Nucléaire iranien
Téhéran propose un contrôle français
(Photo: AFP)
Pour sortir de la crise internationale et lever les soupçons sur la destination, civile ou militaire, de son programme d’enrichissement d’uranium, l’Iran suggère la création d’un consortium de production franco-iranien avec les sociétés françaises Eurodif et Areva, spécialisées dans le domaine nucléaire. Cette offre a été écartée à ce stade par Paris, pour qui le « canal de dialogue » doit passer pour l’instant par l’Europe, mais elle a été jugée « intéressante » par le diplomate en chef de l'Union européenne (UE), Javier Solana. Elle survient au moment où les Occidentaux tentent de finaliser un programme de sanctions contre la République islamique.
Depuis quelques semaines, la rumeur courait que Téhéran, confronté aux menaces de plus en plus pressantes de sanctions internationales, finirait par chercher une porte de sortie honorable. Ou par tenter, à nouveau, de diviser les grandes puissances. « Nous avons une idée (...), a déclaré mardi à la radio française France-Info le directeur adjoint de l'Agence iranienne de l'énergie atomique, Mohammad Saïdi, c'est que la France crée un consortium avec [les sociétés françaises] Eurodif et Areva pour faire de l'enrichissement d'uranium en Iran. Ainsi, elles pourront surveiller étroitement nos activités ».
Un peu plus tard, il confirmait ses propos dans une déclaration à l'AFP, rappelant toutefois la position iranienne : « La meilleure solution pour dissiper les inquiétudes au sujet des activités nucléaires iraniennes n'est pas de demander la suspension de ces activités ». Autrement dit : nous ne cédons pas sur l’essentiel, mais nous sommes prêts à faire un geste. Le porte-parole de la diplomatie iranienne, Mohammad Ali Hosseini, avait d’ailleurs réaffirmé, dimanche, que son pays refusait la suspension de l’enrichissement d’uranium comme condition préalable à l’ouverture de négociations.
« D'une certaine façon, l’offre nous a surpris »
Un porte-parole d’Areva a déclaré ne pas être au courant d’un tel plan. Eurodif n’a pas fait de commentaire, préférant sans doute la discrétion alors que son nom est celui d’un ancien contentieux financier franco-iranien, affaire émaillée de plusieurs attentats anti-français dans les années 80. La France a, en tout cas, prudemment écarté cette offre, tout au moins à ce stade des pourparlers. Soulignant qu'il ne s'agissait pas d'une initiative franco-iranienne, Paris demande d'abord à Téhéran de donner sa réponse sur la suspension de l'enrichissement d’uranium au Haut représentant pour la politique extérieure européenne, Javier Solana.
La diplomatie française a concédé qu’il s’agissait d’« une offre inédite ». « D'une certaine façon, elle nous a surpris », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Mattéi. Mais, a-t-il ajouté, « il y a un canal de dialogue avec les Iraniens qui est M. Solana. C'est par ce canal que nous attendons des Iraniens une réponse sur la suspension de l'enrichissement (…) S'il y a une réponse positive des Iraniens sur ce point là, il pourra y avoir des négociations où chacun sera libre d'amener les propositions qu'il souhaite ».
Javier Solana, se montrant moins catégorique, s’est exprimé à l'issue d'une réunion des ministres européens de la Défense à Levi, en Finlande. Le diplomate, qui mène les négociations avec les Iraniens au nom des six grandes puissances (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Etats-Unis, Russie, Chine), a jugé « intéressante » la proposition iranienne, soulignant toutefois qu'elle avait besoin d'être « analysée ».
Javier Solana a indiqué qu’il avait eu, lundi soir, une nouvelle conversation téléphonique avec le négociateur en chef iranien, Ali Larijani. Il l’a qualifiée de « constructive », sans préciser si cette proposition avait été évoquée. Les deux hommes sont convenus de poursuivre leurs contacts « au cours des prochains jours », selon des agences officielles iraniennes. Mais le diplomate européen a prévenu : le délai restant pour obtenir du régime de Téhéran qu’il se plie aux injonctions du Conseil de sécurité de l’Onu, lequel réclame la suspension de tout enrichissement d’uranium, « n’est pas illimité ».
La Russie toujours opposée à des sanctions
Il faut dire qu’aux Nations unies, Washington pousse à la roue des sanctions. L’offre iranienne n’avait pas encore été commentée mardi soir par la diplomatie américaine, mais le sous-secrétaire d'Etat, Nicholas Burns, négocie plus que jamais une liste de mesures contraignantes avec ses homologues des cinq autres puissances impliquées dans le dossier. Selon un responsable du département d'Etat américain, Nicholas Burns a fait « de nets progrès en vue de présenter les éléments d'une résolution ».
Quant à la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, elle est actuellement en tournée dans la région du Golfe. Mardi, en Arabie saoudite, elle a affirmé que les Etats-Unis ne disposaient d'aucun élément montrant que Téhéran avait l'intention de suspendre l'enrichissement. Sur le dossier du nucléaire iranien, elle a annoncé que les ministres des Affaires étrangères des six grandes puissances pourraient se réunir en fin de semaine en Europe.
Les principaux obstacles à des sanctions contre la République islamique restent la Chine et la Russie, qui entretiennent de puissants liens commerciaux et énergétiques avec l’Iran. Moscou, notamment, construit la première centrale nucléaire iranienne et ne cache pas ses réticences à imposer des sanctions à Téhéran. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déclaré mardi que les crises du nucléaire iranien et nord-coréen « doivent se régler exclusivement de manière pacifique et diplomatique ».
La Maison Blanche a cependant annoncé que le président George W. Bush et son homologue russe Vladimir Poutine étaient tombés d'accord lundi, lors d'un entretien téléphonique, sur la nécessité d'avoir « une position commune » dans les discussions sur le programme nucléaire iranien.
par Philippe Quillerier
Article publié le 03/10/2006 Dernière mise à jour le 03/10/2006 à 17:13 TU