Article publié le 28/11/2007 Dernière mise à jour le 28/11/2007 à 12:26 TU
L'ex-Premier ministre, Nawaz Sharif, renversé en 1999 par le général Pervez Musharraf.
(Photo : Reuters)
Notre envoyée spéciale Nadia Blétry a pu rencontrer Nawaz Sharif dans son fief de Lahore, dans l’est du Pakistan. L’ancien Premier ministre vient de rentrer de sept années d’exil en Arabie Saoudite. Après une première tentative de retour il y a quelques mois, il a pu finalement rentrer au pays dimanche dernier, à la faveur de la crise politique que traverse le Pakistan. Pervez Musharraf, démissionnaire de l’armée, réélu à la tête de l’Etat, le 6 octobre dernier, sera officiellement investi ce jeudi 29 novembre. Par ailleurs, dans la perspective des élections législatives du 8 janvier 2008, des alliances se font et se défont entre les différents partis de l’opposition et le pouvoir, mais ils s’accordent tous sur un préalable, la levée de l’état d’urgence proclamé le 3 novembre par le président Musharraf.
Nawaz Sharif : La situation est très sérieuse et très alarmante au Pakistan. Nous n’avons jamais connu une telle situation. Il y a tellement d’agressions ces derniers temps que je ne sais pas comment nous tenons.
Monsieur Musharraf a annoncé que les élections allaient se dérouler début janvier, mais de quel type d’élections s’agit-il ? Est-ce qu’elles vont être libres et justes ? Ces élections sont supposées se tenir alors qu’il y a encore tellement de monde sous les barreaux. J’ai essayé de rendre visite à Monsieur Atzaz Ahsan, un avocat qui était à la tête du combat pour la restauration de la démocratie. Mais il était en résidence surveillée et nous n’avons pas pu le rencontrer. Comment voulez-mener une campagne électorale dans ces conditions ? Qu’allons-nous faire ?
RFI : Comment jugez-vous la décision d’instaurer l’état d’urgence, prise par le général Musharraf le 3 novembre dernier ?
NS : Il n’y avait aucune nécessité à imposer l’état d’urgence. Je pense que si les juges s’apprêtaient à rendre leur jugement [sur la validité de la candidature de Pervez Musharraf à la présidentielle], Monsieur Musharraf aurait dû l’accepter, quel qu’il soit. Je dirais qu’aujourd’hui, pour résoudre la crise politique que subit le pays, il faut réhabiliter la justice, lui permettre de fonctionner de manière indépendante, quelles que soient les décisions qu’elle prend. Même si elle décide que le président est inéligible, même si elle décide ou non de contester l’élection du président. Moi, je l’accepterai. De la même manière je pense que le président Musharraf devrait l’accepter.
Quelle était la nécessité d’imposer l’état d’urgence, quelle était la nécessité de révoquer les membres de l’institution judiciaire et de les arrêter ? Quelle était la nécessité d’instaurer la loi martiale dans le pays ? C’est vraiment une situation alarmante.
RFI : Y a-t-il eu un accord avec le président Musharraf pour votre retour et pour une alliance de gouvernement ?
NS : Non, il n’y a pas d’accord. S’il y avait eu un quelconque accord, mon attitude et mes positions auraient changé. Depuis que j’ai atterri dans mon pays, mon attitude et mes positions sont les mêmes, et je répète exactement ce que je dis depuis 8 ans. Il y a de la constance dans mon attitude. Si je suis ici aujourd’hui, c’est simplement grâce aux efforts du roi saoudien. De son côté, Monsieur Musharraf a tout essayé pour que je ne sois pas autorisé à rentrer au Pakistan avant la fin des élections législatives.
RFI : En 2002, le président Musharraf a limité à deux le nombre de mandats que peut accomplir un Premier ministre. Cela devrait vous empêcher tout comme Benazir Bhutto, d'en effectuer un de plus.
NS : C’est une décision qui concerne spécifiquement Nawaz Sharif et Benazir Bhutto. Et aucune démocratie parlementaire, aucun parti démocratique ne fonctionne comme ça. Monsieur Tony Blair a effectué trois ou peut-être quatre mandats de Premier ministre. Madame Thatcher a effectué quatre mandats. Mais dans les pays où le fonctionnement est celui-là alors la fonction présidentielle est elle aussi limitée à deux mandats. C’est pour ça que je pense que l’interdiction de briguer un troisième mandat de Premier ministre vise à m’exclure du champ politique et à exclure Benazir. Mais je pense que si la démocratie est restaurée dans le pays alors les choses changeront.
RFI : Votre combat contre le chef de l'Etat pourrait-il passer par une alliance avec le parti de Bénazir Bhutto ?
NS : Nous n’avons pas l’intention de former une alliance avec le Parti du Peuple pakistanais, du moins une alliance électorale. Mais nous sommes en contact. On aimerait beaucoup prendre une décision collective. Si nous décidons de boycotter les élections, je pense qu’il faut que ce soit une décision commune. Les partis religieux, aujourd’hui, soutiennent un programme démocratique. Notre parti, qui est un mouvement démocratique progressif et modéré, propose un programme pour un Pakistan démocratique. Alors si aujourd’hui les partis religieux veulent participer à la démocratie, j’estime que nous devons les soutenir dans cette voix plutôt que les exclure. Parce qu’on sait bien que l’extrémisme, le fondamentalisme, le radicalisme ne surviennent que dans les dictatures et non pas dans les démocraties. Il n’y a jamais eu d’explosion du fondamentalisme dans une démocratie. On peut en conclure que c’est la dictature qui génère l’extrémisme.
RFI : Avez-vous pris une décision au sujet des élections législatives du 8 janvier prochain ? Allez-vous les boycotter ou bien faire campagne ?
NS : Avant de prendre une décision, il va falloir que nous prenions en compte toutes les données. Il doit s’agir d’une décision consciente de l’opposition. Personnellement, je pense que nous n’obtiendrons rien de ces élections. Parce que ces élections vont être partiales et menées pour supporter le parti du « Roi ». De toute façon, les règles du jeu ont été établies pour soutenir le parti du roi. Les règles sont vraiment toutes en sa faveur.
Je pense qu’il est très important de prendre ces éléments en considération avant de décider ou non de se battre pour les élections et de mener campagne. Je suppose - d’après les conversations que j’ai eu avec les autres partis d’opposition - qu’ils sont également très sceptiques sur la possible tenue d’élections transparentes, libres et justes.
« Nous n'avons pas l'intention de former une alliance électorale avec le Parti du peuple pakistanais, mais nous sommes en contact. »
28/11/2007 par Nadia Blétry
« Personnellement je pense que nous n'obtiendrons rien de ces élections. »
28/11/2007 par Nadia Blétry