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France-Afrique

«La captive du désert» est morte

Françoise Claustre, peu après sa libération, le 3 février 1977, lors d'une conférence de presse à Toulouse. 

		(Photo: AFP)
Françoise Claustre, peu après sa libération, le 3 février 1977, lors d'une conférence de presse à Toulouse.
(Photo: AFP)
Enlevée dans le Tibesti, au nord du Tchad où elle faisait des fouilles archéologiques, Françoise Claustre restera l’otage des rebelles tchadiens durant plus de mille jours. Ce n’était pas encore l’époque où les otages faisaient la une des quotidiens ou des journaux télévisés. «L’affaire Claustre» comme on disait alors, allait révéler certains dessous de la «Françafrique», comme on ne disait pas encore.

C’était le 21 avril 1974. Françoise Claustre jeune ethnologue et archéologue de 37 ans est kidnappée dans la palmeraie de Bardaï, au nord du Tchad, dans le massif désertique du Tibesti. Ses ravisseurs sont des rebelles des tribus nomades toubous et anakasas, dirigés par Hissène Habré et Goukouni Weddeye, chefs des Forces armées du Nord (FAN) dont les alliances et les rivalités ponctueront l’histoire tchadienne pendant de longues années.

Au moment de son rapt, Françoise Claustre n’est pas seule: le Dr Christophe Staewen, un médecin allemand et Marc Combe, un adjoint de Pierre Claustre, le mari de Françoise, sont aussi enlevés. Les rebelles réclament à l’Allemagne et à la France, une rançon ainsi que l’accès aux médias et la libération de prisonniers. L’Allemagne cède à leurs exigences et le Dr Staewen est libéré le 11 juin 1974. La France, en campagne présidentielle, après le décès de Georges Pompidou, a d’autres chats à fouetter.

Des négociations catastrophiques

Fraîchement élu, le président français Valéry Giscard d’Estaing, entame enfin des tractations secrètes avec son homologue tchadien, François Tombalbaye, qui a le soutien de Paris. Ce dernier obtient que la France dépêche sur place comme négociateur, le commandant Pierre Galopin, un familier des «services» tchadiens. N’Djamena entend rester ainsi en première ligne. Or, il se trouve que ce même Galopin était accusé par les rebelles, de brutalités et d’une embuscade mortelle contre des proches de Goukouni Weddeye. Sa mission tourne court : le commandant Galopin est capturé à son tour le 4 août. En échange de sa libération, les rebelles demandent maintenant des armes. Paris refuse de transiger: Hissène Habré et Goukouni Weddeye le font exécuter en avril 1975. Le coopérant français, Marc Combe, aura plus de chance: il parviendra à s’évader le 23 mai 1975.

Cela fait presque un an que Françoise Claustre est otage. Son mari Pierre, qui est responsable de la mission scientifique à la laquelle elle appartenait, fait des pieds et des mains pour obtenir sa libération. Il veut négocier directement avec les ravisseurs mais sa tentative échoue et il est à son tour enlevé le 26 août 1975. Une péripétie de plus qui amènera un durcissement: les rebelles réclament maintenant une rançon de 10 millions de francs et Hissène Habré menace d’exécuter les époux Claustre, si la somme n’est pas versée le 23 septembre.

Interdite de Tchad, à jamais

Paris aurait peut-être maintenu son intransigeance sans une interview de la jeune ethnologue diffusée à la télévision. Cette séquence, réalisée par Raymond Depardon et Marie-Laure de Decker, est un choc pour les Français. Sa détention est en effet jusque là très peu médiatisée et le fait de la voir en pleurs, dans une hutte avec en arrière plan son geôlier, concrétise le calvaire que vit cette femme. La rançon est donc versée mais cela ne met pourtant pas fin à la détention des Claustre. Entretemps, Hissène Habré et Goukouni Weddeye se brouillent, ce qui a pour conséquence de prolonger encore la détention de leurs otages.

Cette fois, la France n’a plus d’autre choix que la voie diplomatique pour faire rentrer Françoise Claustre et son mari. Un certain Jacques Chirac, alors Premier ministre, est dépêché à Tripoli pour intercéder auprès du colonel Kadhafi. La Libye, qui soutient jusque là les deux chefs rebelles, désormais ennemis, prend le parti de Goukouni Weddeye et Hissène Habré est chassé. Il faudra toutefois attendre encore neuf mois avant que Françoise Claustre et son mari soient enfin libérés dans la capitale libyenne, le 31 janvier 1977.

Depuis, Françoise Claustre était retournée dans l’anonymat, exerçant son métier d’ethnologue et d’archéologue dans le sud-ouest de la France, jusqu’à sa retraite du CNRS en 2003. Le cinéaste Raymond Depardon qui l’avait rencontrée et interviewée à plusieurs reprises durant sa captivité, affirme qu’«elle ne s’en était jamais remise. Elle a été très malheureuse ne plus pouvoir retourner au Tchad, quelle adorait». Françoise Claustre n’a pratiquement jamais évoqué ses années de calvaire en public.

C’est son mari qui s’est attelé à l’écriture d’un ouvrage, «L’Affaire Claustre, autopsie d’une affaire d’otages», où il relate cet épisode peu glorieux pour la France. Juste auparavant, Raymond Depardon avait tourné un film en 1989, «La captive du désert», une évocation de son rapt. Sa seule remarque avait été pour dire que «cela ne pouvait être l’histoire de Françoise Claustre». Sa discrétion, son désir de ne plus parler de cette longue parenthèse douloureuse, ont alimenté des rumeurs malveillantes sur une soi-disant complicité avec ses geôliers. Goukouni Weddeye est devenu président du Tchad en 1979 avant d’être renversé en 1982 par son ancien compagnon d’armes, Hissène Habré.

par Claire  Arsenault

Article publié le 06/09/2006 Dernière mise à jour le 06/09/2006 à 16:41 TU

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Goukouni Weddeye

Ancien rebelle et ancien président tchadien, à propos de l'affaire Claustre

«Le gouvernement français refuse de répondre à nos demandes, donc ça traine, ça traine... Mais même si nous n'avions rien obtenu, nous n'avions nullement l'intention de faire du mal à Françoise Claustre.»

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Portrait de Françoise Claustre

Par Philippe Leymarie, journaliste à RFI

«Son mari avait tenté de livrer des armes aux rebelles afin de la libérer.»

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