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Russie

Réformes à contresens

par Piotr Moszynski

Article publié le 03/12/2007 Dernière mise à jour le 03/12/2007 à 18:39 TU

Les chancelleries occidentales, les organisations non-gouvernementales et les médias un peu partout dans le monde sont très sceptiques quant au déroulement véritablement démocratique des élections législatives en Russie. Néanmoins, les résultats sont là – et ils assurent une position hégémonique à Vladimir Poutine et à son parti, Russie unie. Tout le monde s’interroge sur ce que le président russe va faire de cette victoire, mais au-delà de l’avenir politique du chef de l’Etat lui-même, une question autrement plus importante se pose: quel avenir politique pour la Russie en tant que pays, en tant que société et en tant que membre de la communauté internationale ?

Voter dans son entreprise ou à domicile, des pratiques très courantes en Russie. Urne itinérante dans le village de Glazunovo, à 300 km à l'ouest de Moscou.(Photo : AFP)

Voter dans son entreprise ou à domicile, des pratiques très courantes en Russie. Urne itinérante dans le village de Glazunovo, à 300 km à l'ouest de Moscou.
(Photo : AFP)

Quel est ce pays où l’on appelle la journée électorale «le jour du chuchotement», en allusion aux appels «chuchotés» dans les bureaux de vote à élire «le parti qu’il faut» ? Quel est ce pays où l’on délivre massivement des certificats autorisant à voter hors de sa circonscription – sans limiter en pratique le nombre de tels votes – et où l’on constate que la quantité de certificats délivrés a été quatre fois plus grande au niveau national et, dans certaines régions, cinquante-quatre (!!) fois plus grande que lors de législatives précédentes ? Quel est ce pays où les observateurs étrangers ont toutes les difficultés du monde à suivre le déroulement des élections et où leur nombre est limité par les autorités ? Quel est ce pays où l’on pense à transformer en «Leader national» un président qui, conformément à la Constitution, ne peut plus se représenter – pour qu’il puisse continuer à gouverner quand même ? Quel est ce pays où les élections équivalent à un concours national d’amour pour le pouvoir ? Quel est ce pays où beaucoup de gens préfèrent voter pour le pouvoir en place, juste par peur d’être identifiés et sanctionnés s’ils faisaient autrement – suite aux rumeurs sur les bulletins de vote secrètement numérotés et à l’organisation de vote sur les lieux de travail des électeurs ?

Beaucoup de questions, mais l’on est tenté de répondre en chœur, d’une seule voix : mais bien sûr, nous reconnaissons facilement ce pays – c’est l’Union soviétique ! Et pourtant, il s’agit d’un pays qui, il y a encore quinze ans, annonçait haut et fort son ambition de devenir tout le contraire de l’URSS : une Russie nouvelle, moderne, démocratique, attachée aux droits de l’homme, ouverte au monde, réformée en profondeur. Quinze ans plus tard, les seules réformes qui semblent être réellement mises en œuvre sont celles qui visent à rétablir le système autoritaire, centralisé, basé sur un parti d’Etat et le culte de la personnalité. Bref, le système soviétique, les soviets, les kolkhozes et le parti communiste en moins.

Stabilités

Le mot-clé permettant de comprendre cette situation, c’est la stabilité. D’abord, la «mini-stabilité» voulue par une large majorité de la population, allergique aux souvenirs d’une énorme pagaille créée en Russie par l’équipe de Boris Eltsine qui allait trop vite, trop loin et de manière trop chaotique. Poutine a su apporter un sentiment de stabilité dans la mesure où beaucoup de gens restent toujours pauvres, mais sont assurés d’un minimum qui leur fournit une impression de sécurité.

Ensuite, la stabilité macro-économique. Elle est garantie par l’étatisation de tout ce qui peut être étatisé, avec les matières premières et les ressources naturelles en tête. L’étatisation qui sert d’ailleurs souvent généreusement les intérêts des clans au pouvoir. Enfin, la stabilité politique – demandée aussi bien par la population que par les investisseurs étrangers – et assurée par le contrôle de tous les leviers de l’Etat par les collègues de Vladimir Poutine de l’époque où il travaillait au KGB.

On voit déjà bien que cette stabilité-là prend peu à peu la forme d’un système basé sur un parti unique et peut-être sur un chef unique, appelé «Leader national», indépendant de toutes les institutions constitutionnelles – ce qui pourrait, hélas, mener rapidement aux comparaisons désagréables avec les systèmes créés par les différents Caudillo, Duce, Führer et autres Timoniers ou Pères du peuple.

Peut-on faire confiance à cette Russie-là ? Le quotidien d’opposition Novaïa Gazeta espère que « la conséquence inattendue de ces élections pourrait être de faire sortir progressivement la société russe de son état de sommeil profond, car même une société aussi conformiste peut finir par s’agacer que l’on essaye à nouveau de la forcer à marcher au pas ».

Un vœu sympathique, mais plutôt un vœu pieux. Les réformes attendues il y a quinze ans ont peu de chances de démarrer dans un avenir prévisible. Comme disait Alexis de Tocqueville, « le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer ». Vladimir Poutine doit être un lecteur assidu de cet auteur.

Selon le Kremlin, Nicolas Sarkozy a appelé ce lundi Vladimir Poutine pour le féliciter, au lendemain de la victoire de son parti aux élections législatives en Russie.

Tour d'horizon des réactions internationales

« C'est à Berlin que l'on est le plus clair : ces législatives n'ont été ni libres, ni équitables, ni démocratiques tranche un porte-parole du gouvernement. »

03/12/2007 par Patrick Adam

L'Europe dénonce un scrutin inéquitable

« Pour l'OSCE ces élections marquent un pas en arrière dans le développement démocratique en Russie. »

03/12/2007 par Thierry Parisot

Luc Van den Brande

Chef de la mission d'observation pour le Conseil de l'Europe

« Il faut se questionner sur le pluralisme démocratique des partis politiques qui participent aux élections. »

03/12/2007 par Dominique de Courcelles

Pierre Lorrain

Ecrivain, spécialiste de la Russie

« Je crois que c’est un homme qui a suffisamment de dimension, de sentiment de lui-même, de son importance, pour dire : 'J’ai pris la Russie dans un état déplorable (...), aujourd’hui, elle compte sur la scène internationale'. »

03/12/2007 par Philippe Lecaplain

Les élections législatives russes.(Photo : Reuters/Montage : L. Mouaoued/RFI)