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Bénin

La corruption dans tous ses états

Billets de 10.000F CFA. 

		(Photo : AFP)
Billets de 10.000F CFA.
(Photo : AFP)
L’audit de l’administration publique commandé en avril dernier par le président béninois Yayi Boni révèle d’énormes dysfonctionnements et irrégularités. Alors que le 9 décembre est la Journée mondiale de la lutte contre la corruption, la rapport tombe à pic pour rappeler le niveau extrêmement élevé de la corruption au Bénin. Et ce, à tous les échelons.

Jeudi, le ministre béninois des Finances, Pascal Koukpaki, a présenté les audits de l’administration publique commandés par le président Yayi Boni peu après son élection en mars dernier. Vingt et un ministères et une soixantaine de sociétés d’Etat ou semi-publiques ont été passés au crible et un audit spécifique a été réalisé au Trésor public et à l’intendance du palais de la présidence. A tous les niveaux, les conclusions ont révélé «d’énormes dysfonctionnements et des détournements» de deniers publics, a expliqué Pascal Koukpaki.

«337 comptes hors budget [autrement dit fictifs] ont été ouverts dans différents ministères sans l’autorisation du ministère des Finances. L’examen de ces comptes révèle un manque général de transparence et d’importantes ressources financières sont détenues illégalement dans certaines structures», a-t-il précisé. Mettant en avant le «manque de respect du bien public caractérisé par la dissimulation de matériels roulants, de cessions abusives de biens meubles et immeubles (véhicules administratifs, terrains et autres matériels) et de l’utilisation abusive des matériels et véhicules administratifs». Les audits révèlent en effet un total de 23 milliards de F cfa de dépenses non justifiées par 300 personnes à divers niveaux de responsabilité.

Les Finances dans le collimateur

Dans le rapport, qui compte 7 800 pages, le ministère des Finances est largement pointé du doigt, notamment pour fractionnement des commandes en violation des dispositions du code des marchés publics, dépenses en l’absence de tout contrat, marché ou bon de commande et organisation de simulacres de consultation au profit de certains fournisseurs. En 2005, au ministère des Enseignements primaire et secondaire, 227 millions de primes ont été indûment payés à des cadres de la structure pour des formations qui n’ont pas eu lieu. Au ministère de la Jeunesse des Sports et des Loisirs, de 2004 à mars 2006, 76 millions et 30 millions de F cfa restent non justifiés, respectivement dans le cadre de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations juniors 2005 et de la participation du Bénin à la Coupe du monde de football féminin. Quant au ministère de la Communication, sept mandats ont été attribués à une société sous la base de bordereaux fictifs.

Au niveau de l’intendance du palais de la présidence, 93 millions de F cfa ont été détournés dont 39 millions ont déjà été remboursés par le comptable pris en faute. Difficile d’évaluer le montant global des pertes occasionnées. Pour autant, l’audit recommande le remboursement des sommes dues au Trésor public, des sanctions disciplinaires, des poursuites judiciaires et la restitution des «matériels indûment soustraits», dont certains auraient déjà été récupérés.

La corruption, «une gangrène»

«L’importance de la corruption révélée par les audits ne nous a pas étonnés, nous la dénonçons sans relâche depuis 8 ans», affirme Jean-Baptiste Elias, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption (OLC, institué en 2004) et porte-parole du Front des organisations nationales de lutte contre la corruption (Fonac, créé en 1998). Joint à Cotonou par téléphone, il se réjouit que ce soit le premier audit «de cette ampleur réalisé au Bénin. C’est très positif, cela permet à tous les citoyens de savoir ce qui se passe dans les ministères. Et cela met en garde les corrompus et les corrupteurs. Des sanctions ont été annoncées mais il faut aller plus loin en faisant connaître les vrais coupables, en donnant des noms. Et il faut aussi s’assurer que les procédures juridiques soient conduites méthodiquement et scrupuleusement».

Le Fonac milite depuis longtemps pour que les coupables soient connus de tous : «Régulièrement, lorsque nous découvrons des irrégularités dans une administration publique, nous invitons le ministre à témoigner à la télévision nationale. Nombre d’entre eux ont accepté de venir s’expliquer à visage découvert. Comme dans l’émission ‘A qui de droit’, pendant laquelle les téléspectateurs peuvent téléphoner pour demander des informations complémentaires», explique Jean-Baptiste Elias. On se souvient aussi de l’émission «Clair-Obscur», à la fin des années 90, qui avait créé un débat national sur la question de la corruption ou la «Grogne matinale» sur une radio privée, devenue véritable forum de dénonciation des agents de l’Etat corrompus. «La corruption, on en parle beaucoup au Bénin car elle existe à tous les niveaux et tout le monde est touché. Selon l’une de nos études statistiques, les Béninois pensent  que la corruption est une gangrène, un fléau qu’il faut tout faire pour enrayer».

Plus facile à dire qu’à faire. En son temps, l’ancien président Mathieu Kérékou en avait fait son principal thème de campagne en 1996 et avait, dans la foulée, créé la Cellule de moralisation de la vie publique… qui n’avait pas donné de résultats probants. Avec l’arrivée de la nouvelle équipe au pouvoir, la cellule a été remplacée par une Inspection générale d’Etat. «Une volonté politique a été manifestée. Il y a une semaine, le Président déclarait encore que rien ne pourrait l’arrêter dans la lutte contre la corruption», indique Jean-Baptiste Elias. En août dernier, Boni Yayi décidait d’ailleurs de lancer une journée nationale de lutte contre la corruption, le 8 décembre de chaque année. Tout juste à la veille de la Journée mondiale de lutte contre la corruption.

par Olivia  Marsaud

Article publié le 08/12/2006 Dernière mise à jour le 08/12/2006 à 16:47 TU