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Nigeria

3 favoris pour un scrutin à haut risque

60 millions d’électeurs sont appelés aux urnes samedi pour élire leur président. 24 candidats se disputent la succession d’Olusegun Obasanjo, pour un scrutin crucial pour la jeune démocratie nigériane, scrutin qui doit marquer la première transition d’un président civil élu à un autre. Les violences et les fraudes constatées lors des élections régionales de samedi dernier font craindre de nouveaux débordements dans le pays le plus peuplé d’Afrique.

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Affiches électorales à Kano. Tous les partis politiques participent finalement à la présidentielle. 

		(Photo : Reuters)
Affiches électorales à Kano. Tous les partis politiques participent finalement à la présidentielle.
(Photo : Reuters)

Kano, envoyé spécial,

Dans les rues de Kano, il est difficile de percevoir  une fièvre électorale. Les affiches des candidats s’étalent sur les murs par milliers, en couches successives. Il y a eu quelques mouvements de foule, le week-end dernier, en attendant l’annonce des résultats de l’élection des gouverneurs. Mais depuis, la population est moins préoccupée par les élections que par les troubles causés par un groupe armé qui se fait appeler «talibans».  Mardi, ces hommes en turban ont attaqué un commissariat, en périphérie de la ville, tuant 12 policiers, dans un acte de vengeance après l’assassinat, la semaine dernière, d’un influent chef musulman radical, dans sa mosquée, en pleine prière du vendredi. Le lendemain, l’armée a bouclé le quartier et a lancé une vaste contre-offensive au cours de laquelle elle affirme avoir tué 25 insurgés.

Les habitants de Kano commentent avec fatalisme ce nouvel accès de violence - qui n’est pas directement lié aux élections - et subissent sans broncher le couvre-feu qui leur est imposé depuis dimanche dernier. L’interdiction de circuler la nuit ne fait qu’ajouter aux contraintes d’une population qui doit déjà composer avec les fréquentes coupures d’électricité. A Kano, comme dans tout le Nigeria, la compagnie nationale d’électricité ne fournit que quelques heures de courant par jour. Et seuls quelques privilégiés peuvent s’offrir le luxe des groupes électrogènes. Le bruit ronronnant des moteurs et l’épaisse fumée noire qu’ils crachent sont devenus des éléments familiers du décor.

Kano, Etat le plus peuplé de la fédération, avec près de 10 millions d’habitants, selon les chiffres contestés du recensement de 2006 (l’Etat de Lagos, dans le sud-ouest, revendique lui aussi la première place), est un bastion de l’opposition. Le Général Muhammadu  Buhari, 64 ans, dont le parti, l’ANPP (All Nigerian People’s Party) a remporté les élections régionales de samedi dernier (comme dans 4 autres Etats sur 36), espère faire le plein des voix ici. Cet ancien chef d’Etat militaire, au pouvoir entre 1983 et 1985, reconverti aux vertus de la démocratie, se présente pour la deuxième fois à une élection présidentielle. En 2003, il était arrivé en deuxième position, avec 32% des voix, face au président sortant, Olusegun Obasanjo, lui-même ancien chef de junte (1976-79), réélu pour un second mandat.

Homme à la poigne de fer, le général Buhari avait lancé, dans les années 80, une «guerre contre l’indiscipline» en imposant aux Nigérians de faire la queue pour prendre les transports en commun. Son bref passage au pouvoir a laissé un souvenir mitigé, entre guerre sans merci contre la corruption et le trafic de drogue et répression tous azimuts contre les voix discordantes. Ces derniers jours, des pages de publicité publiées dans la presse nigériane par des détracteurs du général Buhari, rappellent les détentions arbitraires commises sous son régime. Le candidat de l’ANPP est apprécié dans le nord pour avoir soutenu l’application de la loi islamique (charia) dans 12 Etats de la fédération en 2000. Il suscite en revanche la méfiance chez les chrétiens (qui représentent la moitié de la population et sont majoritaires dans le sud-ouest, la région du président Obasanjo), pour avoir appelé les musulmans, en 2003, à voter pour un candidat musulman.

Muhammadu Buhari est originaire de l’Etat voisin de Katsina, dans l’extrême nord du Nigeria, le long de la frontière avec le Niger. C’est aussi la région d’Umaru Yar’Adua,  le candidat du PDP (People’s Democratic Party) du président sortant. A la surprise générale, en décembre dernier, le gouverneur de Katsina a été désigné pour porter les couleurs du parti au pouvoir. Il n’avait jamais manifesté d’intérêt particulier pour le poste et c’est Oluseguin Obasanjo qui l’a imposé, pour écarter des rivaux, comme le vice président Atiku Abubakar, devenu sa bête noire, ou encore le général Ibrahima Babangida, chef de la junte militaire au pouvoir entre 1985 et 1993.

S’il est relativement peu connu du grand public, Umaru Yar’Adua est cependant issu d’une célèbre dynastie politique. Son père a été ministre dans le premier gouvernement d’après l’indépendance en 1960. Et surtout son frère aîné, le général Shedu Musa Yar’Adua, a été le numéro deux de la junte militaire dirigée par Olusegun Obasanjo, entre 1976 et 1979. Il était l’un des hommes politiques les plus influents du Nigeria dans les années 90, avant de disparaître dans des conditions non élucidées, dans les geôles du dictateur Sani Abacha.

Ancien professeur de chimie, âgé aujourd’hui de 56 ans, Umaru Yar’Adua est l’un des rares gouverneurs à n’avoir jamais été dans le collimateur de l’agence nationale anti-corruption. A peine élu à Katsina, en 1999, il a rendu public son patrimoine, un fait sans précédent dans les mœurs politiques nigérianes. «Je suis tout simplement un homme ordinaire», écrit-il dans sa profession de foi. C’est sur ces notions d’humilité et d’intégrité qu’il a fait campagne, dans l’ombre de son protecteur, Olusegun Obasanjo, à ses côtés dans la plupart de ses déplacements. De santé fragile, le candidat du parti au pouvoir a été évacué en Allemagne en pleine campagne électorale, pour soigner une insuffisance rénale. Dans un souci d’équilibre Nord-Sud, il a choisi comme candidat à la vice-présidence Jonathan Goodluck, ancien gouverneur de l’Etat de Bayelsa, dans le Delta du Niger, la turbulente région de production du pétrole.

Des candidats hauts en couleur

Parmi les 24 candidats à l’élection présidentielle de samedi, un troisième homme se dégage. Atiku Abubakar va finalement pouvoir briguer le fauteuil présidentiel qu’il convoite depuis huit longues années. La Cour suprême l’a autorisé à se présenter cinq jours seulement avant le scrutin, malgré l’avis contraire de la Commission électorale, qui arguait de soupçons de corruption contre le vice-président. Atiku Abubakar a toujours clamé son innocence, en dénonçant une cabale contre lui, orchestrée au plus haut niveau par son ancien mentor, Olusegun Obasanjo, dont il est devenu la bête noire, depuis qu’il s’est opposé à un tripatouillage de la Constitution qui aurait permis au chef de l’Etat sortant de briguer un troisième mandat.

La justice a donné raison à «Atiku», comme il est familièrement appelé au Nigeria, dans son long bras de fer avec le président, qui monopolise le champ politique depuis presque deux ans. Ancien chef des douanes, richissime homme d’affaires, Atiku Abubakar se présente aujourd’hui comme l’homme de la rupture, la victime du «système Obasanjo», bien qu’il ait été, pendant ces huit dernières années, le deuxième personnage du pays. Particulièrement virulent contre ses anciens amis du PDP, le parti au pouvoir, dont il a été exclu à la fin de l’année dernière, il se présente sous les couleurs de l’AC (Action Congress), dont l’emblème est un balai, pour nettoyer le pays.

Atiku Abubakar a tenté, cette semaine, d’entraîner toute l’opposition dans une aventureuse tentative de boycott du scrutin de samedi. Face à la détermination du gouvernement sortant à respecter le calendrier électoral, l’appel a fait long feu. L’opposition aborde donc en ordre dispersé une élection pour laquelle le parti au pouvoir a déployé toute sa force de frappe afin d’assurer l’élection de son candidat (le PDP a déjà remporté 27 des 36 postes de gouverneurs samedi dernier contre 7 pour l’opposition et deux Etats dans lesquels le vote a été annulé pour irrégularités). La Commission électorale, critiquée par les observateurs nationaux et internationaux pour les graves irrégularités constatées lors du scrutin régional de samedi dernier (des agents électoraux on été vus en train de bourrer des urnes), a promis de faire mieux pour la présidentielle.

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par Sylvain  Biville

Article publié le 20/04/2007 Dernière mise à jour le 20/04/2007 à 15:15 TU