Immigration
Zapatero à Dakar
(Photo : AFP)
Peuplé de 11 millions d'habitants, le Sénégal est l'un des principaux points de départ et de transit des clandestins vers l'Europe. Selon la préfecture des Canaries, plus de 30 000 clandestins ont débarqué sur ses côtes depuis le début de l'année ; c'est le triple du dernier record (9 929) qui remonte à 2002. L'archipel espagnol est situé à quelque 1 500 km des côtes sénégalaises. Les candidats à l'immigration s'embarquent sur de grandes pirogues à moteur, des cayucos, pas toujours conscients des dangers qui les attendent en mer. Les places sont chères et se négocient jusqu'à plus de mille dollars. Une fortune pour ces jeunes Africains qui souvent vendent tout ce qu'ils possèdent pour tenter l'aventure. Une aventure qui se termine tragiquement pour nombre d'entre eux. Bien qu'aucun bilan officiel ne soit établi, on estime que quelque 1 500 candidats à l'immigration européenne sont morts noyés depuis 6 ans, lors de ces traversées à haut risque.
Plus de contrôles et moins de départs
La venue de José Luis Zapatero au Sénégal, tombe à un moment où justement les tentatives de traversée se raréfient. Ces dernières semaines en effet, les départs des côtes sénégalaises se sont beaucoup espacés du fait de l'effet conjugué du mauvais temps et de contrôles plus poussés. Des patrouilles sénégalo-européennes sillonnent les points de départ habituels pour dissuader ceux qui s'élanceraient malgré une météo très défavorable. Ce dispositif de surveillance, appelé Frontex, est en place depuis septembre. Il devait d'ailleurs s'arrêter dans les prochaines semaines mais l'Espagne et le Sénégal ont demandé lundi soir, à ce qu'il soit prolongé de six mois. Frontex a permis d'interpeller de nombreuses pirogues et semble en avoir dissuadé bon nombre, selon le lieutenant Mamadou Sylla, représentant de Frontex. L'expulsion d'Espagne, par avion, de 4 400 clandestins sénégalais en septembre et en octobre, aurait eu aussi un effet dissuasif, selon les autorités espagnoles.
Mais, tant du côté sénégalais que du côté espagnol, on est persuadé qu'il ne s'agit que d'une pause d'autant plus que les intempéries fléchiront dès février. D'ailleurs, depuis vendredi, les autorités canariennes ont enregistré 374 clandestins débarqués de trois pirogues à moteur. C'est le moment qu'a choisi le chef du gouvernement espagnol pour venir à Dakar signer un accord global de coopération avec le Sénégal dans lequel la gestion de l'immigration occupe une place centrale.
20 millions d'euros
Des protocoles d'accord pour la surveillance de la côte sénégalaise devraient être signés entre l'Espagnol et le Sénégalais. Mais, le Premier ministre espagnol n'est pas venu à Dakar les mains vides : il remettra à son homologue sénégalais un bateau et du matériel de communication afin de renforcer la lutte contre l'immigration clandestine partant des côtes sénégalaises. Les accords prévoient également le recrutement de 300 jeunes Sénégalais qui vont partir travailler régulièrement en Espagne et 4 000 en perspective, à moyen terme.
Dakar comme Madrid souhaitent éviter toutefois que les relations entre les deux pays ne se limitent au seul domaine de l'émigration. Dans ce sens, l'accord devrait notamment mettre l'accent sur la santé, l'assainissement, la sécurité alimentaire et la formation des ressources humaines. Pour contribuer à financer tous ces projets, l'Espagne a promis dès le mois de juin, de verser 20 millions d'euros, une promesse qui ne s'est toujours pas concrétisée à ce jour. L'Espagne affirme ainsi vouloir encourager les flux migratoires légaux à travers ces nouvelles dispositions. Une initiative quelque peu forcée par les circonstances, car jusqu'à récemment, Madrid n'avait guère manifesté d'intérêt pour l'Afrique de l'Ouest.
Une indifférence définitivement hors de propos tant Dakar et Madrid sont dorénavant forcés de s'entendre. La mauvaise saison en mer s'achève dans quelques semaines, et au dire des spécialistes, les candidats n'ont fait que différer leur départ. "Au Sénégal, les gens attendent de voir les accords possibles avec l'Espagne sur l'immigration légale", explique un responsable local de l'Organisation internationale des Migrations (OIM). Si effectivement, ces accords entraînent une facilitation de l'obtention de visas espagnols pour les candidats à l'émigration ayant une qualification professionnelle, Dakar et Madrid peuvent espérer une accalmie. Sinon, l'exode vers les côtes européennes reprendra, avec son cortège de désillusions et de morts.par Claire Arsenault
Article publié le 04/12/2006 Dernière mise à jour le 04/12/2006 à 16:58 TU