24e sommet Afrique-France
TIC : l’Afrique a «un rendez-vous avec l’histoire»
(Photo : AFP)
«La vulgarisation des technologies de l’information et de la communication est un rendez-vous avec l’histoire que nos peuples ne devraient pas manquer, déclarait, le 17 mai 2006, le président sénégalais Abdoulaye Wade, recevant ce jour-là, aux côtés du futur prix Nobel de la paix Muhammad Yunus (Bangladesh), le premier prix UIT de la société mondiale de l’information. Une société de l’information plus équilibrée et plus harmonieuse devrait être fondée sur une généralisation de l’accès à l’outil informatique, pour éviter aux pays en retard dans ce domaine les risques d’une marginalisation irréversible.» Le risque est en effet bien réel. Certes, dans l’absolu, l’Afrique progresse. En nombre d’utilisateurs de communication mobile, souligne la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced)*, les pays en développement (PED) sont ainsi «désormais loin devant les pays développés» : 1 174 millions d’utilisateurs du téléphone portable (dont 135 millions en Afrique) contre 809 millions dans les pays développés en 2005.
Mais, outre le fait que «le téléphone mobile est la seule TIC» dans laquelle on constate ce dépassement – pour Internet, on compte 441 millions d’utilisateurs dans les PED (35 millions en Afrique) contre 531 millions dans les pays développés –, la fracture numérique réapparaît dès que l’on s’intéresse aux taux de pénétration. «L’Afrique, précise ainsi la Cnuced, a les taux de croissance les plus élevés pour ce qui est du nombre d’utilisateurs d’Internet (+52,5 % en 2005 par rapport à 2004), car de nombreux pays partent de très faibles niveaux, mais cela ne l’empêche pas d’avoir les taux de pénétration les plus bas» : 3,6 utilisateurs pour 100 habitants en 2005, quand les PED atteignent en moyenne 8,5% et les pays développés 54,4%. Enfin, comme au Nord la capacité des accès augmente et les prix diminuent, le fossé relatif s’agrandit.
Le haut débit, une «nouvelle dimension de la fracture numérique internationale»
Car une «nouvelle dimension de la fracture numérique internationale» est apparue, affirme la Cnuced : les différences de mode d’accès à Internet. L’accès à large bande progresse rapidement – et ne cesse de s’accélérer – dans les pays développés tandis que l’accès par ligne commutée reste dominant dans les PED. En 2005, le taux d’abonnés au haut débit était ainsi de 19,2 pour 100 habitants en Belgique, 15,6% en France ou 16% au Royaume-Uni, mais de seulement 0,2% au Sénégal, 0,3% en Afrique du Sud, 0,7% aux Seychelles, 0,8% au Maroc… Or les connexions à large bande «permettent d’optimiser les effets positifs des TIC», notamment en accroissant la capacité des entreprises au commerce électronique.
Deux facteurs au moins influent sur la croissance d’un réseau à large bande, rappelle la Cnuced : la concurrence et la baisse des prix d’une part, les infrastructures disponibles d’autre part. En Afrique, les réseaux de télécommunications ne font pas exception à la règle : ils sont insuffisants, comme le sont les réseaux routiers et ferroviaires d’un continent dont l’immensité – on l’oublie souvent, sa superficie est égale à celles de la Chine, des Etats-Unis, de l’Inde, de l’Union européenne, de l’Argentine et du Mexique réunies – est en la matière un handicap certain. Néanmoins deux projets majeurs sont en cours de réalisation, que l’Agence française de développement (AFD) suit avec attention : Rascom et EASSy, qui pourraient se concrétiser très prochainement (voir encadré). «L’accès physique aux réseaux n’est qu’un des aspects de l’accès à la société de l’information, souligne un expert français. Une fois cet accès créé, deux autres questions se posent : ai-je les moyens financiers et humains d’utiliser ces nouvelles technologies, et sont-elles adaptées à l’usage que je souhaite ? Au Burundi aujourd’hui, un accès pour un débit de 256 ko coûte près de 1 000 dollars par mois. Quel particulier peut se l’offrir ?» Face à de tels tarifs, la multiplication des points d’accès publics apparaît comme la seule stratégie possible. Initiative africaine portée par le président Wade, relayée notamment par la Francophonie, le Fonds de solidarité numérique (FSN, http://www.dsf-fsn.org/), inauguré en mars 2005, se concentre sur des projets communautaires structurants. Membre du FSN, la France a également adopté cette approche pour son projet de coopération majeur en la matière, Aden, pour appui au désenclavement numérique (http://www.africaden.net/).
Aden : 30 centres sont opérationnels dans 11 pays
Doté de 6 millions d’euros sur la période 2003-2008, Aden a pour ambition de créer un réseau de points d’accès publics à Internet dans des zones numériquement enclavées, ignorées par le marché : au 15 janvier 2007, 30 centres dans 11 pays sont opérationnels. Il ne s’agit pas simplement de connecter un centre, mais aussi de former l’équipe appelée à le gérer et d’appuyer la production de contenus et d’applications adaptées aux besoins locaux. Le tout en coordination étroite avec la société civile : un partenaire local est associé à chaque centre, comme l’association de développement de l’archidiocèse à Gitega (Burundi), la mairie à Bot-Makak (Cameroun), l’université à Kankan (Guinée) ou une association de jeunes dans un quartier défavorisé de Luanda (Angola). La France apporte l’équipement et finance la connexion (le plus souvent satellitaire) pendant dix-huit à vingt-quatre mois, à charge pour l’équipe locale, régulièrement suivie, d’établir des tarifs et des prestations qui lui permettront de prendre le relais. Les premiers centres Aden arriveront à échéance mi-2007.
Au-delà d’Aden, la coopération française encourage la formation des acteurs africains impliqués dans la gouvernance technique d’Internet. «Si Internet est un bien public mondial, souligne un expert français, chacun a son mot à dire. Les structures africaines doivent être formées pour être légitimes, notamment dans la gestion des domaines nationaux ; actuellement par exemple, le «.cd », l’extension de la République démocratique du Congo, n’est pas techniquement géré en RDC. C’est regrettable !» Le ministère des Affaires étrangères a également appuyé la mise en place des points d’échange Internet d’Accra et de Lagos (http://www.afrispa.org/), une solution technique en place dans tous les pays du Nord, et qui consiste à interconnecter tous les fournisseurs d’accès locaux afin d’éviter d’utiliser de la bande passante internationale, très chère, pour envoyer un mail d’une rue à l’autre. Dans le même ordre d’idée, la coopération française appuie l’amélioration du cadre juridique et réglementaire dans lequel évoluent les nouvelles technologies, que ce soit dans leur partie télécoms ou dans leur partie administration électronique. Un appui apporté, comme souvent, en collaboration étroite avec de multiples partenaires, l’Union internationale des télécommunications, l’Unesco, l’Union européenne… Au Sénégal, le site web de l’administration publique (http://www.demarches.gouv.sn/), actuellement simple outil d’information, devrait bientôt proposer à l’internaute la possibilité d’effectuer des démarches en ligne.
Rascom et EASSy : tous les espoirs sont permis Des deux projets majeurs actuellement en cours de concrétisation en Afrique, le plus ancien est mené par l’Organisation régionale africaine de communication par satellite (Rascom, http://www.rascomstar.com/), créée en mai 1992 ; l’originalité de son projet est d’offrir un système intégré de téléphonie rurale permettant une baisse importante des coûts pour les zones isolées. Le satellite, fabriqué, devait être lancé en 2006, mais cela n’a pu avoir lieu. A terme, l’AFD pourrait intervenir, aux côtés d’autres bailleurs de fonds, dans le financement des milliers de terminaux ruraux. L’autre projet, EASSy, d’un montant d’environ 230 millions de dollars, est piloté par la e-Africa commission du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) : cette liaison sous-marine en fibre optique devrait relier le Soudan à l’Afrique du Sud, avec divers points d’atterrissage, désenclavant ainsi l’Est et le Sud du continent. «L’un comme l’autre projet, explique un diplomate français, font appel à des maîtrises d’ouvrage internationales qu’il faut inventer et dont il faut asseoir la légitimité, car elles assumeront une part des attributs souverains des Etats impliqués. La multiplicité des acteurs amène une certaine tension : il faut notamment, dans le cas d’EASSy, mettre d’accord les opérateurs parties prenantes sur le partage des futures capacités de la ligne et la tarification.» Le souci des bailleurs est de ne pas voir se répéter l’expérience de SAT3, câble sous-marin reliant le Portugal à l’Afrique du Sud. Disposant de 11 points d’atterrissage sur la côte Atlantique, SAT3 avait soulevé de grands espoirs de désenclavement numérique et de baisse des prix à l’ouest du continent. Mais les opérateurs qui en sont propriétaires, le plus souvent les anciennes sociétés d’Etat ayant longtemps bénéficié de monopole, se montrent peu enclins à faciliter l’accès des autres opérateurs concurrents : la plupart pratiquent des prix élevés pour un volume faible. Pour EASSy, une solution de compromis a été trouvée en juillet 2006, permettant de garantir tout à la fois l’accès ouvert à un prix raisonnable et les intérêts des opérateurs à l’origine du projet. Le câble pourrait donc être opérationnel d’ici la fin de l’année 2007. |
par Ariane Poissonnier
Article publié le 06/02/2007 Dernière mise à jour le 06/02/2007 à 13:23 TU