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Liban

La crainte d'un «protectorat international»

Les forces internationales tardent à se déployer le long de la frontière israélo-libanaise. Pour les Libanais, «le pays est soumis à un blocus israélien et international». 

		(Photo: AFP)
Les forces internationales tardent à se déployer le long de la frontière israélo-libanaise. Pour les Libanais, «le pays est soumis à un blocus israélien et international».
(Photo: AFP)

Le retard dans la formation de la Finul, les hésitations européennes à y participer activement, la poursuite du blocus maritime israélien et les entraves mises à la reprise des liaisons aériennes commerciales au Liban, amplifient les inquiétudes de la population. Les Libanais craignent que leur pays ne soit placé sous «protectorat international»   


De notre correspondant à Beyrouth

«Je fais revenir mon épouse et mes enfants des Etats-Unis, mais sans convictions. La trêve est fragile et toutes ces solutions ne sont que provisoires. La guerre peut recommencer à n’importe quel moment». André est inquiet pour l’avenir du Liban. Cet enseignant de littérature française dans un lycée de Beyrouth a perdu confiance dans la communauté internationale. «Les grandes puissance ont regardé Israël détruire le Liban sans broncher, dit-il. Et maintenant, elles sont incapables de mettre en œuvre la résolution 1701» du Conseil de sécurité, votée le 12 août. Marwan Iskandarani, qui habite le quartier sunnite de Zarif, a les mêmes angoisses. «Pendant six ans, la communauté internationale a réclamé l’envoi de l’armée libanaise au Sud, dit-il. Lorsque cela s’est enfin produit, elle ne semble plus pressée de voir les troupes régulières se déployer à la frontière».

La vie n'a pas repris son cours normal

Une grande partie de la population partage les mêmes appréhensions. Certes, les canons se sont tus le 14 août, mais la vie n’a pas encore retrouvé son rythme normal. Les indices inquiétants sont trop nombreux. Les violations de l’espace aérien libanais par l’aviation israélienne sont quotidiennes, le blocus maritime n’a toujours pas été levé, les liaisons aériennes n’ont été que partiellement rétablies, les troupes israéliennes sont toujours présentes dans neuf positions au sud du Liban et poursuivent leurs opérations de basse intensité.

Les vols à partir et à destination de Beyrouth ont repris en début de semaine mais uniquement via Amman. Seuls les avions de la compagnie nationale sont autorisés à venir au Liban. A l’aller comme au retour, ils doivent faire une escale d’une heure dans la capitale jordanienne où des mesures de sécurité très strictes sont observées à la demande d’Israël.

Au sud du Liban, les troupes israéliennes multiplient les provocations. Lundi, des bulldozers ont pénétré à Markaba, dans le secteur oriental, et ont détruit les routes menant au village pour empêcher les habitants de retourner chez eux. Des soldats israéliens ont également tiré en direction des membres d’une équipe qui tentait de réparer les dégâts dans les installations électriques. A Chameh, dans le secteur occidental, les militaires israéliens ont échangé des tirs avec des combattants du Hezbollah.

L’armée libanaise suspend son déploiement

L’armée libanaise a suspendu son déploiement dans les secteurs central et occidental en attendant le retrait israélien. Mais Israël refuse d’évacuer ses positions avant la venue des forces internationales. Et celles-ci tardent à voir le jour en raison des hésitations des pays contributeurs qui souhaitent des «garanties» et des «règles d’engagements précises qui font défaut dans la 1701». Un cercle vicieux dans un environnement explosif.

Les Libanais, qui croyaient trouver un peu de réconfort auprès de l’émissaire de Kofi Annan, ont été surpris par ses propos. Terje Roed-Larsen a estimé, mardi, que la situation au Liban va rester «fragile pendant encore deux ou trois mois». «Notre estimation est que pendant les deux à trois prochains mois, il y aura de fortes vulnérabilités au Liban», a expliqué le responsable onusien, qui s'exprimait en Israël. «La situation est encore extrêmement fragile, extrêmement compliquée et extrêmement dangereuse. Des incidents fortuits peuvent déclencher de nouvelles violences capables de s'intensifier et de devenir incontrôlables», a déclaré Roed-Larsen.

L'Onu a demandé à Israël de se garder d'utiliser la force pour «empêcher le Hezbollah de se réapprovisionner en armes», affirmant qu'une telle initiative constituerait une violation de l’arrêt des hostilités. «Il est déraisonnable d'agir en violation de la résolution du Conseil de sécurité», a déploré l’envoyé de Kofi Annan. Mais beaucoup de Libanais pensent que les Nation unies ne font pas preuve d’assez de fermeté avec Israël pour qu’il accélère le retrait de ses troupes et lève le blocus qu’il impose au pays. Le quotidien al-akhbar titrait en Une, mardi: «Le Liban soumis à un blocus israélien et international». «Ils veulent transformer le Liban en un immense Gaza avant de le placer sous protectorat international», écrit le chroniqueur politique du journal. Mercredi, le rédacteur en chef et éditorialiste écrit: «Une occupation par des casques bleus».

Les hésitations de la France à prendre la tête de la Finul et à y participer activement ont alimenté les inquiétudes. L’Italie a annoncé qu’elle acceptait d’envoyer quelque 2 200 hommes pour former le noyau de cette force de 15 000 soldats. Mais elle réclame des garanties et exige d’Israël un «engagement renouvelé» de respecter le cessez-le-feu. Les ministres européens des Affaires étrangères et Kofi Annan se réuniront vendredi à Bruxelles pour discuter des contributions des pays européens à la force internationale. Selon le quotidien français Le Monde qui cite mardi des documents confidentiels de l'Onu, la Finul élargie pourrait être autorisée à ouvrir le feu pour se défendre, protéger les civils ou désarmer les miliciens qui se trouveraient sur le passage des casques bleus. Elle n'aurait toutefois pas pour mission de rechercher activement les armes du Hezbollah, ni de s'interposer en cas de reprise des combats. Le désarmement du Parti de Dieu incomberait à l'armée libanaise. Et celle-ci a déjà annoncé que ce point ne fait pas partie sa mission.

Le fossé est profond entre les interprétations libanaise et israélienne de la résolution 1701. Si une synthèse entre les deux visions n’est pas trouvée au plus vite, le prochain round de la guerre, promis par les responsables israéliens, pourrait commencer plus tôt que prévu.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 23/08/2006 Dernière mise à jour le 23/08/2006 à 11:50 TU