Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Moyen-Orient

Pressions diplomatiques autour du Kurdistan

La conférence d'Istanbul sur l'Irak se tient au Ciragan Palace. 

		(Photo : AFP)
La conférence d'Istanbul sur l'Irak se tient au Ciragan Palace.
(Photo : AFP)

Ankara menace toujours d’intervenir au Kurdistan irakien contre le Parti des travailleurs kurde (PKK), si Bagdad et Washington ne prennent pas des mesures pour en déloger les rebelles turcs. La secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, s’est efforcée vendredi de dissuader les autorités turques de se lancer dans une entreprise qui menace la précaire stabilité du Nord irakien. Pour une fois, l’Iran partage l’avis des Etats-Unis. Résolument hostile à d’éventuelles incursions en territoire irakien, Téhéran envisage toutefois une coopération militaire avec la Turquie. De son côté, le chef de la diplomatie française s’est entretenu vendredi avec son homologue syrien croisé à Istanbul. Une première depuis 2005. Dédiée à l’Irak mais dominée par la question kurde, la Conférence d’Istanbul s’inscrit dans des enjeux élargis au Moyen-Orient tout entier.


Sous la pression de son opinion, mais aussi sans doute dans l’espoir de neutraliser sa rébellion kurde retranchée en Irak sur le terrain diplomatique sinon militaire, Ankara ne désarme pas. Et cela d’autant que le 5 novembre prochain le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est attendu à Washington par George Bush pour en discuter. En attendant, visiblement, la Turquie n’estime pas encore avoir intérêt à faire baisser les enchères. La partie était donc difficile pour la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice venue vendredi à Ankara promettre aux autorités turques que «les Etats-Unis sont déterminés à redoubler d’efforts» même si, dit-elle, «éradiquer le terrorisme est dur» et «va nécessiter de la persévérance».

De notre envoyée spéciale à Istanbul, Farida Ayari

«L'idée est de protéger l'Irak du terrorisme, mais aussi et surtout de faire en sorte que son territoire ne soit pas un sanctuaire pour des éléments hostiles aux pays voisins de l'Irak.»

«Nous sommes à un point où le temps des paroles est révolu et celui des actions a commencé», a répondu tout net à l’envoyée américaine le chef de la diplomatie turque, Ali Babacan. «L'administration américaine a un rôle clé à jouer. Nous devons travailler sur des mesures et des méthodes qui produiront des résultats effectifs», a-t-il ajouté. Et si Condoleezza Rice estime qu’ayant «un ennemi commun, [les Etats-Unis et la Turquie] ont besoin d'une attitude commune», son homologue turc souhaite qu’il s’agisse plutôt d’une action plutôt que d’une position, et cela, dans le cadre de l’Otan, de préférence. En revanche, Ankara n’est pas du tout intéressé par la réactivation du mécanisme de consultation tripartite, instauré l’année dernière entre Ankara, Washington et Bagdad.

Ankara accuse les Kurdes d’Irak de favoriser la circulation des armes en faveur de leurs cousins turcs et iraniens et maintient donc en état d’alerte ses dizaines de milliers de soldats dépêchés à la frontière irakienne en vue d’un improbable «nettoyage», mais au grand émoi des pays de la région et des puissances extérieures qui s’en disputent l’amitié, Etats-Unis et Russie en tête, par Turquie, Irak et Iran interposés en particulier. Comme Condoleezza Rica avait prévu de le redire au président turc, Abdullah Gül, «les Etats-Unis, la Turquie et l'Irak, même avec ses capacités limitées, ainsi que le gouvernement régional ont pour intérêt commun de ne pas laisser les événements conduire à une déstabilisation du nord de l'Irak» pour cause de rébellion kurde. Elle a même sermonné sur ce point le président du Kurdistan autonome irakien, Massoud Barzani.

Téhéran offre sa coopération à Ankara

Si nul ne s’étonne de voir le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, porteur d’un message «d’apaisement» comparable à celui de Washington, l’entrée en scène d’un modérateur iranien est plus inédite quoique guère étonnante. «La Turquie et l'Iran doivent coopérer sur la question du PKK», a déclaré vendredi à Istanbul le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Mohammed Reza Bageri. Interrogé par l’Agence France Presse sur l’éventualité d’une coopération militaire contre l’irrédentisme kurde qui sévit aussi dans son pays, le diplomate iranien a répondu que «toute forme de coopération est possible» mais que tout en étant opposé à «tous les groupes terroristes, [l’Iran est] contre l'utilisation du territoire de territoires voisins pour faire peser des menaces».

D’après Reza Bageri, Téhéran va présenter samedi à Istanbul «un plan très important pour l'Irak et le peuple irakien» concernant le plat principal de la conférence, à savoir la sécurité. En attendant, l’Iran se montre on ne peut mieux disposé vis-à-vis d’un voisin turc désormais dirigé par un parti porté par une population très remontée contre le PKK et indisposée par ce qu’elle considère comme un attentisme sinon un manque de solidarité américain. Comme le souligne Beril Dedeoglu, professeur turc de relations internationales à l'université de Galatasaray, rencontrée à Istanbul par Farida Ayari, au-delà de la stabilité de l’Irak et de la question kurde qui l’oppose aujourd’hui à la Turquie, ce sont les incertitudes sur l’avenir de cette région du Moyen-Orient et le jeu des alliances opposant les Etats-Unis et la Russie qui apparaissent en filigrane de la Conférence d’Istanbul.

Beril Dedeoglu

Professeur de relations internationales à l'université de Galatasaray à Istanbul

«L'un des objets de la conférence internationale des pays voisins de l'Irak est de chercher une condition de stabilité du Moyen-Orient en général.»

Le «Nouveau Moyen-Orient» que les Etats-Unis appelaient de leurs vœux n’est pas au rendez-vous. L’Irak ne connaît toujours pas la stabilité promise par l’administration Bush pour en justifier l’occupation militaire. Aujourd’hui la relative tranquillité de sa région nord, celle du Kurdistan, est lourdement menacée par l’exaspération de la Turquie voisine qui veut en finir avec le PKK. Posée à la Turquie, à l’Irak, mais aussi à l’Iran et à la Syrie, la question kurde apparaît comme un indicateur ou un symptôme d’un Moyen-Orient en quête de nouveaux points d’équilibre. Les Etats-Unis et la Russie s’en veulent les accoucheurs par alliances interposées avec la Turquie et l’Iran notamment. La rivalité entre Washington et Moscou passe par Ankara, ouvrant d’autres choix d’alliances possibles.

Beril Dedeoglu ne croit pas à une invasion militaire turque de l’Irak. Le tropisme turc pour les Etats-Unis, l’Europe et l’Otan devrait être le plus fort. Dans ce contexte, la rencontre Bush-Erdogan s’annonce quand même cruciale. En attendant, la Conférence d’Istanbul prend forme de brainstorming. Elle est aussi le lieu d’un chassé-croisé diplomatique en tout genre qui a vu notamment le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner et son homologue syrien Walid Mouallem rompre vendredi le silence glacial qui présidait aux relations franco-syriennes depuis l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005. S’ils ont parlé de l’Irak, les deux diplomates n’ont bien sûr pas omis d’échanger sur le Liban. Le pays du Cèdre sera d’ailleurs l’objet d’un tiré à part samedi dans une réunion organisée par les Etats-Unis à Istanbul en marge de la Conférence sur l’Irak et réunissant des représentants de la France, de l’Arabie Saoudite, de l’Egypte, de la Jordanie et de la Ligue arabe. 

De notre envoyée spéciale à Istanbul, Farida Ayari

«C'est la première rencontre franco-syrienne, à ce niveau, depuis février 2005.»



par Monique  Mas

Article publié le 02/11/2007 Dernière mise à jour le 02/11/2007 à 18:32 TU