expliquer l’extraordinaire élan de sympathie qu’il suscite chez les foules. «Pour les peuples arabes, Hassan Nasrallah incarne le contraire des rois et des chefs d’Etat qui ont baissé les bras devant Israël sans avoir obtenu aucun de leurs droits, explique Eliane Nahas, sociologue. Les masses frustrées voient en lui le leader déterminé et crédible qu’elles auraient souhaité avoir».
Admiré par les Arabes, haï par les Israéliens, Hassan Nasrallah s’est forgé au fil des ans une réputation d’homme simple, calme, sûr de lui, qui ne vit que pour un seul objectif : lutter contre Israël. La mort de son fils aîné, Hadi, lors d’un affrontement avec l’armée israélienne en 1997, a complété cette image du chef partageant les souffrances de ses hommes et qui a dédié son existence à sa cause. Son enfance explique en grande partie l’extrême sensibilité de Hassan Nasrallah à la question palestinienne, son attachement aux «causes des déshérités», comme il le rappelle à chacun de ses discours, et sa grande connaissance des complexités du système politico-communautaire libanais.
Etudiant dans les villes saintes d’Irak et d’Iran
Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960 dans le quartier de la Quarantaine, non loin du port de Beyrouth. A l’époque, des masures de bois et de tôle abritaient là un extraordinaire melting-pot de la misère. Les chiites pauvres venus du Liban-Sud se mêlaient aux réfugiés palestiniens, à des Kurdes et à des Arméniens, qui se partageaient ce bidonville aux portes de la capitale. Dès son plus jeune âge, Hassan Nasrallah s’est imprégné des petites histoires des «ces peuples sans terre» que sont les Palestiniens, les Kurdes et les Arméniens. Il écoute les plus vieux raconter les souffrances de l’exode, l’atrocité des massacres, les rêves brisés.
Hassan Nasrallah est l’aîné d’une famille de neuf enfants dont le père, Abdel Karim, n’est pas particulièrement porté sur les questions religieuses. C’est en solitaire que le jeune Hassan s’initie à la religion et au chiisme. Les années qu’il passe à l’école publique de Sin el-Fil, un quartier mixte à l’est de Beyrouth, lui permettent de découvrir aussi le visage chrétien du Liban. Au début de la guerre civile, en 1976, le bidonville de la Quarantaine est détruit. Abdel Karim Nasrallah emmène alors sa famille dans son village d’origine, Bazourié, près de Tyr au Liban-Sud. Mais Hassan a d’autres projets. Il veut aller à Najaf, la ville sainte du chiisme arabe en Irak, pour y poursuivre des études de théologie. Il a 16 ans à peine quand il rencontre, là-bas, le grand imam Mohammed Baker al-Hakim, fondateur du parti al-Daawa, qui lui donne comme tuteur un étudiant libanais, Abbas Moussaoui. Les deux jeunes gens ne se quitteront plus.
Du Amal au Hezbollah
Lorsqu’à partir de 1978 Saddam Hussein intensifie sa répression contre les milieux religieux chiites et emprisonne des centaines d’étudiants en théologie, Hassan Nasrallah réussit à passer à travers les filets. De retour au Liban, il réintègre les rangs du Mouvement «Amal» qu’il avait déjà fréquenté à Bazourié. Fondé par l’imam libanais Moussa Sadr, cette organisation chiite est aujourd’hui dirigée par le président du Parlement, Nabih Berry. Pendant quatre ans, Hassan Nasrallah gravit les échelons au sein du mouvement. Mais il fait partie d’un courant de plus en plus sensible aux idées défendues par l’ayatollah Khomeiny qui vient de renverser le chah d’Iran.
Au lendemain de l’invasion israélienne de 1982, Hassan Nasrallah juge trop «modérée» l’attitude de Nabih Berry. Il rejoint alors un groupe de militants du mouvement Amal et du parti al-Daawa qui décident de fonder le Hezbollah. D’inspiration islamiste, imprégné des idées khomeinistes, ce nouveau parti se fixe comme objectif de «libérer le Liban de l’occupation israélienne à travers la lutte armée». A 22 ans, Hassan Nasrallah fait donc parti du noyau fondateur du Hezbollah mais il n’est pas encore membre du directoire suprême. Chargé de la «mobilisation» au sein du nouveau parti, il devient ensuite responsable pour les régions de Baalbeck et, plus tard, de l’ensemble de la Békaa, considéré aujourd’hui comme l’un des viviers du Hezbollah.
Hassan Nasrallah, qui ne rêve que de poursuivre ses études de théologie interrompues en Irak, voit la chance lui sourire en 1989. Il se rend donc à Qom, la ville sainte chiite d’Iran. Mais lorsque des combats fratricides éclatent entre le Hezbollah et Amal, il est rappelé d’urgence au Liban. Il jouera un rôle important dans le règlement de cette guerre inter-chiites qui fera des milliers de morts. Il s’agissait en fait d’une lutte syro-iranienne pour le contrôle de cette communauté. Elle se terminera par une solution médiane qui permettra au Hezbollah d’entamer son long chemin vers sa libanisation.
Chef militaire et politique au Liban
Lorsque le secrétaire général du parti qui n’était autre que son ami Abbas Moussaoui est assassiné par Israël, en février 1992, le choix de la direction suprême se porte sur Hassan Nasrallah pour lui succéder. Il n’a encore que 32 ans. Ce choix s’explique par ses compétences militaires, son pragmatisme et son esprit d’ouverture. En effet, la guerre civile libanaise vient de se terminer. Et à l’intérieur du Hezbollah, le débat sur l’attitude à adopter a déjà commencé. Faut-il intégrer la vie politique nationale ou, au contraire, rester à l’écart du jeu interne libanais ? C’est la première option, défendue par Hassan Nasrallah, qui l’emporte. Quelques mois plus tard, le parti participe aux premières élections législatives de l’après-guerre, se posant en force politique incontournable.
Sur le plan militaire, Hassan Nasrallah s’était employé, pendant des années, à transformer le Hezbollah, organisant sa milice en véritable force de guérilla. Au milieu des années 80, les combattants du Hezbollah menaient des attaques frontales, dites à «l’iranienne», contre les positions israéliennes au sud du Liban, laissant sur le terrain des dizaines de morts. Petit à petit, la stratégie militaire a changé sous l’impulsion de Nasrallah. Elle est devenue plus efficace et mieux ciblée. Les résultats sont spectaculaires. Soumise à un insupportable harcèlement, l’armée israélienne a dû se retirer unilatéralement du Sud, sans accord politique, en 2000. Une première depuis le début du conflit israélo-arabe.
Esprit de synthèse
La libération du sud du Liban a consacré Hassan Nasrallah en héros national, d’autant qu’aucun incident ou représailles n’ont eu lieu dans les régions évacuées. La force de Hassan Nasrallah provient de sa capacité à faire la synthèse entre chiisme arabe et iranien, entre islamisme et nationalisme arabe, entre le visage occidental du Liban et son appartenance au monde arabe. 2004 a marqué un tournant avec l’adoption de la résolution 1559 qui exige le «désarmement de toutes les milices».
Le «sayyed», un titre attribué aux descendants du prophète Mahomet, doit faire face à de fortes pressions internes et internationales. Mais pour sa part, Hassan Nasrallah estime que sa tâche n’est pas terminée tant que les fermes de Chébaa ne sont pas restituées par Israël et que les Libanais détenus dans les prisons israéliennes ne sont pas libérés. Aujourd’hui, il mène le plus dur combat de sa vie. Le dernier, assurent ses détracteurs. Une bataille dans une guerre qui est loin d’être finie, promettent ses partisans.
par Paul Khalifeh
Article publié le 09/08/2006Dernière mise à jour le 09/08/2006 à TU