Article publié le 24/11/2007 Dernière mise à jour le 24/11/2007 à 19:31 TU
De notre envoyé spécial à Sydney, Stéphane Lagarde
Dans un livre qui a fait le tour du monde (Nos voisins du dessous / Payot), l’Anglais Bill Bryson se demandait pourquoi il oubliait toujours le nom du Premier ministre australien. Cette fois, celui de Kevin Rudd devrait rester dans les mémoires. Depuis plus d’une décennie, l’Australie faisait les yeux doux au libéral John Howard. Ce dernier est non seulement battu a l’échelle fédérale, il perd également son siège au Parlement qu’il détenait depuis… 33 ans !
Fraîcheur
« Aujourd’hui l’Australie a décidé de se tourner vers le futur », a déclaré le nouveau Premier ministre depuis son fief de Brisbane. Le futur contre le passé, le thème a été ressassé par les travaillistes pendant toute la campagne et encore ce samedi devant les bureaux de vote. Sur les affiches travaillistes, le visage du Premier ministre apparaissait sur un fond en noir et blanc, avec cette légende : « Lui est déjà à la retraite ». Ce que visiblement les électeurs ont fini par entériner.
Avec ses faux airs d’Harry Potter en blond, Kevin Rudd a donc réussi un tour de sorcier : faire passer l’idée de changement mais sans révolution. « Cette élection est un référendum sur l’école, sur l’hôpital et sur l’environnement », a-t-il répété. En revanche pas question de remettre en cause les fondamentaux de la croissance dans un pays où le terme « syndicaliste » est souvent considéré comme une insulte (voir encadré). Remettre la société au cœur de la politique mais sans bouleversements. Dans sa liste de courses, il achètera des ordinateurs pour l’école et investira dans les réseaux câblés pour rendre accessible à l’Internet les fermes les plus reculées du pays, un chantier qu’il compare à la mise en place des réseaux ferrés au XIXe siècle. Sur l’agenda encore, deux mesures symboliques qui ont marqué les esprits pendant la campagne : un retrait progressif des troupes australiennes en Irak et la ratification du traité de Kyoto lors de la conférence de Bali sur le climat le 3 décembre prochain.
Cauchemar
La défaite est d’autant plus sévère pour les libéraux que John Howard perd également son fief de Bennelong face à une ancienne journaliste vedette de la télévision ABC. Dans cette banlieue de Sydney, les maisons en bois style western croisent les néons et les fausses pagodes des restaurants chinois. Bennelong compte 30 % d’Asiatiques, et la deuxième communauté chinoise du pays. Des petits commerçants qui pour la grande majorité ont voté Howard aux dernières élections. Mais pas cette fois. La visite du président chinois en Australie en septembre a donc visiblement porté ses fruits. Pendant une demi-heure, Hu Jintao avait alors conversé avec Kevin Rudd, sans traducteur, preuve que le travailliste n’a pas perdu son mandarin appris alors qu’il était diplomate à Pékin. Il faut dire que la journée avait plutôt mal commencé pour le Premier ministre. « Il a fait la queue comme tout le monde pendant une demi-heure, c’est déjà ça », se réjouissait à midi un militant travailliste devant le défilé ininterrompu d’électeurs. En ressortant du bureau de vote, le chef de file de la coalition libérale a encore été refroidi par ce glaçon géant déposé sur le trottoir par des militants écologistes. Sur une feuille par ordre décroissant : la note des partis en matière de lutte contre le changement climatique, où là encore la coalition libérale arrivait bonne dernière.
Cauchemar des libéraux, cette défaite du Premier ministre à la maison en rappelle une autre. C’était en 1929. A l’époque, le Premier ministre conservateur Stanley Bruce avait lui aussi, comme John Howard, modifié le code du travail. A Sydney, samedi soir, John Howard a d’ailleurs reconnu sa responsabilité dans la défaite de la coalition. Après 10 ans et quatre mandats à la tête du pays, le leader des conservateurs âgé de 68 ans avait refusé de passer le relais tout en promettant de se retirer avant la fin de son mandat. L’élection de trop. Les Australiens sont pourtant plutôt du genre à apprécier le statu quo : Depuis 1949, l’Australie a changé de gouvernement 4 fois en 23 scrutins, c’est donc la cinquième ce samedi.
Paroles d’électrice : Sarah MacNamara, libérale |
Sarah MacNamara a tenu l’un des bureaux de vote de Sydney ce samedi. Cette fonctionnaire dans le gouvernement John Howard n‘a pas ménagé ses efforts pour tenter de convaincre les derniers indécis. Peine perdue. Elle s’inquiète aujourd’hui de l’arrivée de « syndicalistes » au pouvoir en Australie. RFI - Quel bilan tirez-vous de cette campagne ?
« On n’a pas été aidé par les sondages mais on y a cru jusqu’au bout. On ne sait jamais ce qui peut se passer au dernier moment, d’autant que les Australiens ne connaissent pas le vrai visage de Kevin Rudd. On ne sait pas ce qu’il va faire avec l’économie par exemple ».
RFI - Vous êtes inquiète ?
« Oui, ça m’inquiète beaucoup. Si vous changez le gouvernement, vous changez tout le pays. Et on ne sait pas ce qui va se passer avec Kevin Rudd et ses copains qui sont tous des « syndicalistes » Ils ne savent pas comment fonctionne l’économie.
RFI - Certains disent que votre candidat manquait de charisme.
« C‘est vrai, John Howard n’est pas un mec charismatique, c’est un type normal. Mais au moins l’avantage c’est qu’on sait toujours ce qu’il pense sur un sujet. Même si ce n’est pas populaire, il dit ce qu’il pense et il s’y tient ».
RFI - Cela ne lui a pas empêché de perdre son fief de Benelong en banlieue de Sydney.
« Oui, le problème c’est qu’il a dû tourner dans tout le pays, alors que sa rivale Maxine McKew faisait campagne tous les jours dans le district. Et comme c’est une ancienne journaliste de la chaîne ABC, elle est très connue ». Propos recueillis par Stéphane Lagarde |