Chine-Inde
Faites de l'argent, pas la guerre
(Photo : AFP)
Au cœur des Himalayas, à près de 4 500 mètres d'altitudes, le poste-frontière de Nathu-La vient de rouvrir. Une cérémonie en grande pompe regroupant dirigeants politiques, militaires et hommes d'affaire y a eu lieu jeudi dernier. Contrôlant la principale route de commerce entre la Chine et l'Inde, ce poste était fermé depuis 44 ans. C'est la route historique par laquelle transitait 80%, soit presque tout le commerce entre les deux pays jusqu'au milieu du XXe siècle. En fait, c'était l'une des routes de la soie.
A l'époque le commerce se faisait à dos de chameau, en charrette, en camion, puis le commerce maritime et aérien a remplacé le trafic de cette route de haute montagne. Car en 1962, une sanglante escarmouche à Nathu-La, opposant les troupes chinoises stationnées au Tibet et les troupes indiennes stationnées au Sikkim, avait causé des centaines de morts. Depuis, des milliers de soldats étaient stationnés de part et d'autre de ce poste-frontière, le différend quant au tracé de la frontière n'ayant toujours pas été résolu. «La réouverture de cette Route de la Soie longue de 563 km marque le début d'une nouvelle ère d'espoir et de prospérité, et d'amélioration des relations entre les deux pays», a déclaré le président de la région autonome du Tibet lors de la cérémonie d'ouverture.
Le début d’une nouvelle ère
Car même si des tensions persistent à ce point stratégique, les dirigeants espèrent que le commerce effacera progressivement les rivalités. Symbole inattendu de cet espoir, la pluie battante qui accompagnait le coupage de ruban a forcé les militaires à troquer temporairement leurs fusils contre des parapluies. Le commerce y reste limité et contrôlé. Désormais, cent marchands, et soixante camions ont le droit d'y faire transiter un nombre limité de produits. 29 pour l'Inde, dont du textile ou du thé en passant par les herbes médicinales. La Chine pourra exporter 15 produits, dont des chevaux, des chèvres, de la soie naturelle ou du bois. Et la région reste lourdement militarisée, avec plusieurs dizaines de milliers d'hommes basés dans les environs. Le Sikkim est un royaume bouddhiste devenu province indienne en 1975, tandis que le Tibet est totalement passé sous le contrôle de la République populaire de Chine dans les années 1950. Les deux régions sont riches d'un passé culturel et historique qui les rapproche davantage l'une de l'autre que des Etats dont elles font partie. Elles restent soumises à de vives tensions, tout en s'intégrant progressivement dans les économies.
La réouverture de ce poste-frontière marque sans doute le début d'une nouvelle ère. En fait proposée par le Premier ministre indien de l'époque en 2003, elle s'inscrit aussi dans la politique de désenclavement du Tibet voulue par la Chine. La semaine dernière, celle-ci annonçait que la ligne de train Pékin-Lhassa sera étendue jusqu'à l'Inde. Aujourd'hui, elle prévoit que le commerce par Nathu-La pourra atteindre trois milliards de dollars d'ici huit ans, contre 100 millions. Aussi, la réouverture de ce poste-frontière permet de canaliser et de contrôler de très nombreux trafics qui avaient continué à se faire clandestinement dans la région. A noter enfin que la date choisie pour la cérémonie est celle de l'anniversaire du Dalai-Lama, lui-même en exil dans le nord de l'Inde. Une chose est certaine, c'est que l'augmentation du commerce et le remplacement progressif des militaires par des marchands est vécue comme positive par les habitants des deux bords. Reste à voir si ce commerce bénéficiera davantage aux habitants locaux qu'aux Etats.
par Abel Segrétin
Article publié le 08/07/2006Dernière mise à jour le 08/07/2006 à TU