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Gabon

Vivre à Mounana sans la mine

Retour sur l’exploitation «controversée» d’uranium par le groupe français AREVA au Gabon. Il y a deux mois, des ONG ont dénoncé une «négligence fautive» dans la gestion, par une filiale d'AREVA, de la mine d'uranium de Mounana dans le sud-est du pays. Le groupe nucléaire français est accusé d’avoir maintenu les travailleurs dans l’ignorance sur les risques encourus lors de l’exploitation de la mine. AREVA a promis de mettre en place un observatoire de la santé. A Mounana, la cessation des activités d’AREVA, en 1999, est vécue comme un traumatisme avant tout social, mais aussi environnemental et sanitaire.
Dans cette ville de Mounana, au Gabon, une vingtaine de maisons doivent être détruites, à la suite de recommandations de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique). (Photo : AFP)
Dans cette ville de Mounana, au Gabon, une vingtaine de maisons doivent être détruites, à la suite de recommandations de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique).
(Photo : AFP)

De notre envoyée spéciale à Mounana

Les restes disloqués d’une table de billard rongée par les rats gisent sur le sol. La piscine n’est plus qu’un trou béant envahi par les insectes et les mottes de terre. Devant ce spectacle, le directeur général de la COMUF, - filiale gabonaise du groupe nucléaire français AREVA -, Bernard Keiffer ne peut retenir quelques larmes. Il remet les pieds pour la première fois dans le «mess» des employés de la mine d’uranium de Mounana, dans le sud-est du Gabon. Huit ans à peine depuis la fermeture, et déjà, la végétation a grignoté une partie des bâtiments de cet ancien espace de loisir. C’est ici que palpitait le cœur de Mounana pendant les quarante années d’exploitation de la mine (de 1960 à 1999) ; les centaines d’employés expatriés et les cadres gabonais venaient s’y divertir. Un gardien aux yeux hagards erre autour des bâtiments aux vitres brisées. Comme si le temps s’était figé le jour où les activités de la mine ont pris fin. Après trente années de service à Mounana, Bernard Keiffer, seul rescapé d’une entreprise qui employait jusqu’à 2000 personnes, accomplit sa tâche comme un «sacerdoce» : accompagner la fermeture de l’usine.

Car les problèmes sociaux, économiques et sanitaires sont légion dans une ville qui ne vivait que par et pour la mine. Cette bourgade de province s’étend dans une cuvette arborée autour de quelques plans d’eau. Lacs naturels ou artificiels, ils donnent à la ville son décor de carte postale. De la mine, il ne reste rien. Plus un morceau de tôle, plus un bout de ferraille. Toutes les infrastructures ont été démontées. La mine à ciel ouvert d’Oklo gît, depuis les travaux de réaménagement, à plusieurs dizaines de mètres sous l’eau. Un peu plus loin, des tonnes de déchets radioactifs ont été enfouis sous une couche de latérite et de terre végétale où l’herbe a repris ses droits. Aux abords de cette vallée, s’étend la cité Rénovation. Six cent soixante logements ont été construits par AREVA pour ses employés. Près de 3 000 personnes, la majorité des quelque 5 000 habitants de la ville, vivent encore ici. Les logements mais aussi l’eau, l’électricité et les soins de santé étaient gratuits pour les salariés de la COMUF.

Avis de décès

L’annonce de la fin des activités de la mine a sonné comme un avis de décès à Mounana. Au cœur de la cité, Hydrim Boukamba a son prénom tatoué sur le bras et le regard plein d’amertume. «Avant, tout était cadeau ici, aujourd’hui, il n’y a plus aucun espoir de trouver un emploi. Et nous souffrons de beaucoup de maladies», argue-t-il. Le chapelet de reproches s’allonge à l’arrivée d’autres habitants. Ancien employé de la COMUF, Roland Mayombo se plaint des conditions de travail et surtout du manque d’informations. «On ne connaissait pas les risques liés à l’exploitation de l’uranium», déplore-t-il tout en pointant aussi les responsabilités de l’Etat «qui s’en lave les mains et ne fait rien pour Mounana».

La publication, en avril, du rapport des ONG mettant en cause AREVA pour «négligence fautive» renforce certains citoyens gabonais dans leurs convictions. Le maire adjoint de la ville, Dieudonné Azza Bokoko, agite la menace d’une plainte. «Nous avons engagé un juriste, raconte-t-il, le conseil municipal a estimé que la COMUF avait commis des négligences, nous ne lui donnons pas tous les torts, mais il n’y a pas eu assez de mesures d’accompagnement». Dans une autre cité construite il y a une trentaine d’années pour les employés de la COMUF, Jean Claude Nzengué, responsable local du Centre national de prévention et de protection contre les rayons ionisants (CNPPRI), déambule entre les maisons. Une vingtaine d’entre elles doivent être détruites, à la suite de recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Une exposition à la radioactivité supérieure aux normes internationales,- passée de cinq à un millisivert (unité de mesure des effets du rayonnement sur l’organisme) par an en 2000-, a été relevée sur une série de constructions.

Psychose

«Cela ne veut pas dire que les gens sont en danger. Dans la profession, la limite est de 20 millisiverts par an. Mais c’est en vertu du principe de précaution qu’il faut entièrement détruire puis reconstruire ces maisons», indique Jean-Claude Nzengué. Difficile pour la population, souffrant d’un malaise social et d’un déficit de communication, de ne pas céder à la psychose. «On nous dit  qu’on ne risque rien, puis on nous fait quitter nos habitations. Je  ne sais pas exactement ce que l’on risque», confie Rostane, une habitante sur le point d’être relogée par la COMUF.

La situation environnementale de Mounana est pourtant satisfaisante d’après le CNPPRI qui contrôle régulièrement la qualité de l’eau et de la chaîne alimentaire. Grâce aux travaux de réaménagement, après la fermeture de la mine, les taux de radioactivité sont «revenus à la normale», indique Marcel Divassa. L’eau puisée en aval des rejets, les échantillons de manioc issus des plantations qui jouxtent l’ancienne mine, les poulets élevés dans le voisinage du site ne présentent aucune anomalie.

Mais pour la période d’exploitation de la mine, les explications sont plus complexes. D’après les deux scientifiques du CNPPRI, le principal problème réside dans «l’accessibilité des déchets radioactifs». «Ils ont été jetés dans les eaux de la région au tout début de l’exploitation, comme cela se faisait couramment à l’époque, puis stockés à ciel ouvert pendant certaines périodes où la population et des entreprises s’en sont servis pour construire des bâtiments», raconte M. Divassa. «Certains endroits auraient dû être mieux gardés», ajoute-t-il, avant de conclure : «Reste à savoir s’il s’agissait d’une négligence inconsciente ou fautive ?». Plusieurs millions de tonnes de résidus sont enfouis conformément aux normes en vigueur. Mais à l’épreuve du temps, des dégradations peuvent survenir. «Or, nous manquons de moyens. Le financement de l’Union européenne s’arrête fin 2008. Après, c’est l’incertitude», prévient le responsable du CNPPRI. La surveillance du site doit pourtant être «éternelle».



par Pauline  Simonet

Article publié le 18/06/2007 Dernière mise à jour le 18/06/2007 à 19:02 TU