Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

France

Les Noirs de France s’invitent à la présidentielle

Le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Patrick Lozes s'exprime le 31 janvier 2007 à Paris, lors d'une conférence de presse. 

		(Photo : AFP)
Le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Patrick Lozes s'exprime le 31 janvier 2007 à Paris, lors d'une conférence de presse.
(Photo : AFP)

Le premier sondage réalisé sur la population noire de France vient d’être publié, ce mercredi. Il révèle que les Noirs représentent 4% de la population française de plus de 18 ans et 56% se déclarent victimes de discrimination raciale dans leur vie quotidienne. Cette enquête, réalisée à la demande du Conseil représentatif des associations noires (Cran) et publiée par le journal Le Parisien, provoque un choc dans un pays où la loi interdit les comptages ethniques et, en pleine campagne électorale, relance le débat très controversé sur les statistiques ethniques.


Cette première enquête jamais réalisée sur les Noirs de France révèle une population de 1 865 000 Noirs de plus de 18 ans, soit 3,86% de la population. 56% se déclarent «personnellement victimes de discrimination raciale dans leur vie de tous les jours». 61% ont le sentiment d’avoir vécu au moins une situation de discrimination raciale au cours des 12 derniers mois, 37% citent une attitude dédaigneuse, méprisante ou irrespectueuse, 24% évoquent une agression verbale, une insulte ou des difficultés lors de l’achat ou de la location d’un logement, 23% des contrôles d’identité ou de police, 22% des difficultés dans leurs relations avec les services publics, 18% disent avoir rencontré un refus d’embauche qu’ils estiment dû à la couleur de leur peau.

«Pour compter, dans la société, il faut d’abord se compter», déclare Patrick Lozès, le président-fondateur du Cran. Crée en novembre 2006, alors que de violentes émeutes avaient embrasé les banlieues des grandes villes françaises, cette fédération se veut représentative des associations des Noirs de France. «L’objectif de ce baromètre : montrer la réalité des discriminations», affirme Patrick Lozès qui souligne qu’«il fallait briser un tabou».

Ce Franco-béninois de 41 ans, pharmacien, membre du parti de centre-droit, l'Union pour la démocratie française (UDF), fils d’un ancien sénateur de la IVe République qui a été ministre de l’ex-Dahomey, (Bénin), a décidé de peser sur le débat politique français. En pleine campagne présidentielle, il préconise la «nomination de 8% de Noirs dans le prochain gouvernement». Patrick Lozès demande aussi des «des mesures spécifiques pour favoriser l’accès aux grandes école, aux médias, au marché du travail», proposant que les pouvoirs publics parrainent la création de 1000 entreprises par des chefs d’entreprise noirs.

Il ne mâche pas ses mots. Lors de la création du Cran, il avait déclaré que l’on ne peut «réduire le problème des Noirs à une question socio-économique et nier sa dimension raciale». On l’a accusé d’avoir créé un mouvement communautaire fondé sur un critère de race. Aujourd’hui, il jette un pavé dans la mare, en demandant «des statistiques de la diversité», une question très polémique en France.

Le danger d'éthniciser une question avant tout sociale

La nouvelle loi Informatique et liberté du 6 août 2004 interdit la collecte de «données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci». Mais il existe plusieurs exceptions à cette règle. Echappent notamment à cette interdiction «les traitements pour lesquels la personne concernée a donné son consentement exprès». D’autre part, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et les services statistiques ministériels échappent désormais à la procédure d’accord exprès et peuvent collecter ce type de données après avis du Conseil national de l’information statistique (CNIS) et autorisation de la Commission informatique et libertés (Cnil).

L’utilisation des statistiques ethniques a suscité beaucoup de réserves lors d'auditions organisées par la Cnil, notamment en raison du caractère non scientifique des critères susceptibles d'être utilisés. Louis Schweitzer, président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) a clairement dit «non à des comptages ethniques». Il a cité aussi un sondage selon lequel 64% des Français sont contre les comptages ethniques. Tout en dénonçant ces statistiques qui reviennent à «classer les gens en fonction de groupes qui n'ont pas de réalité scientifique», il a évoqué une étude britannique révélant «que les enfants noirs réussissaient moins bien à l'école que les blancs alors qu'à catégorie socio-professionnelle égale des parents, les petits Noirs réussissent mieux». Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont été les premiers pays en Europe à mettre en place des politiques contre les discriminations ethniques ou raciales s’appuyant sur le recours à ce genre de statistiques.

Les défenseurs de l’utilisation de statistiques ethniques considèrent qu’il faut mesurer les discriminations pour les combattre. Ses opposants estiment que pour combattre les discriminations, il suffit d’avoir la volonté politique et voient plutôt un danger d’ethniciser une question, quant à eux, avant tout sociale.

Le débat sur cette question s’est tendu depuis les déclarations du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, en février 2006. Défenseur d’une «discrimination positive à la française», Nicolas Sarkozy avait déclaré que «le fait qu’on ne puisse pas, en France, connaître la diversité de la population parce que la mention de l’origine ethnique est interdite, participe à la panne de notre système d’intégration» et suscité un véritable tollé, en se déclarant favorable à la mention de l’origine des délinquants dans les statistiques officielles. En août dernier, l’association SOS Racisme a déposé plainte contre les policiers des renseignements généraux (RG) accusés d’avoir constitué un fichier de délinquants sur la base de leur origine ethnique, suite aux révélations du journal Le Monde de l’existence d’un rapport qui énumérait les origines de «436 meneurs recensés dans 24 quartiers sensibles».



par Elisa  Drago

Article publié le 31/01/2007 Dernière mise à jour le 31/01/2007 à 19:21 TU