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Chine

Le roi des orchidées risque la prison à vie en Chine

Les hommes d’affaires chinois sont désormais dans la ligne de mire de la lutte anti-corruption. Le procès de Yang Bin, qui s’est ouvert jeudi à Shenyang, offre un étrange mélange de commerce et de politique, d’enjeux nationaux et internationaux. Il pourrait surtout donner le ton des sanctions menaçant toute une kyrielle de businessmen actuellement dans le collimateur de la justice chinoise.
De notre correspondante à Pékin

L’arrestation de Yang Bin avait fait grand bruit en octobre dernier. Car le marchand d’orchidées a un profil hors du commun. Bien que d’origine chinoise, Yang Bin détient en effet un passeport hollandais: installé dans ce pays européen depuis 1987, il en a obtenu la nationalité suite aux événements de Tiananmen en 1989. C’est en Hollande qu’il a débuté dans les affaires, avant de revenir en Chine au milieu des années 1990 avec un capital de 20 millions de dollars, pour lancer un florissant commerce d’orchidées. Peut-être par nostalgie, Yang Bin avait également mis en place, près de Shenyang, un programme de développement immobilier inspiré de l’architecture hollandaise.

Au-delà de la nationalité de son protagoniste, l’arrestation de Yang Bin a surtout marqué les esprits parce qu’elle intervenait alors que l’homme d’affaire venait d’être nommé par la Corée du Nord responsable de la zone de libre échange de Sinuiju, à la frontière entre les deux pays. Les enjeux politiques semblent donc aussi importants que la fraude économique: la Chine avait en effet peu apprécié de ne pas être consultée lors du choix de Yang Bin. Et le gouvernement de Pékin semblait surtout peu enclin à cautionner cette tentative d’ouverture économique du régime de Kim Jong-Il, dont il est pratiquement le seul interlocuteur international et partenaire économique. Ce n’est d’ailleurs qu’un mois après son arrestation que Yang Bin en a connu les motifs officiels: falsification de documents financiers, usage illégal de terrains et corruption active et passive. Aujourd’hui, l’homme d’affaire reconnu comme la deuxième fortune de Chine par le magazine Forbes en 2001, avec un capital de 900 millions de dollars, risque la prison à vie, à l’issue d’une procédure qui pourrait durer deux ou trois jours.

Un exemple pour les hommes d’affaires

Ce procès s’inscrit également dans une campagne de lutte contre la corruption financière, lancée par la Chine depuis quelques mois, notamment dans les opérations immobilières. Et les millionnaires recensés par Forbes sont les premiers au banc des accusés. La justice chinoise est effectivement en train d’enquêter sur les opérations financières de Zhou Zhengyi, propriétaire de Shanghai Land Holding Ltd, à qui ses 320 millions de dollars avaient offert la onzième place du classement Forbes 2002. Détenu et interrogé par la police depuis le début de la semaine dernière, Zhou Zhengyi est soupçonné d’avoir monté une opération immobilière frauduleuse à Shanghai en bénéficiant de prêts de la Banque de Chine. Liu Jinbao, directeur exécutif de la branche hong-kongaise de la Banque de Chine a d’ailleurs été rappelé à Pékin et soumis à une enquête interne en liaison avec cette affaire. Sandy Mo, la femme de Zhou et présidente de Shanghai Merchant Holding, est également suspectée de corruption.

Avant eux, plusieurs millionnaires chinois ont eu maille à partir avec la justice. Yang Rong, fondateur de Brilliance China Automotive Holdings, et troisième fortune nationale en 2001 avec 840 millions de dollars, s’est enfui aux États-Unis après avoir été accusé de crimes économiques. En mai dernier, Liu Xiaoqing, ancienne star du cinéma chinois reconvertie dans les affaires (et 45e fortune nationale en 1999), était arrêtée pour avoir omis de payer 14,58 millons de yuans de taxes.

La Chine, qui voit gonfler une bulle immobilière à Shanghai, et tente d’assainir les comptes de ses banques, centre donc son attention sur les fortunes chinoises, et notamment celles réalisées à partir d’opérations immobilières. Les autorités chinoises risquent donc d’utiliser le cas de Yang Bin pour montrer l’exemple à l’ensemble de la communauté d’affaires du pays. Dans ce contexte, il est probable que les juges de Shenyang ne feront pas de fleur à l’homme d’affaire hollandais.



par Séverine  Bardon

Article publié le 13/06/2003