Russie

Vote sous influence

par Alexandre Billette

Article publié le 01/12/2007 Dernière mise à jour le 01/12/2007 à 19:02 TU

109 millions d'électeurs répartis sur onze fuseaux horaires, 450 000 policiers et soldats pour veiller au bon déroulement du scrutin : tout est prêt pour le grand plébiscite législatif organisé pour le parti Russie Unie et sa tête de liste Vladimir Poutine.

Les Moscovites vaquent à leurs occupations avant le vote de dimanche. Ici, le GUM, le célèbre magasin moscovite.
(Photo : Reuters)

Vladimir Poutine aura passé cette campagne électorale avec une double casquette, celle de président et celle de tête de liste du parti Russie Unie, pour tenter de préserver un simulacre d'équité entre les différents candidats. Ce samedi, journée officiellement close pour la campagne électorale, on pouvait voir sur les chaînes publiques de télévision, média chéri du Kremlin, les activités des dernières heures de Vladimir Poutine – le président, pas le candidat. Une confusion des genres qui risque de se retrouver jusque dans les bureaux de vote : le portrait de Vladimir Poutine – le président, pas le candidat – accueillera les électeurs d'un bout à l'autre du pays.

Avec des sondages qui annoncent tous plus ou moins 60 % des voix en faveur de Russie Unie et une opposition interdite, à quelques exceptions près, de scrutin, on aurait pu croire le Kremlin rassuré sur le sort du vote. Mais les derniers jours de la campagne semblent indiquer le contraire : après avoir embastillé l'un des leaders de l'opposition, Garry Kasparov, samedi dernier, pour avoir participé à une marche interdite au centre de Moscou, les autorités russes se sont attachées ces derniers jours à « faire sortir » le vote, à grands renforts de campagnes d'affichages citoyens, de discours télévisés et de généreuses promesses pour qui ira voter ce dimanche.

Ainsi, dans certaines régions de Russie, l'électeur qui se présentera aux urnes dimanche aura droit à des séances de coiffeur gratuites, de karaoké ou des tombolas... Les opérateurs de téléphonie mobile ne sont pas en reste, et ont eux aussi invité par SMS leurs abonnés à aller voter. Le dirigeant de Russie Unie, Boris Grizlov, a, lui, mobilisé l'électorat à sa façon : « Ce sera de fait un référendum, un référendum en soutien à Vladimir Poutine ».

Témoignages d'artistes renommés

L'électeur russe se serait-il donc lassé de la campagne électorale au point de s'abstenir de sortir de chez lui ? Il faut dire que ces dernières semaines ont été chargées... Jusqu'à la grand-messe du stade Loujniki, à Moscou la semaine dernière, où plusieurs milliers de partisans du président russe, surtout des jeunes, se sont réunis pour entendre leur leader. Véritable spectacle, la soirée a été ponctuée de témoignages d'artistes renommés en faveur de Russie Unie, avant un discours du candidat Poutine, col roulé et veste sport, fustigeant l'opposition, « prête à sortir dans les rues comme elle l'a appris auprès des spécialistes occidentaux ».

La jeunesse russe a été particulièrement sollicitée au cours de la campagne électorale qui s'achève. Les mouvements de soutien au parti Russie Unie et à sa tête de liste Vladimir Poutine ont été singulièrement actifs, tandis que les affiches « citoyennes » récemment apparues sur les murs de la capitale s'adressaient souvent aux plus jeunes : « Le 2 décembre, ne fais pas la grasse matinée, va voter pour ton avenir ! »

A la sortie du métro Avtozavodskaya, au sud de Moscou, Aliona distribue avec enthousiasme les brochures de Russie Unie dans l'indifférence des badauds. « Tout a changé pour le mieux dans le pays depuis que Poutine est là, on veut que ça continue ! ». Les copines acquiescent. Sympathisantes des Nachis (« les nôtres »), un groupe de jeunes supporters de Vladimir Poutine, elles doivent se faire bien voir pour gravir les échelons de cette structure hautement hiérarchisée : les Nachis sont regroupés en « brigades », lesquels sont sous la direction d'un « commissaire ». Les militants les plus méritants se voient parfois offrir des stages dans des ministères ou de grosses entreprises – un véritable ascenseur social qui rappelle les komsomols de l'époque soviétique.

Autre rappel des années soviétiques : ces derniers jours, de nombreux électeurs auraient reçu un « bon certifié » leur permettant de voter non pas dans leur bureau de vote attitré, mais sur leurs lieux de travail, en présence de leur employeur... Qui, s'il n'ira pas jusque dans l'isoloir, pourra tout de même savoir quels employés auront préféré rester chez eux ce dimanche... Plus de 2 millions de ces bons auraient été émis, et sur certains blogs, des employés commencent à se plaindre de pressions exercés par leurs patrons pour venir voter à l'usine ou au bureau ce dimanche, même pour ceux dont c'était le jour de congé.

Garry Kasparov a appelé ses partisans à mettre un bulletin nul dans l'urne. Mais pour ces derniers, le choix n'est pas facile. « Bravo, l'artiste ! », ironise Ania, employée d'une maison d'édition, à propos de Vladimir Poutine. « Soit j'annule, soit je vote pour un petit parti qui n'a aucune chance, soit je reste chez moi. Dans tous les cas, selon le système électoral, ma voix va finalement améliorer le score de Poutine... »...