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24e sommet Afrique-France

L’Afrique face à la gouvernance

Le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz. La Banque mondiale est tentée de maintenir le niveau d’aide actuel et de distribuer le surplus en fonction de la gouvernance. 

		(Photo: World Bank / Caroline Suzman)
Le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz. La Banque mondiale est tentée de maintenir le niveau d’aide actuel et de distribuer le surplus en fonction de la gouvernance.
(Photo: World Bank / Caroline Suzman)
Tout le monde parle de gouvernance, mais les stratégies et les définitions avancées par les différents acteurs n’ont pas toutes le même sens. Un débat qui a des répercussions sur la manière dont les projets sont menés et sur la façon dont on juge leur impact.

La gouvernance a tenu une place centrale dans les débats sur les politiques de développement en 2006. Plusieurs documents de stratégie sur la gouvernance (Union européenne, Banque mondiale…) ont été présentés, censés orienter les programmes de coopération, notamment en direction de l’Afrique, le continent qui reçoit le plus d’aide et où les programmes sont les plus élaborés. Au Royaume-Uni, le Department for International Developement (DFID) a sorti un livre blanc, Gouvernance et lutte contre la pauvreté, tandis que les Canadiens ont créé une direction spécifiquement dédiée aux questions de gouvernance, à l’ACDI. De même, la France a adopté une Stratégie de gouvernance démocratique (5 décembre, CiCID), fruit du travail d’un groupe d’experts du Nord et du Sud (Plaidoyer pour une gouvernance démocratique, DGCID, 2003) qui ont réorienté sa politique de coopération vers le dialogue et le partenariat.

Ces stratégies diffèrent selon la définition que les uns ou les autres donnent à la gouvernance. Et donnent lieu à des débats qui sont sous-tendus par le constat d’échec des politiques de développement. Employé depuis une quinzaine d’années, le terme anglais governance (système de gestion) s’est d’abord appliqué à l’entreprise. Sous l’impulsion des Anglo-Saxons et de la Banque mondiale, la «bonne gouvernance» s’étend ensuite à la gestion des affaires publiques. Il s’agit d’assurer un cadre prévisible et transparent pour la conduite des affaires publiques et d’obliger les responsables à rendre des comptes. Moyen de lutte contre la corruption, la gouvernance est fondée sur l’efficience (rigueur budgétaire, politiques axées sur le marché, réduction du champ d’intervention de l’Etat et privatisation) et la démocratie (transparence, équité, justice, promotion de l’Etat de droit, droits civiques et socio-économiques et décentralisation). Elle évolue par la suite vers une conception plus large visant à renforcer les capacités des gouvernements et des administrations. Et à favoriser la participation des acteurs et l’«appropriation» par les pays de leur politique de développement (Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide).

Faire avouer les pratiques frauduleuses en échange de la levée des sanctions

La Banque mondiale, plus fonctionnelle, se focalise sur l’amélioration du cadre institutionnel pour que les projets puissent fonctionner et pour garantir que l’aide accordée aux pays soit mise en œuvre. Le projet de «Stratégie de renforcement de l’action du groupe de la Banque pour promouvoir la gouvernance et lutter contre la corruption», lancé le 18 septembre 2006 à Singapour par son président, Paul Wolfowitz, a donné lieu à d’âpres discussions. Sans être contesté dans son principe, il n’a été endossé ni par les gouverneurs ni par le conseil d’administration. On lui reproche de dépasser le mandat de la Banque – à savoir le financement du développement et la réduction de la pauvreté. En d’autres termes, la stratégie «ne doit pas être un élément de conditionnalité supplémentaire et ne doit pas conduire à changer les critères d’allocation des financements» (La Lettre de Transparence n° 31, déc. 2006). Ce projet a été précédé notamment du lancement d’un programme de repentance ou «révélation» volontaire, qui consiste à faire avouer aux entreprises ou organismes leurs pratiques frauduleuses en échange de la levée des sanctions.

Personne ne conteste l’importance de la lutte contre la corruption, mais l’UE comme la France considèrent que la gouvernance va bien au-delà, dans le prolongement des conceptions du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) autour du développement humain et de la gouvernance démocratique. «La réduction de la pauvreté et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ne pourront se réaliser sans progrès décisifs en matière de gouvernance», affirme la Commission européenne. Il s’agit d’aider les sociétés à concevoir leur propre modèle de gouvernance. Cette approche intégrée, plus politique, très large et à long terme, défend l’idée que la gouvernance est avant tout un processus destiné à créer des espaces de dialogue entre l’Etat et ses administrés, le secteur public, les associations, les ONG et les collectivités locales. Dans le cadre du programme du 10e FED, la notion de gouvernance démocratique devrait ainsi permettre de renforcer les capacités institutionnelles des Etats (1).

L’évaluation africaine par les pairs tarde à prendre son envol

Déjà, la Commission pour l’Afrique (Our common interest, rapport Blair) recommandait de renforcer l’Etat (parfois pour des raisons sécuritaires, liées à l’après 11-Septembre, à la Somalie ou à l’Afghanistan) – autrefois tant décrié par les Anglo-Saxons. Un Etat revenu au centre de toutes les préoccupations, y compris de la Banque mondiale : «Ce qu’il faut aux gens, c’est un État qui fonctionne effectivement.» (Paul Wolfowitz, Jakarta, 11 avril 2006). Cela implique de re-légitimer l’Etat auprès de la société – mis à mal par les politiques d’ajustement et de décentralisation. Délégitimé, l’Etat l’a aussi été par ses propres pratiques de prédation dans certains pays. Refonder l’Etat nécessite de créer des espaces de dialogue avec la société et d’accompagner la montée en puissance de la gouvernance locale en lien avec le pouvoir central.

Le refus de laisser la Banque mondiale animer, seule, la pensée internationale sur ce thème, va de pair avec une réorientation du débat vers les partenaires de l’Union africaine. Globalement, la gouvernance s’est améliorée en Afrique et les gouvernements africains ont intégré la notion. En 2002, les Nations unies ont appuyé le Nepad, ce partenariat entre les gouvernements africains et la communauté internationale, dont l’ambition est de jouer un rôle majeur dans l’intégration politique et économique de l’Afrique. Outre l’UE, la Banque africaine de développement et le G8 contribuent à sa mise en œuvre. La gouvernance politique et économique, un de ses trois piliers, s’appuie sur un instrument original : le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), dont le fonctionnement est plus persuasif que coercitif. Du coup, le MAEP progresse lentement. Parmi les vingt-trois pays (2) qui en ont accepté le principe, seuls le Ghana et le Rwanda ont achevé leur revue en 2005. Des rapports communiqués aux «pairs» mais qui n’ont pas été rendus publics. Le Kenya et Maurice ont également lancé le processus (2004), ainsi que l’Ouganda et le Nigeria (2005), tandis qu’Afrique du Sud, Algérie, Mali, Mozambique et Sénégal se sont engagés à le faire.

Quelles conditionnalités ?

Pour évaluer la gouvernance, la Banque mondiale ou le Pnud ont des batteries d’indicateurs pour orienter les projets et les montants de l’aide et servant, le cas échéant, à délivrer des sanctions. La France plaide pour sa part contre les sanctions : couper l’aide aux pays en difficulté risque de les enfoncer davantage dans la crise. Dans le cadre du 10e FED, l’Initiative gouvernance de l’UE avance l’idée d’une «conditionnalité positive» : une tranche incitative supplémentaire versée aux pays en fonction de leurs résultats, établis à l’aide d’un «profil de gouvernance» – plan de réformes et objectifs à atteindre. Ces tranches incitatives sont d’autant plus importantes que les donateurs ont pris des engagements en matière d’augmentation de l’APD, la France en particulier, et que les crédits disponibles vont augmenter. La Banque mondiale est également tentée de maintenir le niveau d’aide actuel et de distribuer le surplus en fonction de la gouvernance.

par Antoinette  Delafin

Article publié le 05/02/2007 Dernière mise à jour le 05/02/2007 à 16:13 TU

(1) «Pour assurer le succès du développement, il faut respecter les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’Etat de droit ; il faut aussi de véritables Etats, bien gouvernés, et des institutions fortes» (L’UE et l’Afrique : vers un partenariat stratégique, 2005).

(2) Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo Brazzaville, Egypte, Ethiopie, Gabon, Ghana, Kenya, Lesotho, Malawi, Mali, Maurice, Mozambique, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone et Tanzanie. Un 24e pays, la Zambie, a marqué son intérêt.

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