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Colombie

Betancourt captive depuis trois ans

Un portrait d'Ingrid Betancourt a été installé devant l'Hôtel de Ville de Paris à l'occasion du troisième anniversaire de sa captivité.(Photo: AFP)
Un portrait d'Ingrid Betancourt a été installé devant l'Hôtel de Ville de Paris à l'occasion du troisième anniversaire de sa captivité.
(Photo: AFP)
La mobilisation ne fléchit pas en France autour du sort d’Ingrid Betancourt, citoyenne franco-colombienne enlevée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) le 23 février 2002 en compagnie de sa collaboratrice Clara Rojas. Membre fondatrice du parti écologiste «Verde oxigeno», Ingrid Betancourt menait campagne pour les élections présidentielles dans une zone très dangereuse de ce pays qui connaît une guerre civile depuis une quarantaine d’années. Depuis trois ans, ses proches et ses amis se battent pour obtenir sa libération, multipliant les critiques contre les autorités colombiennes accusées de ne pas vouloir négocier avec la guérilla.

Les dernières images remontent à dix-huit mois. En août 2003, Ingrid Betancourt était apparue dans une vidéo tournée quelques semaines auparavant par les ravisseurs et transmise à une chaîne de télévision colombienne. Elle semblait alors être en bonne santé, délivrant dans cet enregistrement un message à l’attention du gouvernement. Refusant tout accord humanitaire impliquant des civils, elle plaidait en faveur d’un échange de militaires ou de policiers enlevés par les Farc contre des guérilleros aux mains des forces armées. Depuis lors, plus aucun document ou enregistrement donnant des indications sur la santé d’Ingrid Betancourt et de sa collaboratrice Clara Rojas n’a été transmis par les Farc, qui se contentent depuis 18 mois d’émettre de temps à autre une déclaration rassurante. La dernière en date remonte au 10 février, leur commandant, Raul Reyes, affirmant qu’elle était «en bonne santé, comme les autres otages». Selon les autorités colombiennes, les Farc retiennent quelque 1 600 otages, tandis qu’environ 300 guérilleros sont détenus dans des prisons colombiennes.

C’est de cette vidéo diffusée en août 2003 qu’a été tirée la photo qui orbe la couverture du livre Au nom d’Ingrid publié la semaine dernière. Il a été écrit par son mari, Juan Carlos Lecompte, qui lutte depuis trois ans aux côtés de la famille d’Ingrid Betancourt et de son premier époux, Fabrice Delloye, pour obtenir sa libération. «Avec cet ouvrage, j’ai l’impression de rendre une visite conjugale à ma femme que je n’ai pas vu depuis trois ans. Et j’ai demandé à la guérilla (par le biais d’un message radiophonique) de bien vouloir lui remettre ce livre», explique Juan Carlos Lecompte, venu en France pour présenter cet ouvrage et participer aux manifestations organisées à l’occasion du troisième anniversaire de sa captivité. «Nous nous demandons tout le temps ce que nous pouvons faire de plus, ce que nous pouvons inventer pour l’aider. Et ce livre est le résultat de cette interrogation», explique cet homme de 46 ans, architecte de formation, qui s’est marié voilà plus de huit ans avec Ingrid Betancourt.

L’ouvrage est une chronique des trois dernières années et revient sur les espoirs de libération nés de différentes tentatives de tractations. Et l’auteur fustige notamment l’attitude du gouvernement colombien dans ce dossier. «Les responsables de l’agression et l’enlèvement d’Ingrid sont bien sûr les Farc», explique Juan Carlos Lecompte. «Mais le gouvernement colombien est aussi responsable de la durée de cette détention». La position du président colombien Alvaro Uribe de ne pas vouloir discuter avec des «terroristes» ne lui paraît en effet pas tenable. «Je pourrais comprendre s’il refusait de négocier avec tous les terroristes. Mais il négocie avec les terroristes d’extrême-droite que sont les para-militaires», assène Juan Carlos Lecompte. «Les dirigeants des Farc ont demandé l’établissement d’une zone de sécurité pour pouvoir discuter sans être arrêtés. Or, le gouvernement refuse cette condition et empêche toute négociation», explique-t-il, en citant la récente arrestation de Rodrigo Granda, connu comme le «ministre des Affaires étrangères» des Farc. Sa capture a déclenché mi-décembre une grave crise diplomatique entre Bogota et Caracas qui a accusé les forces vénézuéliennes d’avoir arrêté cet homme sur son territoire. Et selon Juan Carlos Lecompte, Granda devait rencontrer un médiateur suisse pour avancer sur l’idée d’un échange humanitaire au moment où il a été arrêté.

La France appelée à la rescousse

Entre les dirigeants des Farc qu’il accuse d’être des «narcotrafiquants» bien éloignés de l’image poétique que se font certains des guérilleros sud-américains, des para-militaires qu’il qualifie de «terroristes» et un gouvernement colombien avec qui il n’entretient plus de rapport, Juan Carlos Lecompte ne voit aucune issue dans ce dossier. Et il en appelle du coup à l’intervention directe des autorités françaises, en citant l’exemple des deux journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot détenus en Irak pendant 124 jours. «Je ne sais pas trop comment la France a obtenu leur libération, si elle a établi des liens directs avec les ravisseurs», explique-t-il. «Mais Ingrid est une citoyenne française comme les autres et la seule solution que je vois actuellement passe par une action du gouvernement français».

Le dossier Betancourt est suivi avec beaucoup d’attention par l’Elysée et plusieurs membres du gouvernement, notamment Dominique. De Villepin, ministre de l’Intérieur, qui connaît Ingrid Betancourt depuis de longues années. Le 21 décembre, au moment de la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, le président de la République Jacques Chirac avait tenu à mentionner le sort d’Ingrid Betancourt. Il a d’ailleurs reçu au mois de janvier la mère et la sœur de l’otage et a ensuite eu l’occasion d’exprimer directement son inquiétude le 10 février à son homologue colombien par téléphone. Son ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, suit lui aussi le dossier de près. «Nous parlons de la Colombie (…) un pays où il y a beaucoup de dangers, donc nous travaillons dans la discrétion pour obtenir sa libération», a expliqué voilà quelques semaines le chef de la diplomatie française.

Cette discrétion s’explique également par les conséquences désastreuses de l’opération menée en juillet 2003 par les services secrets français. Paris avait décidé d’envoyer un avion militaire et une équipe d’agents spéciaux dans le nord-ouest du Brésil sans aviser les autorités brésiliennes. La mission de ces hommes était de rapatrier Ingrid Betancourt dont la libération était annoncée, devant se produire dans la zone frontalière située entre la Colombie et le Brésil. Selon Juan Carlos Lecompte, l’information avait été transmise directement par le président Uribe à la mère d’Ingrid Betancourt qui avait ensuite alerté les autorités françaises. «C’est un piège que nous a tendu le président», affirme Juan Carlos Lecompte, qui a passé plus de deux semaines dans le sud du pays à attendre une improbable bonne nouvelle. «Je n’y croyais pas mais je me suis senti obligé d’y aller», explique Juan Carlos Lecompte, qui se raccroche depuis trois ans au moindre espoir. «Depuis la dernière vidéo, nous ne savons rien. Nous n’entendons que des rumeurs disant qu’elle est très malade, qu’elle fait une grève de la faim ou bien qu’elle est morte. Mais il n’y a rien de concret» raconte cet homme qui se dit à «moitié-veuf», estimant à 50% les chances que son épouse meure et à 50% qu’elle revienne vivante.

Au nom d’Ingrid De Juan Carlos Lecompte (Editions Denoël)


par Olivier  Bras

Article publié le 22/02/2005 Dernière mise à jour le 23/02/2005 à 10:48 TU