24e sommet Afrique-France
UE/Afrique : les mots clés d’une relation en devenir
Accord de Cotonou
Signé le 23 juin 2000, l’Accord de Cotonou régit le partenariat entre l’Union européenne et les 77 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Il a succédé à la Convention de Lomé, pour une période de 20 ans, avec révision tous les cinq ans. La première révision quinquennale, en juin 2005, a permis d’introduire de nouvelles clauses politiques, notamment sur la promotion de la justice internationale.
Trois raisons ont été invoquées pour dénoncer la Convention de Lomé : sa non-compatibilité avec les règles de l’OMC ; son manque d’efficacité en terme de développement ; la volonté de l’UE de redéfinir ses relations commerciales avec l’Afrique.
L’Accord repose sur cinq piliers :
1) Le renforcement de la dimension politique (art.8) du partenariat autour des éléments essentiels de l’accord (droits de l’Homme, Etat de droit et principes démocratiques) et de l’élément fondamental (bonne gestion des affaires publiques). L’accent est mis sur la prévention et la résolution des conflits, conditions d’un développement durable (art. 11). La dimension migratoire est également mieux prise en compte (article 13).
Désormais l’UE peut suspendre son aide en cas de violation grave des droits de l’homme ou de mauvaise gestion des affaires publiques.
2) Le pilier commercial met l’accent sur les réformes structurelles et la création de zones de libre-échange. Il prévoit la mise en place, à partir de 2008, d’accords de partenariat économique entre les 27 et les ACP regroupés autour d’organisations régionales comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao). L’Accord de Cotonou transforme les relations économiques entre les deux continents puisque la notion d’aide, incarnée par le système de préférence généralisée, est remplacée par une philosophie libérale, à savoir des échanges sur la base de la libre concurrence.
3) L’Accord de Cotonou adopte une stratégie de développement centrée sur la lutte contre la pauvreté et selon trois principes : égalité homme-femme, gestion durable de l’environnement, exploitation rationnelle des ressources naturelles…
4) Cet accord consacre le principe du développement participatif, à savoir qu’il associe de nouveaux acteurs tels que la société civile, les entreprises, les Ong, les collectivités locales… au dialogue politique, à la définition des stratégies de développement…
5) Cinquième et dernier pilier de l’accord, le nouveau système de coopération financière prévoit la disparition des aides automatiques. Les allocations seront attribuées selon les besoins, mais aussi en fonction des performances des pays.
Cet accord de Cotonou est critiqué par nombre d’Ong (lire : Haro sur Cotonou).
Accords de partenariat économique
Piliers de l’Accord de Cotonou, les accords de partenariat économique établiront, à compter du 1er janvier 2008, une coopération économique et commerciale renforcée entre l’UE et les pays ACP, notamment par des zones de libre-échange avec les six régions ACP (Afrique de l’Ouest/Cedeao, Afrique centrale/Cemac, Afrique australe/ SADC, Afrique orientale et australe/ESA, Caraïbes/CARIFORUM, et le Forum des îles du Pacifique). Ils prévoient aussi une libéralisation progressive (sur dix ou douze ans) des échanges commerciaux. L’objectif proclamé de l’Union est de renforcer l’intégration économique des Etats ACP et ainsi de promouvoir leur développement.
Les APE sont à la fois des accords de commerce et de développement. Ils devront offrir aux exportations des pays ACP un accès facilité aux marchés européens, mais aussi permettre un accroissement des échanges Sud-Sud, préalable à toute libéralisation Nord-Sud, et enfin mettre à la disposition des Etats ACP des instruments financiers propres à favoriser les entreprises privées. Comme le souligne un haut-fonctionnaire européen : « Les APE doivent renforcer l’intégration régionale entre pays ACP, cela afin d’élargir leurs marchés. Le but est de favoriser des économies d’échelle, améliorer les niveaux de qualification, réduire les coûts de production, et donc la compétitivité des pays ACP. Surtout le but est d’attirer plus d’investissements dans ces pays ». Comme l’écrit le site de l’UE : « Avec les APE, les politiques commerciales et de développement ne seront plus considérées séparément, mais formeront un outil intégré ». Les APE remplacent l’ancien système tarifaire de préférence généralisé par des accords commerciaux qui pourront varier d’une région ACP à l’autre en fonction de ses besoins, de ses capacités, de ses acquis. Les pays les moins avancés (PMA) pourront cependant conserver l’ancien système de préférence.
ACP
Le groupe ACP regroupe 48 pays d’Afrique, 16 des Caraïbes et 15 du Pacifique. Créé par l’accord de Georgetown du 6 juin 1975, il a pour but de développer la coopération entre ses membres. Organisation intergouvernementale basée à Bruxelles, il dispose d’un statut d’observateur auprès de l’Onu depuis 1981. Son actuel secrétaire général est Sir John Kaputin, de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Le groupe ACP entretient des relations étroites avec l’Union européenne puisque, à deux exceptions près, tous ses membres sont signataires de l’Accord de Cotonou comme ils l’étaient de la Convention de Lomé. La majorité de l’aide publique au développement de l’UE est destinée aux pays ACP, dont plus de la moitié à l’Afrique.
Cette proximité entre l’UE et l’ACP est illustrée par leurs institutions communes, à savoir : le Conseil des ministres UE-ACP qui regroupe des représentants de chaque Etat, mais aussi de la Commission européenne et qui est l’organe suprême de décision ; le Comité des ambassadeurs UE-ACP qui assiste le Conseil des ministres ; l’Assemblée parlementaire paritaire, organe consultatif qui réunit tant des députés de l’ACP que des élus du parlement de Strasbourg. Quant au secrétariat général des pays ACP, sa mission est de faciliter la mise en œuvre de l’Accord de Cotonou.
Deux agences participent à l’application de cet accord : le Centre pour le développement de l’entreprise, qui favorise le partenariat entre les entreprises des pays ACP et celles de l’UE ; et le Centre technique de coopération agricole et rurale dont l’objectif est le même, mais pour le développement rural.
Agence Frontex
Créée en 2004, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) coordonne l’action des 27 en matière de surveillance des frontières extérieures de l’UE. Elle participe à la formation des gardes-frontières, effectue des analyses de risques sur les migrations, mène des opérations communes avec Europol, organise à la demande des pays des opérations de retour. Basée à Varsovie et employant 67 personnes, Frontex est en première ligne dans la lutte contre l’immigration clandestine venue d’Afrique, en particulier depuis le sommet de Hampton Court, en octobre 2005. En 2006, des patrouilles européennes communes ont été créées non seulement en Méditerranée, mais aussi aux alentours des côtes africaines, grâce à l’accord des pays de départ. Les pays d’Afrique du Nord pourraient être associés à ces patrouilles. Depuis août 2006, Frontex a renforcé la surveillance des îles Canaries, pour empêcher l’immigration illégale et pour éviter des drames en mer. Dans ce cadre, l’Espagne a reçu de l’UE une aide matérielle, en particulier une corvette de la marine portugaise, un avion et un patrouilleur des gardes-côtes italiens et un avion finlandais. L’Agence doit réaliser une étude de faisabilité d’un système de surveillance qui couvrirait toute la frontière maritime méridionale de l’UE. Frontex disposait en 2006 d’un budget de 9,9 millions d’euros.
Banque européenne d’investissement
La Banque européenne d’investis-sement (BEI) – établissement à but non-lucratif dont le siège est à Luxembourg – est l’institution financière de l’UE. Créée par le traité de Rome en 1957, son rôle est d’emprunter sur les marchés pour financer des projets de développement au sein de l’Union. Ces projets (liaisons ferroviaires, défense de l’environnement, production d’énergie…) visent principalement les régions défavorisées de l’Union, mais aussi les pays candidats à l’adhésion, voire les pays en développement.
A cet égard, la BEI met en œuvre le volet financier des accords de coopération en faveur du développement durable en Afrique, comme en Asie ou au Proche-Orient. En Afrique du Nord, ses activités ont été regroupées au sein de la Femip, la Facilité euro-méditerranéenne d’investis-sement et de partenariat, dotée de 11 milliards d’euros. L’objectif est de favoriser l’intégration régionale de ces pays dans la perspective d’une union douanière avec l’UE d’ici 2010.
Dans les pays ACP, la BEI intervient dans le cadre de l’Accord de Cotonou. Elle a pour mandat d’accorder des aides remboursables, parallèlement aux aides non remboursables que fournit la Commission européenne. Elle a provisionné, pour la période 2003-2008, 3,7 milliards d’euros pour des projets en direction des pays ACP, dont 60% concerne l’Afrique. A cela il faut ajouter 635 millions d’euros en faveur de l’Afrique du Sud. La BEI privilégie les projets du secteur privé ou ceux du secteur public gérés selon des principes commerciaux. On peut citer comme exemple un prêt de 65 millions d’euros au Cameroun dans le secteur énergétique, un prêt de 6 millions d’euros au Tchad pour une usine de retraitement des eaux, un prêt de 4 millions d’euros en Namibie pour la construction de routes… Les prêts de la BEI hors-UE ne représentent que 15 % de l’ensemble de ses prêts.
Direction générale Développement et Aide humanitaire
La DG Développement et aide humanitaire définit la politique d’aide et de développement de l’UE à l’égard des pays du Sud, au plan général et sectoriel. Ses principaux domaines d’intervention concernent le lien commerce-développement, la coopération régionale, le soutien aux politiques macro-économiques de développement, l’accès équitable aux services sociaux, la sécurité alimentaire, le développement rural… Mais aussi la défense des droits humains, la protection de l’enfance, la défense de l’environnement, la bonne gouvernance… La DG Développement supervise l’activité d’ECHO, l’organisme humanitaire des 27. Elle a aussi la responsabilité des relations entre l’Union et les pays ACP.
Sa mission est de favoriser l’éradication de la pauvreté dans les pays du Sud et de promouvoir le développement durable, la paix, la sécurité ainsi qu’un environnement stable et démocratique. A cette fin, la DG Développement travaille en collaboration avec d’autres directions générales, notamment celles des Relations extérieures, du Commerce et de l’Agriculture. Elle essaie d’harmoniser les différentes politiques communautaires, comme celles des 27 Etats membres, à l’égard du Sud pour maximiser leur impact. C’est aussi elle qui programme l’affectation des ressources du Fond européen de développement et supervise leur mise en œuvre.
La DG Développement et Aide humanitaire est dirigée, sur le plan administratif, par un directeur général (actuellement l’Italien Stéfano Manservisi), et sur le plan politique, par un commissaire européen, en l’occurrence l’ancien ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel qui a donné un grand relief médiatique à la fonction. Il avait déclaré, lors d’un voyage à Brazzaville en janvier 2006 : « Notre stratégie est focalisée sur l’Afrique ; c’est la priorité de l’Union européenne. L’augmentation de l’aide des Etats membres sera affectée à l’Afrique, notamment à la construction d’infra-structures ».
ECHO
Acronyme de European Commission Humanitarian Office, Echo est le bras humanitaire de l’UE. Conformément à son mandat, il « porte assistance aux victimes de catastrophes naturelles ou de conflits en dehors de l’Union européenne. Cette aide est orientée vers les populations en détresse, sans distinction de race, de religion ou d’opinion politique ». ECHO n’est pas une Ong, mais apporte une contribution financière, logistique ou matérielle pour des missions précises à des associations humanitaires, à la Croix-Rouge ou à des agences de l’Onu comme l’Unicef. En 2005, ECHO est intervenu dans 60 pays, via 200 partenaires, pour secourir 18 millions de personnes ; 30 % des missions d’ECHO concernent des crises « oubliées », comme au Sahara occidental.
Créé en 1992, ECHO disposait en 2006 d’un budget de 672 millions d’euros – supérieur à l’ensemble de l’aide humanitaire des Etats-Unis. Ce budget devrait avoisiner les 750 millions en 2007. Outre la fourniture de médicaments, de carburant, de médecins ou d’équipes de traitement des eaux, l’agence européenne forme aussi des logisticiens et mène des actions de prévention auprès de populations vivants dans des régions sensibles (zones sismiques, terres inondables…).
En Afrique, ECHO intervient dans 26 pays. En 2005, il y a consacré 244 millions d’euros. L’Afrique est le seul continent où l’agence européenne dispose d’une compagnie aérienne – EchoFlight – qui transporte du fret et du personnel humanitaire, ceci dans la corne de l’Afrique et la région des Grands lacs.
EuropeAid
Fondé le 1er janvier 2001, EuropeAid a pour mission de mettre en œuvre l’aide extérieure de l’UE, que celle-ci soit financée par le budget général de la Commission ou par le Fond européen de développement. Il ne gère que les projets de développement, pas l’aide humanitaire confiée à ECHO, ni les programmes d’aide de pré-adhésion. EuropeAid suit toutes les phases d’un projet : identification, définition du programme, financement, exécution, évaluation… Ce n’est pas un organe de décision politique, mais le bras exécutif de cette politique. Pour favoriser une exécution efficace, rapide et au plus près du terrain, EuropeAid délègue aux représentations de la Commission à l’étranger la gestion des projets, ne faisant que les superviser. EuropeAid est rattaché à la Direction générale pour les relations extérieures.
Facilité européenne pour le soutien à la paix en Afrique
Adoptée par le Conseil européen du 17 novembre 2003, la facilité de soutien à la paix en Afrique appuie les opérations de maintien de la paix conduites par l’Union africaine ou les organisations régionales, ainsi que le renforcement des structures de sécurité collective de l’Union africaine. Dotée pour 2003-2007 d’un budget de 300 millions d’euros, issu du Fond européen de développement, cette initiative prend en charge les coûts non-militaires liés au déploiement de forces de maintien de la paix (frais de transport, de séjour, per diem aux soldats…). En aucun cas, elle ne finance les dépenses militaires ou d’armement. L’idée est que la paix est un pré-requis au développement, d’où l’intervention du FED.
Ces fonds ont été mobilisés pour la première fois en juin 2004 pour appuyer l’opération de l’Union africaine au Darfour (AMIS). Pour 2008-2010, la facilité de paix sera dotée de 300 millions d’euros.
Fond européen de développement
L’aide au développement de l’UE provient de deux budgets : le budget communautaire général que gère la Commission et qui représente environ 5 milliards d’euros pour ce chapitre ; et le Fond européen de développement (FED), financé par les Etats membres hors budget communautaire et indépendamment de l’aide bilatérale de chacun d’entre eux. Le FED constitue donc l’instrument principal de l’aide au développement de l’UE en faveur des pays ACP. A l’origine, le traité de Rome avait créé le FED pour l’octroi d’aides techniques et financières aux pays africains colonisés ou récemment indépendants.
Le FED accorde des dons aux Etats et des prêts non remboursables au secteur privé. Les projets qu’il finance visent la promotion des échanges commerciaux, la construction d’infrastructures, le développement rural, la coopération technique, le soutien social (santé, scolarisation, lutte contre les épidémies…). Chaque FED est conclu pour une période d’environ cinq ans.
Parmi les programmes financés par le FED en Afrique, on peut citer pêle-mêle un projet de 5,5 millions d’euros pour l’aide à la formation professionnelle au Niger, comme une enveloppe de 250 millions pour soutenir la force de maintien de la paix de l’Union africaine, ou encore un appui de 15 millions au secteur minier sénégalais. L’occasion de rappeler que l’UE fournit 55% de l’aide publique au développement dans le monde (environ 45 milliards de dollars), en additionnant les aides de la Commission européenne et les aides bilatérales des 27 Etats membres.
Le FED en cours est doté d’un budget de 13,5 milliards d’euros, auquel s’ajoutent les reliquats des FED précédents qui représentent 9,5 milliards d’euros. Le 10è FED (2008-2013) devrait se voir doté de 22,6 milliards d’euros.
Hampton Court
C’est dans ce château du XVIè siècle, situé près de Londres et réputé hanté, que les chefs d’Etats et de gouvernements des 25 alors ont approuvé, le 27 octobre 2005, un document intitulé « Approche globale sur la question des migrations : priorités d’action centrées sur l’Afrique et la Méditerranée ». Les évènements dramatiques de Ceuta et Melilla, l’arrivée continue de clandestins majoritairement africains en Italie et dans les Canaries, la mort en mer de nombreux candidats à l’immigration, ont conduit les autorités européennes à adopter des mesures plus strictes en la matière, cela d’autant que le sujet est politiquement sensible en Europe. Les 27 n’ont pas toutefois unifié leur politique migratoire ; celle-ci dépend de l’histoire, de la situation économique et des enjeux de politique intérieure de chaque pays. Mais plusieurs directives européennes ont été adoptées dans ce domaine et on note une volonté croissante de convergence (voir l’article sur les politiques migratoires dans ce dossier).
Axé sur l’idée d’une stratégie commune de l’UE à l’égard de l’Afrique, le document adopté à Hampton Court prévoit un renforcement de la coopération opérationnelle entre les Etats membres, confiée à l’Agence Frontex. Cette dernière a ainsi mis en place des patrouilles côtières en Méditerranée. Le document préconise aussi un dialogue et une coopération avec les pays africains de départ ; enfin un soutien des pays de transit, notamment de la Libye, du Maroc et de l’Algérie. L’idée est évidemment de lutter contre l’immigration clandestine et d’harmoniser les politiques d’immigration légale. Un partenariat a été établi avec le Haut Commissariat des Nations unies aux Réfugiés (HCR) et des campagnes d’information doivent être organisées à destination des migrants africains potentiels afin de leur montrer les dangers de l’immigration clandestine.
Organisée en juillet 2006, la conférence euro-africaine de Rabat a rappelé que la question migratoire était désormais une priorité du dialogue politique entre l’UE et l’Afrique. Pour la première fois, cette conférence a réuni pays de départ, de transit et de destination des migrants. Pour la première fois aussi, elle a fait du développement une clé de la lutte contre l’immigration illégale. C’est pourquoi le FED est associé aux différents programmes en la matière.
Haro sur Cotonou
L’Accord de Cotonou est vivement critiqué par les Ong d’aide au développement. Comme l’écrit Raoul-Marc Jennar, d’Oxfam : « On retrouve dans cet accord une même foi dogmatique dans les vertus du libre-échange et de l’initiative privée, une même volonté d’affaiblir la puissance publique pour, au final, renforcer le déséquilibre Nord-Sud. La solidarité est remplacée par le mercantilisme ». Pour Action Aid, « historiquement, la libéralisation économique a toujours davantage profité aux pays industriels qu’aux pays démunis. C’est un moyen d’imposer aux nations les plus dépendantes leur politique économique. C’est donc atteindre à leur souveraineté ». De son côté, Raphaël Ntambue Tshimbulu, directeur de recherche au CNRS, regrette, dans un article publié par Le Monde Diplomatique, que « l’Accord de Cotonou véhicule une image négative de l’Afrique : gaspillage, corruption, absence d’Etat de droit… Une telle vision paraît partiale car elle néglige les atouts de l’Afrique… En outre, cet accord introduit des différences de traitement entre les pays moins avancés et les autres ».
Les autorités européennes ont répondu à ces critiques : « Il est logique que l’aide soit gérée en fonction des performances et du sérieux des pays bénéficiaires ; fini de distribuer de l’argent sans contrôle. Le système encadré en vigueur pendant des années, avec des prix garantis et des secteurs protégés, n’a pas prouvé son efficacité. En outre, dans le cadre de Cotonou, les accords de partenariat économique ne sont jamais imposés, mais négociés. Le libre-échange est conseillé, mais pas obligatoire, notamment pour les PMA. L’objectif reste une plus grande prospérité de l’Afrique. »
Historique des relations Europe-Afrique
Dès la création de la CEE en 1957, le Traité de Rome prévoit une politique de coopération pour le développement de ce qu’on appelait le Tiers-monde. L’accent est alors mis sur les pays africains colonisés ou indépendants depuis peu. Le Traité de Rome instituait ainsi un régime d’association des pays et territoires d’outre-mer pour conserver les relations particulières de l’Europe naissante avec ses anciennes colonies.
L’accession à l’indépendance d’un nombre croissant de pays africains et leurs revendications politiques vont faire évoluer ces relations sur des bases contractuelles. Le 2 juillet 1963 est signée la première Convention de Yaoundé qui prévoit une aide financière et commerciale aux 18 ex-colonies africaines. Signée le 29 juillet 1969, la deuxième Convention de Yaoundé porte sur le financement de projets, avec une prépondérance pour l’Afrique noire. Deux mois plus tard, l’Accord d’Arusha intègre à cette Convention trois membres du Commonwealth, le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie.
La crise pétrolière des années soixante-dix, la hausse des cours des matières premières et l’évolution du dialogue Nord-Sud vont aboutir aux Conventions de Lomé (de Lomé I en 1975 à Lomé IV en 1990), caractérisées par l’égalité des partenaires, la nature contractuelle des relations et une combinaison d’aide, de commerce et de politique. Lomé IV introduit pour la première fois un lien entre développement et défense des droits de l’Homme.
Signé le 23 juin 2000, l’Accord de Cotonou renforce la dimension politique du partenariat (droits de l’Homme, bonne gouvernance) et remplace les aides subventionnées au développement par des réformes économiques structurelles, la création de zones de libre-échange et des liens commerciaux concurrentiels, avec le souci affiché d’intégrer l’Afrique dans la mondialisation libérale.
Parallèlement, le premier sommet au niveau des chefs d’Etat et de gouvernements entre l’UE et l’Afrique se tient au Caire en avril 2000, en présence de 15 dirigeants européens et 52 africains. Un deuxième sommet devait se tenir à Lisbonne en avril 2003, mais il a été reporté sine die en raison notamment de divergences entre pays africains et européens sur la présence du président du Zimbabwe, Robert Mugabe, interdit de séjour dans l’UE.
Les relations entre l’Europe et l’Afrique ont donc connu une double évolution. Une évolution « géographique » : des anciens pays colonisés à l’Afrique noire, puis à tout le continent. Le lancement du Nepad en 2001 et le remplacement en 2002 de l’OUA par l’Union africaine ont renforcé le panafricanisme de cette relation. Une évolution « thématique » ensuite : de l’aide au développement aux échanges commerciaux, puis à la globalité des problématiques : lutte contre les épidémies, scolarisation, soutien au maintien de la paix, organisation d’élections, droits des femmes… La coopération sans conditions a cédé la place à des exigences de respect des normes démocratiques et de bonne gouvernance.
Politique européenne de voisinage
Cette stratégie ne concerne pas directement l’Afrique – hormis sa façade septentrionale – mais intéresse ses dirigeants. Mis en œuvre en 2004, le nouvel instrument de politique étrangère de l’UE est destiné – comme son nom l’indique – aux voisins des 27, tant l’Europe de l’Est que les pays du Sud immédiat, dont le développement économique et la stabilité politique sont essentiels pour l’Union. Parmi les partenaires de la PEV, on trouve la Jordanie, le Maroc, la Tunisie, Israël, la Palestine, l’Egypte, l’Algérie, la Moldavie, l’Ukraine, la Biélorussie, l’Arménie, la Syrie, le Liban, la Libye, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. A en croire l’UE : « Les relations avec nos voisins sont devenues notre principale priorité extérieure. La PEV veut éviter des divisions entre l’UE et ses voisins de l’Est et des côtes de la Méditerranée. Nous voulons aller au-delà de la coopération pour inclure une intégration économique, politique, culturelle, avec ceux qui y sont prêts. » La PEV repose sur des plans d’actions bilatéraux dans des domaines d’intérêt commun, tels que l’immigration, la sécurité, le commerce, l’écologie, les transports. Pour 2007-2012, le budget de la PEV sera de 12 milliards d’euros. On peut noter que l’Afrique subsaharienne redoute de faire un jour les frais de l’attrait croissant de l’UE pour les pays de l’Est et du bassin méditerranéen, même si le continent reste aujourd’hui, et de loin, le premier destinataire de l’aide publique au développement de l’Europe (60 % de l’APD que reçoit l’Afrique provient de l’UE).
Stratégie conjointe Europe-Afrique
Le Conseil européen des 15-16 décembre 2005 a adopté la Stratégie de l’Union européenne à l’égard de l’Afrique dont l’objectif est d’établir un partenariat dit stratégique avec l’ensemble du continent, de sa façade septentrionale à sa pointe australe. Cette politique couvre la globalité des relations UE-Afrique à travers six thèmes : paix et sécurité ; droits de l’Homme et bonne gouvernance ; aide au développement ; croissance économique et commerce ; développement humain ; partenariat avec l’Afrique. Cette Stratégie conjointe repose sur un dialogue politique, notamment avec l’Union africaine. L’idée est de mieux coordonner les interventions des 27 Etats européens et de la Commission de Bruxelles grâce à un cadre commun de référence. La Stratégie conjointe reprend à son compte nombre de programmes existants tels que la Facilité de paix pour l’Afrique, l’initiative Tout sauf les armes, les projets dans les domaines de l’alimentation, de la santé et de l’éducation financés par le Fond européen de développement… Concernant la bonne gouvernance, l’UE apporte son appui au mécanisme africain de revue par les pairs prévu par le Nepad et aux différentes initiatives de lutte contre la corruption (processus de Kimberley par exemple sur le commerce des diamants). Les accords de partenariat économique rentrent aussi dans la logique de la « Stratégie conjointe ». Cette dernière fera l’objet d’une évaluation annuelle par le Conseil européen.
Tout sauf les armes
Adoptée le 26 février 2001 par le Conseil européen, l’initiative Tout sauf les armes autorise les importations vers l’UE, sans droits de douane ni quotas, de tous les produits en provenance des 50 pays les moins avancés (PMA), dont 40 appartiennent au bloc ACP. Sont concernés tous les produits, sauf les armes et les munitions. Ce dispositif vise à améliorer les échanges des pays les plus pauvres, marginalisés dans le commerce mondial. L’UE a ainsi été la première organisation à totalement ouvrir son marché aux PMA. Comme l’explique un haut-fonctionnaire européen : « Le nom du dispositif est politique dans la mesure où les PMA n’exportent guère d’armes vers l’Europe ; ils en reçoivent plutôt. Le message est qu’il vaut mieux consacrer son énergie au commerce qu’à la guerre ».
Aussi audacieuse puisse-t-elle paraître, cette initiative n’est guère risquée pour les 27. En effet, les PMA ne représentent que 1 % des importations de l’UE. En outre, cette libéralisation des échanges n’interviendra que par étapes jusqu’en 2009 (soit huit ans après l’adoption de la mesure) pour les trois seuls produits où les PMA pourraient représenter une concurrence pour les agriculteurs européens : le sucre, le riz et la banane. Enfin, dans une Europe où les agriculteurs sont largement subventionnés, les normes sanitaires restent strictes, limitant la possibilité pour les pays les plus pauvres d’exporter leurs produits agricoles. L’UE reconnaît elle-même que la baisse des barrières tarifaires ne suffit pas, et même contribue à peine à développer l’économie des pays les plus pauvres. Des Ong estiment en outre que cette mesure pénalise les pays ACP non-PMA, tout en servant les intérêts de l’UE auprès de l’Organisation mondiale du commerce.par Jean Piel
Article publié le 06/02/2007 Dernière mise à jour le 06/02/2007 à 15:29 TU