par Piotr Moszynski
Article publié le 26/11/2007 Dernière mise à jour le 26/11/2007 à 17:39 TU
Saint Petersbourg, le 25 novembre. L'opposant Boris Nemtsov est interpellé par la police russe.
(Photo : AFP)
Le 21 novembre, Vladimir Poutine – actuel président russe et tête de liste du parti Russie unie aux législatives du 2 décembre – donnait publiquement des instructions à peine voilées à ses partisans et aux services de l’Etat quant au déroulement de la dernière semaine de la campagne électorale. « Il y a malheureusement dans notre pays – disait-il lors d’un meeting – des gens qui sont comme des chacals devant les ambassades étrangères. Ils vont encore sortir dans la rue. Ils l'ont appris auprès de spécialistes occidentaux ».
Tous les ingrédients essentiels de la campagne « poutinienne » sont réunis dans ces trois phrases. Les opposants y sont désignés en tant qu’ennemis brutaux aux traits inhumains et stigmatisés comme agents de l’Occident qui n’attend qu’une seule chose: humilier la Russie. Tout le contraire de Vladimir Poutine qui, lui, est l’incarnation même de l’amour du peuple, de son avenir radieux et de la grandeur nouvelle de la Russie, assise sur des matières premières chères et capable de dicter sa volonté au monde entier.
La chasse est lancée
L’appel à la chasse aux « chacals » lancé par Poutine a été très bien compris par tous ceux qui pouvaient se sentir concernés. Quelques heures seulement après le discours du président russe, le 21 novembre au soir, un candidat du parti d’opposition Iabloko au Daguestan dans le Caucase russe, Farid Babaïev, a été attaqué à l’arme à feu. Il est décédé trois jours plus tard de ses blessures par balle. Dans la nuit du 23 au 24 novembre, Youri Orlov, président de l’organisation non-gouvernementale Mémorial, connue pour son attitude critique par rapport au Kremlin, a été enlevé avec trois journalistes par des hommes masqués en Ingouchie, toujours dans le Caucase russe. Après avoir été battus, ils ont été relâchés, au bout de quelques heures, en rase campagne.
Le dernier week-end avant les législatives était encore plus riche en trophées de la « chasse aux chacals ». L'ancien champion du monde d'échecs, Garry Kasparov, chef du mouvement L'Autre Russie, a été arrêté samedi lors d'une manifestation à Moscou et condamné à cinq jours de prison pour manifestation non autorisée. Boris Nemtsov, ancien vice-Premier ministre et candidat du parti libéral SPS, a également été brièvement interpellé dimanche lors d'une marche anti-Poutine à Saint-Pétersbourg. La police a interpellé aussi le chef du SPS, Nikita Belykh. Selon son propre récit de l’évènement, il a été « saisi par les bras et les jambes et jeté dans un fourgon ». Environ 200 autres manifestants ont été également interpellés en différents endroits de la ville. Ils ont pour la plupart été libérés quelques heures plus tard, mais le message était clair: pour nous, vous n’êtes que des animaux de chasse et votre place est derrière les barreaux.
A qui profite le crime?
Est-ce que, dans ces conditions, l’opposition russe, marginalisée par tous les moyens dont dispose le pouvoir, peut jouer un rôle réel dans la vie politique de son pays? A en croire les sondages, pas vraiment. Selon celui du Centre analytique Iouri Levada (indépendant), seuls deux partis entreront à la nouvelle Douma: Russie unie de Vladimir Poutine avec 67% des voix et le Parti communiste de la Fédération Russe de Guennadi Ziouganov avec 14%. Deux autres instituts de sondages, le FOM et le VCIOM, plus proches du Kremlin, prédisent la présence de quatre partis au Parlement, mais toujours aucun parmi ceux qui pourraient être qualifiés comme une véritable opposition au pouvoir en place actuellement.
La presse russe estime pourtant que les démonstrations de force des autorités n’en font pas les seules bénéficiaires. Selon le quotidien des affaires indépendant Vedomosti : « Les Marches du désaccord sont devenues le principal évènement du week-end, ce que cherchait à obtenir l'opposition ». Comme d’autres quotidiens, le journal souligne cependant que le pouvoir bénéficie également des évènements du week-end car il peut utiliser cette médiatisation de l'opposition pour agiter une menace de déstabilisation par des « radicaux », et essayer ainsi de mobiliser des électeurs très peu intéressés par le scrutin.
En tout cas, même si on utilisait les mêmes outils intellectuels que Vladimir Poutine et si l’on était d’accord pour définir l’opposition russe comme des « chacals », on serait sans doute vite tenté d’observer que ces animaux jouent un rôle extrêmement bénéfique pour leur environnement, notamment en le nettoyant de la charogne. Ainsi, on verra peut-être la Russie abandonner un jour, sous influence de ces « chacals », les vestiges des anciens systèmes de type tsariste, tellement inadaptés au monde moderne.
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Directeur du centre Russie à l'Institut français des relations internationales
Cette répression traduit surtout l'évolution, l'emballement d'un pouvoir sans limitation qui ne supporte pas la contradiction.
26/11/2007 par Patrick Adam