Liban
Front anti-syrien aux funérailles de Pierre Gemayel
(Photo : AFP)
Les funérailles de Pierre Gemayel, assassiné mardi, ont rassemblé des centaines de milliers de personnes dans le centre de Beyrouth. La foule survoltée a scandé des slogans hostiles à la Syrie et au Hezbollah. L’assassinat du ministre de l’Industrie a remis en selle la coalition pro-occidentale du 14 mars et a consacré la rupture entre la majorité et l’opposition.
De notre correspondant à Beyrouth
Une foule immense a participé aux funérailles du ministre de l’Industrie, Pierre Gemayel, assassiné mardi par des inconnus qui ont mitraillé sa voiture. Répondant aux appels des chefs sunnite, Saad Hariri, druze, Walid Joumblatt, et chrétien, Samir Geagea, des dizaines de milliers de personnes venues des différentes régions du pays se sont rassemblées sur la Place des Martyrs, non loin de l’Eglise Saint-Georges, où l’office religieux a été célébré.
Recouvert du drapeau libanais, le cercueil de Pierre Gemayel, a été ramené en milieu de journée de son village natal de Bickfaya, et déposé dans la cathédrale où avaient pris place le père de la victime, l’ancien président Amine Gemayel, le président du Parlement, Nabih Berry, le Premier ministre, Fouad Siniora, Messieurs Hariri, Joumblatt et Geagea, le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, ainsi que les principales figures de la coalition pro-occidentale du 14 mars.
A l’extérieur, la foule brandissait des portraits de Pierre Gemayel, de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, assassiné le 14 février 2005, et du député anti-syrien Gébrane Tuéni, tué dans un attentat à la voiture piégée, le 12 décembre 2005. Sur les banderoles, on pouvait lire des appels à la constitution du tribunal international chargé de juger les auteurs de tous ces crimes et des critiques sur les «armes illégales», en allusion à la branche armée du Hezbollah.
Le général chrétien Michel Aoun prié de rester à l'écart
Des jeunes survoltés scandaient des slogans hostiles à la Syrie, au Hezbollah et au leader chrétien Michel Aoun, qui a été prié par la famille Gemayel de ne pas assister aux obsèques et de ne pas y envoyer de représentants. La veille, le général Aoun avait pourtant invité ses partisans à se rendre nombreux aux funérailles.
L’armée libanaise et les forces de l’ordre ont déployé près de 10 000 hommes pour circonscrire d’éventuels troubles. Le jour de l’assassinat de Pierre Gemayel, des dizaines de jeunes gens en colère s’en étaient pris aux permanences du Courant patriotique libre (CPL) du général Aoun et avaient déchiré et incendié des portraits du leader chrétien. Michel Aoun s’est dit «étonné» par ces réactions violentes. Il avait mis en garde contre «une tentative destinée à semer la discorde dans les rangs chrétiens» et avait laissé entendre que les attaques contre les symboles de son parti n’étaient pas spontanées.
Ces événements montrent à quel point les tensions sont fortes entre les différentes composantes politiques au pays. L’opposition, regroupée autour de Michel Aoun, du Hezbollah et de leurs alliés druzes et sunnites, s’apprêtait à lancer un vaste mouvement de protestation populaire pour réclamer la formation d’un cabinet d’union nationale au sein duquel elle souhaite détenir le tiers des portefeuilles. Bien que sur la défensive et fortement affaiblie, la coalition du 14 mars avait refusé de partager le pouvoir et appréhendait le mouvement de protestation de l’opposition. Mais l’assassinat de Pierre Gemayel, une de ses principales figures, lui a permis de reprendre l’initiative et de mobiliser massivement ses partisans.
Amine Gemayel décrète une «Deuxième intifada»
Cette contre-offensive du 14 mars s’est ressentie dans les discours prononcés après la fin de l’office religieux. Prenant la parole devant la foule, le père de la victime, Amine Gemayel, a décrété le «début de la seconde intifada», qui ne se terminera que lorsqu’un nouveau président de la République sera élu pour remplacer Emile Lahoud. L’ancien chef de l’Etat a dénié toute légitimité à Emile Lahoud, qu’il a qualifié de «cinquième colonne syrienne au Liban».
Samir Geagea a abondé dans le même sens. «Nous n’accepterons pas de remplacer le gouvernement actuel qui est celui de l’indépendance par un cabinet de criminels et de tueurs, a-t-il dit. Notre gouvernement est légitime. C’est celui qui occupe le palais [présidentiel] de Baabda qui n’a aucune légitimité». La coalition du 14 mars boycotte le président Emile Lahoud dont le mandat a été prorogé de trois ans, en septembre 2004, à la demande de la Syrie.
Pour Saad Hariri, «le sang du sunnite Rafic Hariri et celui du maronite Pierre Gemayel se sont mêlés pour se mélanger avec la terre du Liban». Le chef de la majorité parlementaire a rejeté la demande de l’opposition de former un cabinet d’union nationale. «Nous sommes la majorité et nous resterons en place», a-t-il dit. De son côté, Walid Joumblatt a adopté un ton plus calme. Il a lancé un appel au dialogue tout en affirmant qu’il ne saurait y avoir d’armes à part celles de la légalité, en allusion au Hezbollah.
En parallèle, l’enquête sur l’assassinat de Pierre Gemayel se poursuit. Le Conseil de sécurité des Nations unies a donné une réponse positive au Premier ministre qui a sollicité l'aide de la communauté internationale. Des experts de la commission internationale chargé d’enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri et les 14 autres attentats commis depuis le 1er octobre 2004, se sont rendus sur les lieux du crime pour commencer leurs investigations.
par Paul Khalifeh
Article publié le 23/11/2006 Dernière mise à jour le 23/11/2006 à 15:07 TU