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Chine

Le Tibet à l'épreuve du train

Le nouveau train Pékin-Lhassa, mis en service le 1er juillet 2006. De l'oxygène est ventilé dans les wagons quand le convoi franchit les cols à plus de 5 000 mètres d'altitude. 

		(Photo: Mathieu Baratier/RFI)
Le nouveau train Pékin-Lhassa, mis en service le 1er juillet 2006. De l'oxygène est ventilé dans les wagons quand le convoi franchit les cols à plus de 5 000 mètres d'altitude.
(Photo: Mathieu Baratier/RFI)
Au Tibet, la fréquentation touristique a fait un bond de plus de 50% cet été. Depuis l'ouverture de la ligne ferroviaire Pékin-Lhassa, le 1er juillet dernier, les groupes de Chinois ont envahi les sites touristiques tibétains. Ce train, instrument de développement économique, a fait ressurgir les frustrations d'une société face à la modernisation et à l'influence chinoise. Reportage à Lhassa de Mathieu Baratier.

De notre envoyé spécial à Lhassa

Le long du Potala, l'ancienne résidence des Dalaï-Lama transformée en musée, une file d'attente s'étire sur plusieurs dizaines de mètres. Les visiteurs ont patienté jusqu'à quatre heures pour acheter un billet d'entrée, valable uniquement pour le lendemain. Au marché noir, c'est plus rapide mais les prix sont multipliés par cinq ou six. Depuis l'ouverture de la ligne de chemin de fer qui relie Pékin à Lhassa, les sites touristiques tibétains sont engorgés par l'afflux de touristes. Selon les chiffres officiels, 18 000 personnes sont arrivées chaque jour à Lhassa cet été, dont 4 000 par le train. Un raz-de-marée pour cette ville de seulement 200 000 habitants. «Depuis le 1er juillet, on a dû limiter la durée des visites dans le Potala, les hôtels sont pleins et il est très difficile de trouver un guide ou un autobus à louer», témoigne une guide locale.

Un équilibre fragile

Le tourisme, c'est le secteur choisi par les autorités chinoises pour le développement du Tibet. Pour les marchands de souvenirs qui pullulent dans les sites touristiques, cette nouvelle ligne de chemin de fer est une aubaine. Mais tout le monde n'est pas à la fête. Le tourisme de masse, pratiqué par les tours opérateurs chinois, risque aussi de peser sur les équilibres écologiques et culturels. Pour Dawa Tsering, représentant au Tibet du Fonds mondial pour la nature, l'arrivée des touristes va encourager le braconnage et la cueillette de plantes rares vendues comme souvenirs sur les marchés de Lhassa.

De même, pour la population nomade, l'afflux de visiteurs a déjà des conséquences. «Quand vous avez des centaines de touristes qui viennent photographier quelques nomades, cela remet en cause leur mode de vie», explique Nicolas Tournadre qui parcourt le Tibet depuis plus de 15 ans pour ses recherches universitaires. En effet, certains éleveurs se reconvertissent et proposent aux groupes de prendre une photo avec leur yak en échange de quelques yuans, la monnaie chinoise.

Sentiment de marginalisation

Plus diffus est le sentiment de ne pas profiter du développement apporté par le tourisme. «Le train, c'est 100 Chinois qui arrivent et 100 pierres précieuses qui partent», lance un intellectuel tibétain avec une ironie amère. Ce nouveau dicton est le signe d'une frustration profonde. Car, pour beaucoup, le train est synonyme d'une présence chinoise renforcée et d'une exploitation des ressources du sous-sol qui ne profitent pas aux tibétains. Mais quand on aborde le sujet des rapports entre les deux communautés ethniques, plus personne n'ose témoigner à visage découvert. La peur de la répression est omniprésente. Officiellement, les tibétains représentent 92% de la population de la région. Un chiffre qui ne tient pas compte des militaires en cantonnement. Surtout, la minorité chinoise han occupe les postes clés de l'économie.

Dans l'anonymat, les tibétains témoignent de ce sentiment de marginalisation. Une bonne partie des magasins de Lhassa est dirigée par des hans, même les échoppes d'artisanat tibétain. Cette emprise sur la vie économique se traduit aussi dans la langue. C'est le sujet d'étude de Nicolas Tournadre. «Aujourd'hui, si vous ne parlez pas chinois, vous ne pouvez pas utiliser les administrations, aller à la poste, prendre un taxi ou même faire réparer votre moto», constate le chercheur. D'après la loi, les deux langues, le tibétain et le chinois, sont à égalité. Mais en réalité «le tibétain est une langue seconde, qui ne sert plus que pour le décor», dénonce Nicolas Tournadre. Quand il s'agit de chercher du travail, les tibétains partent donc avec un handicap par rapport aux chinois hans.

Modernisation à la chinoise

Pour ceux qui veulent retrouver leur culture, il reste les monastères. On y apprend le tibétain, parfois l'anglais, et surtout la philosophie bouddhiste. Mais là encore la frustration est palpable. Dans un temple, un jeune religieux drapé dans une robe couleur safran soupire : «C'est vraiment très dur d'être un moine de nos jours, il y a trop de contrôles politiques. Regardez ici, nous ne sommes plus que quelques dizaines». En effet, le gouvernement a imposé des quotas sur le personnel des monastères. Avec ces mesures, la population monacale s'est réduite comme une peau de chagrin. Pourtant, le bouddhisme reste au coeur de l'organisation de la société tibétaine et le Dalaï-lama, officiellement interdit de séjour, est encore une référence. «Est-ce que vous l'avez déjà rencontré ?», demande avec enthousiasme le jeune moine.

Finalement, l'arrivée du train et des milliers de touristes chinois ont fait ressurgir le malaise de la société tibétaine. Si le tourisme doit apporter le développement économique, il est encore pour beaucoup synonyme de sinisation. Une modernisation à la chinoise inacceptable pour beaucoup de tibétains qui veulent faire vivre leur culture et sauver leur identité.



par Mathieu  Baratier

Article publié le 19/09/2006 Dernière mise à jour le 19/09/2006 à 15:32 TU

Audio

Le train Pékin et Lhassa

Reportage

«Pour les Tibétains, qui se sentent marginalisés dans leurs propres sociétés, le train qui aurait du être une chance, apparaît aujourd’hui beaucoup plus comme une menace.»

[18/09/2006]

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