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24e sommet Afrique-France

RDC-Grands Lacs : de la guerre au développement ?

La région des Grands Lacs. 

		(Carte : C.Wissing/RFI)
La région des Grands Lacs.
(Carte : C.Wissing/RFI)
Espace de conflits pendant près de dix ans, la région des Grands Lacs s’apaise progressivement et émet le souhait de s’attaquer à la question majeure de son développement. L’institutionnalisation d’un cadre de concertation régionale, l’apaisement des relations interétatiques entre les ennemis d’hier, le rétablissement du dialogue entre Kinshasa et Kigali, la démobilisation de certains groupes armés de l’Est congolais sont autant d’indices d’une stabilisation progressive.

En 2006, le paysage sécuritaire s’est amélioré au sud et au nord de l’Est congolais après que deux groupes de «forces négatives» ont abandonné la lutte armée. Au nord du Katanga, les Mai-Mai d’un seigneur de guerre mystique, Gédéon, ont accepté d’entrer dans le processus de désarmement-démobilisation-réinsertion (DDR) et leur dirigeant a été arrêté. En Ituri, environ 15 000 miliciens ont déjà rendu les armes selon un scénario qui a varié entre l’arrestation des chefs et leur nomination à des postes d’officiers supérieurs dans l’armée – en décembre, deux responsables de milices ont ainsi reçu 5 000 dollars et le grade de colonel.

Le pacte de Nairobi se concrétise dans un fonds de reconstruction

Les 14 et 15 décembre s’est tenue, à Nairobi, la conférence internationale des Grands Lacs qui – de manière solennelle – a réuni les 11 pays de la région, du Congo au Kenya et de la Centrafrique à la Zambie. Cette conférence a abouti à la signature du Pacte de sécurité, de stabilité et de développement de la région des Grands Lacs, dit pacte de Nairobi. Ce pacte constitue un engagement des chefs d’Etat de la région en faveur de la paix et, fait notable, il prévoit un mécanisme de suivi : géré par la Banque africaine de développement, un fonds spécial pour la reconstruction de la région doit être abondé par les Etats membres de la conférence et le secrétariat chargé du suivi a été confié à la Tanzanie. Cette conférence est institutionnalisée (Kinshasa recevra la prochaine session en 2008) et instaure un cadre de concertation diplomatique régionale au plus haut niveau. Lors de ce symposium, la question du développement pour une paix durable a été reconnue comme un thème central par l’ensemble des chefs d’Etat.

L’hypothèque de la transition congolaise enfin levée

Cette conférence a été rendue possible par l’apaisement des principaux foyers de tension dans les Grands Lacs. Après le règlement du problème burundais il y a deux ans, la région a fait un nouveau pas vers la paix avec l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC). L’hypothèque de la transition a ainsi été levée à la fin de l’année 2006, avec l’investiture de Joseph Kabila : Jean-Pierre Bemba a reconnu sa défaite et le gouvernement de transition issu des accords de Sun City en 2002 a pris fin de facto. La rivalité entre l’Ouganda et le Rwanda, arrière-plan moteur des conflits dans l’Est congolais (1), demeure intacte ; mais les zones d’influence de ces deux pays dans l’Est congolais sont à présent stabilisées. Un rapprochement semble même s’esquisser depuis quelques mois, marqué par la visite de Paul Kagamé à Kampala le 30 septembre 2006.

Par ailleurs, les relations diplomatiques entre le Rwanda et la RDC sont désormais rétablies sans pour autant être normalisées : il n’y a pas encore d’ambassade de part et d’autre de la frontière mais les autorités des deux pays dialoguent (le général dissident banyamulenge Laurent Nkunda négocie avec le pouvoir congolais depuis Kigali où il se trouve).

Bien que les véritables enjeux soient clairement identifiés et mentionnés, la stabilisation des Grands Lacs n’est pas synonyme de résolution des problèmes structurels qui ont fait de la région l’espace le plus conflictuel de ces dix dernières années en Afrique. Cette stabilisation est plutôt l’effet conjugué du retour au calme chez les grands acteurs de la politique régionale et d’une fatigue des populations locales face aux conflits.

Des zones encore surpeuplées et pauvres, synonymes de jeunesse en déshérence

Donnée structurante de la géopolitique des Grands Lacs, la saturation économico-démographique est plus que jamais d’actualité : le Burundi (7,4 millions d’habitants pour une superficie de 27 830 km²), le Rwanda (9 millions d’habitants sur une superficie de 26 338 km²) et les Kivu (à la suite des mouvements de population depuis 1996 en provenance de l’Est) sont surpeuplés et dotés d’économies essentiellement agricoles ; celles-ci ne permettent pas l’élévation du niveau de vie de leur population et suscitent de nombreux conflits fonciers – ainsi, au nord Kivu, la question foncière entre Nandés, Hundés et Banyamulenge demeure explosive. De ce point de vue, la «machine à pauvreté» qui fait d’une jeunesse en déshérence le vivier des bandes armées n’est pas enrayée : les Mai-Mai du nord Katanga n’ont pas tous rendu les armes, et plusieurs autres groupes armés sans structure de commandement – les tristement célèbres Rastas par exemple – continuent de marauder et harceler la population dans les Kivu.

En outre, les motifs officiels de l’insécurité rwandaise n’ont pas été annulés. D’abord, le problème banyamulenge, qui a été le déclencheur de la rébellion de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL) en 1996 reste entier. Les Tutsis congolais minoritaires sont toujours en butte à l’hostilité des autres composantes de la nation, en particulier dans les Kivu. Cette situation est d’ailleurs à l’origine de la persistance de la dissidence des 81e et 83e brigades banyamulenge de Laurent Nkunda, qui ont fait parler d’elles lors de l’investiture de Joseph Kabila. Ensuite, passée à côté d’une opportunité de règlement en 2005, la «question FDLR» (Force démocratique de libération du Rwanda, qui rassemble les ex-Interahamwe et les membres de l’armée rwandaise réfugiés en RDC après le génocide) est toujours dans l’impasse, leur retour au Rwanda étant la position officielle des autorités congolaises, ce que les intéressés refusent évidemment.

L’amélioration ne peut qu’être graduelle

De ce fait, l’amélioration de la situation sécuritaire reste précaire et ne doit pas être considérée comme un acquis définitif. D’autant que le déploiement des Forces armées de la RDC (FARDC), alors qu’il est présenté comme la solution aux problèmes sécuritaires de l’Est congolais – notamment les trafics transfrontaliers et l’activisme des «forces négatives» –, consiste à remplacer un problème par un autre : les FARDC n’ont pas fait la preuve de leur efficacité opérationnelle et, en Ituri, certaines de leurs unités se substituent aux milices dans l’exploitation des ressources naturelles et les violations des droits de l’homme (des fosses communes ont été découvertes et plusieurs militaires arrêtés sont en attente de jugement).

Depuis le génocide rwandais, la région des Grands Lacs a été un système de conflits d’une grande complexité car les causes endogènes et exogènes de la conflictualité s’entremêlaient. Le démontage de ce système de conflits ne peut, en conséquence, qu’être graduel : la région n’est qu’au début de la phase de reconstruction et de développement sans lesquels il ne saurait y avoir de paix durable.

par Thierry  Vircoulon

Article publié le 06/02/2007 Dernière mise à jour le 06/02/2007 à 09:41 TU

(1) Notamment par des soutiens croisés à des bandes armées rivales dans la Province orientale.

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