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24e sommet Afrique-France

Médias d’Afrique : liberté précaire et faible structuration

La liberté de la presse en Afrique reste soumise aux aléas de l’Etat de droit, et dans certaines zones est toujours précaire.  

		(Photo: AFP)
La liberté de la presse en Afrique reste soumise aux aléas de l’Etat de droit, et dans certaines zones est toujours précaire.
(Photo: AFP)
Mieux que d’autres régions du monde, l’Afrique a su créer, depuis une quinzaine d’années, un cadre favorable à la liberté d’expression, et la fin du monopole sur l’information a permis une multiplication spectaculaire d’organes de presse. Mais les acquis demeurent fragiles.

La presse «libre» fait aujourd’hui partie du paysage urbain en Afrique, et l’engouement pour les médias est manifeste. Ceux-ci n’ont cessé, à la faveur des transitions démocratiques, de se multiplier depuis près de quinze ans, en étendant leur couverture à l’intérieur des pays dont certains, comme le Mali ou Madagascar, comptent plus d’une centaine de radios et des dizaines de publications plus ou moins régulières.

La liberté de la presse en Afrique reste toutefois soumise aux aléas de l’Etat de droit, et dans certaines zones est toujours précaire. Le rapport 2006 de l’organisation française Reporters sans frontières (1) pointe les entraves encore nombreuses à l’exercice des médias, en lien avec des situations des droits de l’homme préoccupantes. L’Erythrée, le Zimbabwe, la Guinée équatoriale sont notamment mis à l’index, mais ailleurs l’organisation déplore aussi l’impunité observée pour les auteurs d’attentats contre les journalistes, dénonce dans maints pays le recours trop systématique aux emprisonnements pour délits de presse et continue à réclamer leur dépénalisation.

Dans une dizaine de pays, la situation des médias est jugée globalement satisfaisante et RSF salue les améliorations constatées dans l’encadrement légal de la presse au Togo, en République centrafricaine ou en Angola. Mais, et c’est surtout vrai en Afrique subsaharienne, le paysage médiatique est marqué par les lacunes d’une «dérégulation» peu contrôlée : tout semble indiquer que les gouvernements africains, une fois établi le principe de la liberté de presse, restent sur une position défensive et peinent à mettre en œuvre de réelles politiques de communication.

Or le chantier reste immense, alors que l’on entend déplorer de toutes parts le manque de professionnalisme des journalistes et le caractère informel des entreprises de presse. Ces lacunes contribuent à entretenir une production de presse globalement de faible qualité, dominée par des médias «d’opinion» très politisés, dont l’audience est aléatoire, susceptibles d’alimenter les tensions et les antagonismes dès lors que le contexte national se dégrade. Ce constat, très général dans le cas des pays francophones ou lusophones, n’épargne pas non plus la presse anglophone dont les bases économiques sont pourtant plus solides (2).

Une exigence de professionnalisation

Les efforts engagés en matière de régulation sont restés insuffisants : les organes de régulation (conseils supérieurs et hautes autorités des médias) instaurés en grand nombre manquent de moyens et éprouvent de grandes difficultés à mettre en œuvre les nécessaires mesures de contrôle du secteur. L’absence d’encadrement légal se traduit au plan économique : beaucoup d’entreprises conservent un caractère informel. Par ailleurs, très peu de pays encore ont vu l’adoption de conventions collectives, dont le respect, parmi d’autres contraintes, constituerait une étape dans la professionnalisation des médias. Enfin, la formation des journalistes reste partout d’une grande carence, le soin étant généralement laissé aux bailleurs de fonds d’initier de multiples opérations de formation, à l’efficacité difficile à évaluer.

La vogue de l’autorégulation (qui prévoyait que la profession devait mettre elle-même de l’ordre dans ses rangs), fortement soutenue à la fin des années quatre-vingt-dix, n’a guère été au-delà de la création spontanée d’organes d’autorégulation manquant d’impact. En 2006 à Bamako, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a réuni les acteurs concernés de la zone francophone pour un bilan (3) sans concession de cette orientation, en s’efforçant de promouvoir une relance du Réseau des instances africaines d’autorégulation des médias (RIAM).

La situation en République démocratique du Congo est significative. Dans le cadre de l’appui au processus de transition, des soutiens considérables ont été apportés par l’ensemble de la communauté internationale au secteur, qui ont permis des progrès en matière de régulation ; mais les médias congolais sont toujours dominés par les allégeances partisanes, avec une faible production d’information. La couverture par les médias congolais des élections de 2006 a donné lieu à de fréquents dérapages, et plusieurs journalistes ont été victimes d’attentats. Face aux débordements, la Haute autorité des médias (dont le siège a été incendié en juillet 2006) a multiplié les sanctions et les mises en garde. La communauté internationale a par ailleurs soutenu la création de médias au statut extra-congolais, telle Radio Okapi, qui proposent un modèle apprécié de production d’information non partisane.

Les télévisions à la recherche d’un modèle économique

Le retard sensible observé en Afrique dans le domaine de la télévision traduit une structuration insuffisante de ce secteur, comme l’avait confirmé un rapport commandé en 2005 par Canal France international (CFI)*. Le démantèlement du monopole audiovisuel y est resté très inégal, malgré les nets progrès enregistrés ces dernières années, et les télévisions privées souffrent partout d’une très faible assise économique. L’enthousiasme des opérateurs mérite d’être souligné, mais qu’il soit public ou privé, le marché de la télévision reste dominé par l’informel et le recours à des expédients tels que la marchandisation des antennes (vente d’espaces publicitaires qui se substituent à la production d’information) ; la création audiovisuelle – programmes et fictions – demeure faible. Les écrans africains sont donc largement voués à un flux d’images importées, et leur contribution au pluralisme est problématique, comme en RDC où factions politiques, intérêts privés, sectes religieuses contribuent pour leur propre compte à un dynamisme télévisuel ambigu. L’émergence de chaînes transnationales, telle Africable pour la zone francophone, pour constituer un atout, si les bases économiques en étaient moins précaires.

 

* A consulter sur le site de CFI : http://www.cfi.fr/IMG/pdf/Synthese_AREA.pdf


Pour des médias conçus comme de véritables entreprises

Pour le ministère français des Affaires étrangères, l’amélioration de la gestion des médias constitue un des enjeux de la coopération aujourd’hui. On retrouve cette préoccupation dans les principaux programmes d’appui aux secteurs de la radio (où sont visées la modernisation des radios tant publiques que privées, et une meilleure structuration des réseaux de radios communautaires) et de la télévision : le Plan image Afrique propose des interventions diversifiées qui doivent aider à l’émergence d’une véritable industrie de l’image, notamment par l’appui à la modernisation et l’amélioration de la gestion des entreprises audiovisuelles, et par le soutien direct à la production ; ainsi sont lancés des appels à projets concernant l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, avec en 2007 un accent mis sur la production de séries télévisées ; un volet important concerne la préservation et la gestion des archives audiovisuelles. On note que le Maroc fait partie des pays où un appui multiforme, incluant la formation, doit permettre d’accompagner les efforts de libéralisation observés.

La France, qui dispose avec son réseau d’attachés audiovisuels régionaux de relais jugés très efficaces, souhaite en outre systématiser une démarche de coopération s’appuyant sur quelques opérateurs de référence comme CFI en télévision ou RFI et Radio France en radio. Elle conçoit son action selon deux grands axes stratégiques : l’amélioration de la gouvernance et la promotion de la diversité culturelle. A ce titre, elle souhaiterait mobiliser sur la question des enjeux économiques de la culture. Conjointement avec l’Organisation internationale de la Francophonie, un appel en ce sens doit être lancé, à Ouagadougou, lors du 20e Fespaco (24 février-3 mars 2007).



par Thierry  Perret

Article publié le 06/02/2007 Dernière mise à jour le 06/02/2007 à 11:33 TU

1- A consulter sur le site de RSF : http://www.rsf.org/

2- Un titre de presse kényan comme le Daily Nation annonce une diffusion quotidienne de plus de 200 000 exemplaires, à rapporter aux 25 000/30 000 exemplaires de Fraternité Matin en Côte d’Ivoire.

3- Séminaire Autorégulation et observation des médias en période électorale, Bamako, 30 octobre-1er novembre 2006.

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