Egypte
Disparition du romancier Naguib Mahfouz
(Photo : AFP)
Naguib Mahfouz est né au Caire en 1911 dans le vieux quartier de Gamâleya. Dernier enfant d’une fratrie plus âgée, il grandit en fils unique chez des parents issus de la petite bourgeoisie. Comme nombre d’enfants esseulés, il développe très jeune un goût marqué pour la lecture et montre des goûts éclectiques qui le transportent de la littérature occidentale à la philosophie en passant par les lectures scientifiques. En 1919, cet enfant curieux assiste au soulèvement populaire contre la présence anglaise et à la sanglante répression qui s’ensuit. Ce bain de sang marquera durablement son esprit. Lui-même dira plus tard que sa conscience politique est née durant ces terribles journées.
Quelques années plus tard, sa famille quitte le quartier de Gamâleya pour celui, plus résidentiel d’Abbâsseyya. Mais le jeune Mahfouz restera indéfectiblement attaché aux rues qui l’ont vu naître au point d’y situer une large part de son œuvre. En 1930, il fréquente l’université du Caire où il obtiendra une maîtrise de philosophie. Ses études achevées, il entame une carrière dans l’administration, qu’il n’abandonnera pas, même une fois devenu l’écrivain de renom que l’on sait.
Les pharaons d’abord
S’il a publié quelques nouvelles, un genre qui lui est cher, dans la presse durant ses études, Naguib Mahfouz consacre ses premiers ouvrages à la civilisation et à l’histoire de son pays. L’Egypte ancienne (1932) précède La Vanité des destins (1939), Radôbîs (1943) et Le Combat de Thèbes (1944). Ensuite, l’auteur publiera un roman presque chaque année de sa vie excepté pendant les périodes où il est occupé à réfléchir à une nouvelle orientation de son œuvre. Ainsi son souci d’innovation perpétuelle le conduit-il à publier en 1948 Le Mirage, un livre qui emprunte largement aux théories freudiennes sur la psychanalyse.
Le point d’orgue de son œuvre dans le style réaliste sera la célèbre trilogie (Impasse des deux Palais (1956), Le Palais du désir (1957) et Le Jardin du passé (1957) qui emmènent le lecteur sur les traces d’une famille de la moyenne bourgeoise cairote entre 1917 et 1944. L’ensemble est prétexte à la création d’une fresque à la fois historique et naturaliste telle qu’il n’en existe aucune jusque-là dans le roman arabe. Ensuite Mahfouz réalisera de nouvelles prouesses stylistiques en empruntant toujours à des genres nouveaux. La richesse de son œuvre est telle qu’Edouard Saïd a écrit à son propos «Il n’est pas seulement un Hugo ou un Dickens mais aussi un Galsworthy, un Mann, un Zola et un Jules Romain.»
Premier Nobel arabe
Des décennies d’écriture menées dans la discrétion, au prix d’une discipline sans faille et d’une hygiène de vie rigoureuse vont faire du petit homme, par ailleurs fonctionnaire modèle, un écrivain de renommée mondiale. Sa notoriété s’étend rapidement bien au-delà du monde arabe et l’écrivain cairote est traduit en anglais, en français et dans de nombreuses autres langues. L’âge venant, Naguib Mahfouz se passionne toujours pour l’être humain, ses richesses et ses vicissitudes. Il collabore également au célèbre journal al-Ahrâm et anime les cercles de la vie littéraire égyptienne. Son observation de la vie sociale enrichit ses nouvelles œuvres et les années qui passent n’enlèvent rien à l’acuité de son regard. Désireux d’inscrire la littérature dans l’histoire, il sait aussi questionner celle-ci et les pouvoirs en place. L’un de ses livres Awlad Haratina, (1959), jugé trop iconoclaste, est aujourd’hui encore interdit en Egypte. Il sera pourtant beaucoup pardonné à l’écrivain qui, en 1988, reçoit le premier Prix Nobel de littérature décerné à un auteur de langue arabe.
Rescapé en octobre 1994 d’un attentat islamiste qui a failli lui coûter la vie, Naguib Mahfouz avait choisi de vivre ses dernières années en reclus. Mais l’homme qui ne sortait plus guère écrivait et dictait toujours nouvelles et réflexions. Autant de trésors que ses fidèles lecteurs attendent comme un ultime message.
par Geneviève FIDANI
Article publié le 30/08/2006 Dernière mise à jour le 30/08/2006 à 08:55 TU
Ouvrages disponibles en français :
La Malédiction de Râ, 1939 (roman, trad. française 1998)
L’Amante du pharaon, 1943 (roman, trad. française 2005)
La Belle du Caire, 1945 (roman, trad. française 2000)
Le Cortège des vivants : Khan al-Khalili, 1946 (roman, traduction française 1999)
Passage des Miracles, 1957 (roman, trad. française 1970)
Chimères, 1948(roman, trad. française 1992)
Vienne la Nuit, 1949 (roman, trad. Française 1996)
La Trilogie du Caire :
Volume I : Impasse des Deux-Palais,Bayn al-Qasrayn, 1956(roman, trad. française, 1987)
Volume II : Le Palais du désir, 1957 (roman, trad. française 1987)
Volume III : Le Jardin du passé, 1957 (roman, trad. française 1989)
Les Fils de la médina, 1959 (roman, trad. française 1991)
Le voleur et les chiens, 1961 (roman, trad. française 1985)
Le Monde de Dieu, 1962 (trad. française 2000)
La Quête, 1964 (roman, trad. française 1997)
Le Mendiant, 1965 (roman, trad. française 1997)
Dérives sur le Nil, 1966 (roman, trad. française 1989)
Miramar, 1968 (roman, trad. française 1990)
Miroirs, 1972 (roman, trad. française 2001)
Récits de notre quartier, 1975 (récits, trad. française 1988)
La Chanson des gueux, 1977 (roman, trad. française 1989)
L’Amour au pied des pyramides, 1979, (trad. française 1997)
Les Mille et Une Nuits, 1982 (trad. française 1997)
Akhénaton le Renégat, 1985 (roman, trad. française 1998)
Le Jour de l’assassinat du leader, 1985 (roman, trad. française 1989)
Propos du matin et du soir, 1987(roman, trad. française 2002),
Matin de roses, 1987 (roman, trad. française 1998)
Echos d’une autobiographie, 1996 (récits, trad. Française 2004)