Article publié le 04/12/2007 Dernière mise à jour le 04/12/2007 à 14:07 TU
RFI : Le président Sarkozy reconnaît l’injustice du système colonial disons en général, et notamment, en Algérie. Est-ce que c’est nouveau de sa part, d’un homme comme lui ?
Marc Ferro : Ce qui est nouveau, c’est de l’avoir dit en tête, tout de suite, sans hésitation. Et deuxièmement de l’avoir dit en Algérie, alors que cela aurait pu être tenu de façon plus flou et anonyme. Par conséquent, c’est effectivement une nouveauté.
RFI : Il reconnaît cette injustice mais pas la repentance, n’est-ce-pas ?
Marc Ferro : Non, mais l’injustice est quand même quelque chose qui est à l’origine de tout ce qui a pu se produire. N’oublions pas qu’en Algérie par exemple, mes élèves me répétaient souvent, « Monsieur, vous nous conduisez à la gare, mais on ne peut jamais prendre le train ! ». D’autre part, jamais les Algériens, les Arabes ne montaient dans l’échelle sociale. D’autre part, ils étaient victimes constamment d’humiliation, lorsqu’on truquait les élections devant leur nez, etc… Donc cela, c’était vraiment ce qui a été à l’origine de l’explosion.
La repentance, c’est tout à fait autre chose, parce que d’une certaine façon, ceux qui sont en partie responsables de ces injustices, c'est-à-dire l’Etat français bien-sûr, mais aussi les Européens d’Algérie, ils ont payé très cher, ils sont tous partis. Et en quelque sorte, leur repentance s’est commise par des actes.
RFI : Mais est-ce que l’on peut tout de même, comme le fait le président français « renvoyer aux horreurs et aux victimes, des deux côtés », dit-il. Il insiste chaque fois sur les deux côtés. Est-ce que cela peut suffire à satisfaire, côté algérien ?
Marc Ferro : Cela ne suffira jamais à satisfaire. Quand il y a du ressentiment, il y a tout juste une survie qui ne s’efface jamais. Regardez les juifs et les chrétiens ; en Pologne, en 1940, on tue des juifs parce qu’ils ont tué Jésus. Donc, jamais, cela ne s’efface. Mais cela peut s’amortir. Cela peut se réduire, se diminuer. Et il y en a des traces. Rappelez-vous il y a deux ou trois ans, quand Chirac a été en Algérie, cela a été l’enthousiasme. Ce qui prouve qu’une grande partie des populations algériennes n’a pas une vision seulement noire de la présence française.
RFI : Pourquoi cette exigence algérienne répétée de cette question, de cet acte, de ce rituel même de la repentance ?
Marc Ferro : Disons qu’en Algérie, il y a eu une islamisation très forte à partir de Boumediene et que les nationalistes du FLN, qui à l’origine, étaient plutôt laïcs et même complètement -je les ai connus, donc je puis en témoigner- ces nationalistes donc ont été peu à peu islamisés et que le pays s’étant radicalisé de ce côté-là, les exigences du point de vue de l’ancien adversaire se perpétuent de plus en plus « raides ».
RFI : Mais, est-ce que ce genre d’exigences peut être porté également par la jeune génération, qui n’a rien connu de tout cela, et pour qui cela pourrait paraître des querelles vraiment relativement lointaines ?
Marc Ferro : Excusez-moi, mais la jeune génération est parfaitement au courant et même peut-être plus que l’ancienne, si je puis dire, des données de ce qu’a été la conquête et de ce qu’ont été les guerres. Et puis, aujourd’hui en France, des générations qui n’ont absolument pas connu la Révolution française, se disputent encore sur la Vendée.
Par conséquent, ce n’est pas un problème de génération, c’est un problème de survivance de rancœur. Et de ce côté-là, il y aura toujours des secteurs de la société algérienne, mais il ne faut pas oublier française aussi, dans la mesure où les pieds-noirs n’ont pas oublié non plus qu’ils ont été chassés de ce pays, qui seront habités par la rancoeur.
RFI : Qu’est-ce que l’historien que vous êtes, pense de l’accès aux sources, de la connaissance que l’on peut avoir, de ce qu’a été la colonisation avant et la « récente » guerre d’Algérie ensuite ?
Marc Ferro : Plus on la connaîtra des deux côtés, ensemble, et plus le ressentiment s’effacera. De nos jours, comme vous le savez, il y a énormément de réunions entre historiens français et algériens. Il y a même un livre fait en commun, que vous connaissez, par Benjamin Stora et Mohammed Harbi sur la guerre d’Algérie. C’est un exemple, mais il y en a d’autres. Et ces milieux pourtant restreints, un peu comme en France, les Français et les Allemands, quand ils ont discuté ensemble du passé de leurs deux pays, eh bien, ces petits ensembles d’historiens, de colloques, finissent quand même par faire tomber les barrières.
Entretien réalisé par Philippe Leymarie de RFI