Chine
Le grand bond des relations entre l’Inde et la Chine
Les deux géants démographiques de l’Asie ont opéré un spectaculaire rapprochement à l’occasion de la visite en Chine du premier ministre indien.
De notre correspondante à Pékin
Les plus grands pas diplomatiques se font parfois grâce à de tout petits mots. La déclaration conjointe signée par la Chine et l’Inde en début de semaine, à l’occasion de la visite dans l’Empire du milieu du premier ministre indien Vajpayee, pourrait bien marquer une étape importante dans les relations entre les deux géants asiatiques, qui ont, à mots couverts, amorcé la résolution de leurs différends frontaliers.
«Le gouvernement indien a, pour la première fois, reconnu explicitement que la région autonome du Tibet faisait partie du territoire chinois, et a renouvelé son interdiction de toute activité anti-chinoise par les Tibétains sur son territoire», s’enthousiasme un article du Quotidien du peuple, la voix du Parti communiste chinois. Les dirigeants indiens, eux, nuancent la portée de la déclaration conjointe, estimant que rien n’a vraiment changé dans la position indienne sur le Tibet. Pourtant, l’utilisation dans la déclaration commune de la dénomination chinoise du Tibet, «région autonome du Tibet», est bel et bien une innovation diplomatique, suggérant la reconnaissance par l’Inde du statut revendiqué par la Chine pour la région bouddhiste.
Et la même bataille rhétorique a lieu, en sens inverse, sur le Sikkim. En approuvant l’ouverture de la passe de Nathu La comme point de «commerce transfrontalier», Pékin reconnaît implicitement que le Sikkim est un Etat indien, ce que la Chine s’était refusé à faire depuis l’annexion de cette zone par l’Inde en 1975. Et si l’Inde se réjouit de cette concession chinoise, Pékin la minimise, en soulignant que la reconnaissance formelle du Sikkim «ne peut pas se faire en une nuit».
Réchauffement inédit depuis la guerre de 1962
Au-delà de la dialectique diplomatique, qui permet à chaque gouvernement de faire des concessions tout en prétendant ne pas les avoir faites, cet accord frontalier entre l’Inde et la Chine cristallise le réchauffement des relations bilatérales entre les deux pays, et pourrait être le signe avant-coureur d’une réorganisation stratégique régionale.
Malgré 22 ans de négociations, c’est en effet la première fois que les deux pays progressent dans la reconnaissance de leurs frontières, motif de tensions depuis le conflit armé de 1962. Et la désignation par la Chine et l’Inde de représentants spéciaux pour les problèmes frontaliers, annoncée mardi, est un signe de leur volonté commune de mettre fin à ces dissensions politiques qui entravent depuis quarante ans le développement de relations économiques, militaires et culturelles plus étroites. Bien que les deux pays soient voisins et rassemblent un tiers de la population mondiale, leur commerce ne représente à ce jour que 5 milliards de dollars, ce qui signifie que l’Inde pèse autant dans l’économie chinoise que la Belgique.
A cet égard, la série d’accords signés à Pékin par Vajpayee et son homologue chinois Wen Jiabao, et surtout la visite du Premier ministre indien à Shanghai où il sera question de coopération dans le domaine des hautes technologies, sont autant de pas supplémentaires vers une plus grande intégration économique des deux pays.
Sur le plan stratégique, cette visite de six jours, la première d’un premier ministre indien depuis 1993, pourrait également amorcer d’importants changements. Les relations entre les deux pays s’étaient effectivement tendues en 1998, lorsque l’Inde avait lancé une série de tests nucléaires pour répondre à la «menace chinoise». Vajpayee accusait à l’époque la Chine de noyauter l’Inde par ses frontières, en nouant des alliances avec la Birmanie et le Pakistan. L’Inde soupçonne d’ailleurs toujours Pékin de soutenir le programme nucléaire pakistanais, et Vajpayee n’a pas hésité à signifier à Wen Jiabao sa «déception» face à l’attitude d’Islamabad envers les militants indépendantistes du Cachemire.
Mais le premier ministre indien a néanmoins déclaré cette semaine à Pékin qu’il n’existait «aucune raison objective de discorde» entre les deux pays, et qu’aucun des deux «ne représentait une menace pour l’autre», un renversement total de position par rapport à 1998. Alors que l’Inde avait renforcé ses relations avec les Etats-Unis, notamment sur le plan militaire, un nouvel axe pourrait bien se dessiner aujourd’hui. Pékin et New Delhi ont en effet décidé de fédérer leurs forces pendant les réunions de l’Organisation Mondiale du Commerce pour mieux défendre les intérêts des pays en voie de développement. Et la Chine a proposé à l’Inde de se joindre à la Russie pour des discussions tripartites régulières sur des thèmes internationaux.
Dans un entretien accordé à un journal chinois avant son arrivée à Pékin, Vajpayee déclarait à propos de l’amélioration des relations entre les deux pays que ce n’était «que les tout premiers pas d’un chemin long et prometteur». A l’issue de cette visite, ces premiers pas ressemblent fort à un grand bond.
Les plus grands pas diplomatiques se font parfois grâce à de tout petits mots. La déclaration conjointe signée par la Chine et l’Inde en début de semaine, à l’occasion de la visite dans l’Empire du milieu du premier ministre indien Vajpayee, pourrait bien marquer une étape importante dans les relations entre les deux géants asiatiques, qui ont, à mots couverts, amorcé la résolution de leurs différends frontaliers.
«Le gouvernement indien a, pour la première fois, reconnu explicitement que la région autonome du Tibet faisait partie du territoire chinois, et a renouvelé son interdiction de toute activité anti-chinoise par les Tibétains sur son territoire», s’enthousiasme un article du Quotidien du peuple, la voix du Parti communiste chinois. Les dirigeants indiens, eux, nuancent la portée de la déclaration conjointe, estimant que rien n’a vraiment changé dans la position indienne sur le Tibet. Pourtant, l’utilisation dans la déclaration commune de la dénomination chinoise du Tibet, «région autonome du Tibet», est bel et bien une innovation diplomatique, suggérant la reconnaissance par l’Inde du statut revendiqué par la Chine pour la région bouddhiste.
Et la même bataille rhétorique a lieu, en sens inverse, sur le Sikkim. En approuvant l’ouverture de la passe de Nathu La comme point de «commerce transfrontalier», Pékin reconnaît implicitement que le Sikkim est un Etat indien, ce que la Chine s’était refusé à faire depuis l’annexion de cette zone par l’Inde en 1975. Et si l’Inde se réjouit de cette concession chinoise, Pékin la minimise, en soulignant que la reconnaissance formelle du Sikkim «ne peut pas se faire en une nuit».
Réchauffement inédit depuis la guerre de 1962
Au-delà de la dialectique diplomatique, qui permet à chaque gouvernement de faire des concessions tout en prétendant ne pas les avoir faites, cet accord frontalier entre l’Inde et la Chine cristallise le réchauffement des relations bilatérales entre les deux pays, et pourrait être le signe avant-coureur d’une réorganisation stratégique régionale.
Malgré 22 ans de négociations, c’est en effet la première fois que les deux pays progressent dans la reconnaissance de leurs frontières, motif de tensions depuis le conflit armé de 1962. Et la désignation par la Chine et l’Inde de représentants spéciaux pour les problèmes frontaliers, annoncée mardi, est un signe de leur volonté commune de mettre fin à ces dissensions politiques qui entravent depuis quarante ans le développement de relations économiques, militaires et culturelles plus étroites. Bien que les deux pays soient voisins et rassemblent un tiers de la population mondiale, leur commerce ne représente à ce jour que 5 milliards de dollars, ce qui signifie que l’Inde pèse autant dans l’économie chinoise que la Belgique.
A cet égard, la série d’accords signés à Pékin par Vajpayee et son homologue chinois Wen Jiabao, et surtout la visite du Premier ministre indien à Shanghai où il sera question de coopération dans le domaine des hautes technologies, sont autant de pas supplémentaires vers une plus grande intégration économique des deux pays.
Sur le plan stratégique, cette visite de six jours, la première d’un premier ministre indien depuis 1993, pourrait également amorcer d’importants changements. Les relations entre les deux pays s’étaient effectivement tendues en 1998, lorsque l’Inde avait lancé une série de tests nucléaires pour répondre à la «menace chinoise». Vajpayee accusait à l’époque la Chine de noyauter l’Inde par ses frontières, en nouant des alliances avec la Birmanie et le Pakistan. L’Inde soupçonne d’ailleurs toujours Pékin de soutenir le programme nucléaire pakistanais, et Vajpayee n’a pas hésité à signifier à Wen Jiabao sa «déception» face à l’attitude d’Islamabad envers les militants indépendantistes du Cachemire.
Mais le premier ministre indien a néanmoins déclaré cette semaine à Pékin qu’il n’existait «aucune raison objective de discorde» entre les deux pays, et qu’aucun des deux «ne représentait une menace pour l’autre», un renversement total de position par rapport à 1998. Alors que l’Inde avait renforcé ses relations avec les Etats-Unis, notamment sur le plan militaire, un nouvel axe pourrait bien se dessiner aujourd’hui. Pékin et New Delhi ont en effet décidé de fédérer leurs forces pendant les réunions de l’Organisation Mondiale du Commerce pour mieux défendre les intérêts des pays en voie de développement. Et la Chine a proposé à l’Inde de se joindre à la Russie pour des discussions tripartites régulières sur des thèmes internationaux.
Dans un entretien accordé à un journal chinois avant son arrivée à Pékin, Vajpayee déclarait à propos de l’amélioration des relations entre les deux pays que ce n’était «que les tout premiers pas d’un chemin long et prometteur». A l’issue de cette visite, ces premiers pas ressemblent fort à un grand bond.
par Séverine Bardon
Article publié le 26/06/2003