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Afrique du Sud

L’ANC ne sortira pas indemne du duel Zuma-Mbeki

par Valérie Hirsch

Article publié le 15/12/2007 Dernière mise à jour le 16/12/2007 à 08:39 TU

Le congrès de l’ANC vient de s’ouvrir ce dimanche à Polokwane, dans le nord du pays. C’est la première fois, depuis 1949, que deux candidats s’affrontent pour la tête du parti : le président sortant, le chef de l’Etat Thabo Mbeki, qui aspire à un troisième mandat de cinq ans, et le vice-président de l’ANC, le très populaire Jacob Zuma. Reportage dans un township de Johannesburg.

Les partisans de Thabo Mbeki prient pour leur président. Le Congrès national africain doit élire sa nouvelle direction ce lundi 16 décembre 2007. 

		(Photo : Reuters)
Les partisans de Thabo Mbeki prient pour leur président. Le Congrès national africain doit élire sa nouvelle direction ce lundi 16 décembre 2007.
(Photo : Reuters)

« Thabo Mbeki a détruit notre démocratie ! Mandela, on l’a souvent vu. Mais lui, jamais en dix ans de pouvoir ! Il est temps qu’il retourne en Angleterre (ndlr – où Mbeki a fait une maîtrise en économie). Même si je suis Xhosa comme Mbeki, je préfère le Zoulou (Jacob Zuma) ! ». Theo, 26 ans, vit à Alexandra, un township surpeuplé et misérable au nord de Johannesburg. Comme beaucoup, il estime que même si Zuma n’a pas fait d’études, il sera un meilleur leader que Mbeki, l’intellectuel solitaire et élitiste, auquel le peuple a du mal à s’identifier. Pourtant, le chef de l’Etat n’a pas à rougir de son bilan économique : depuis huit ans, le pays connaît une croissance sans précédent et il a fortement augmenté les allocations sociales (1,7 milliard d’euros par an).

A Alexandra, les habitants disposent d’un réseau moderne d’électricité, d’un nouveau poste de police et de nouveaux quartiers de maisons sociales, bordés d’un parc. Mais, mauvaise gestion ou corruption, le budget spécial alloué au township a été en grande partie dilapidé et les bidonvilles n’ont pas tous disparu : « Cela fait dix ans que je suis sur une liste d’attente », explique Jane Dlamini. Cette femme de ménage vit dans un taudis de 9 mètres carrés, où il y a tout juste la place pour un grand lit - qu’elle partage avec sa fille de 25 ans - une commode et un réchaud. « Mes deux grands fils dorment par terre et il n’y a qu’une toilette pour six familles ». Un seul de ses enfants a un emploi, « mal payé », dans un restaurant de Sandton, le centre des affaires en plein boom, avec ses luxueux immeubles de bureaux et d’appartements, où la nouvelle bourgeoisie noire étale sa richesse. Le contraste saisissant entre les deux quartiers, distant de quelques kilomètres, n’a pas diminué depuis la fin de l’apartheid, au contraire.

Changer, mais pas trop

Comme beaucoup d’autres, Jane espère que « Msholozi » (le nom de clan de Zuma) améliorera la vie des pauvres et des chômeurs (environ 40% de la population). C’est aussi l’espoir du parti communiste et du syndicat Cosatu, alliés à l’ANC, qui ont joué un rôle déterminant dans l’ascension du leader zoulou. « Malgré les programmes de lutte contre la pauvreté, une frange importante de la population se sent toujours marginalisée », constate Jeremy Cronin, le secrétaire général adjoint du parti communiste. Soucieux de ne pas effrayer les milieux d’affaires, le vice-président de l’ANC affirme qu’il n’est pas là « pour changer radicalement le monde mais nous serons plus sensibles aux besoins de nos communautés ».

La ville d'Alexandra, en Afrique du sud.(Photo : Valérie Hirsh)

La ville d'Alexandra, en Afrique du sud.
(Photo : Valérie Hirsh)

A Alexandra, Zuma ne fait toutefois pas l’unanimité. Nombreux sont aussi ceux que le comportement passé du candidat inquiète : « Un leader devrait être un exemple pour tous !, pense Nhlamulo Mhlongo, un chômeur de 24 ans. Il a été impliqué dans trop de scandales ». Une nouvelle inculpation du vice-président de l’ANC n’est d’ailleurs pas exclue. Et même s’il a été acquitté du viol d’une jeune femme séropositive, il a reconnu avoir eu des rapports non protégés avec elle. « Beaucoup de femmes ne l’aiment pas », confie Phumzile Baloyi, 38 ans, qui tient une échoppe dans la rue.

Un féminisme mal digéré

En revanche, le leader zoulou peut compter sur le soutien des hommes qui n’ont pas digéré le féminisme de Mbeki. « Dans notre culture, un homme doit être le chef ! », souligne Bongani Dlamini, un lycéen d’Alexandra. Or le chef de l’Etat veut qu’une femme, (la ministre des Affaires étrangères Nkosazana Dlamini-Zuma… ex-épouse de Jacob Zuma) lui succède en juin 2009. Il espère aussi que ce congrès adoptera un quota de 50% de femmes au sein du parti. Mais pour Zwelinzima Vavi, le secrétaire général de la Cosatu et l’un des plus fervents partisans de Zuma, « ceux qui veulent ce quota sont des coureurs de jupons »….

Les conceptions très traditionnelles de ce polygame de 65 ans, père de 17 enfants, n’ont pourtant pas empêché la Ligue des femmes de l’ANC de se ranger, à une courte majorité, derrière lui. Le leader zoulou estime aussi qu’il faut « faire des lois en accord avec les enseignements du Seigneur » et que l’union civile des homosexuels (légalisée en 2006) est « une disgrâce pour le pays et Dieu ». Il a même promis un référendum sur le rétablissement de la peine de mort. Son populisme et son conservatisme inquiète tous ceux qui craignent que l’ANC abandonne ses valeurs éthiques et progressistes. Quel contraste avec un homme comme Nelson Mandela !

L'ANC n'a jamais été aussi divisé

Mais l’ANC a déjà bien changé sous la présidence de Mbeki, caractérisée par un énorme développement de la corruption, parfois protégée au plus haut niveau (comme dans le cas du chef de la police Jackie Selebi, toujours en poste alors qu’il est sous le coup d’une enquête judiciaire pour ses liens avec des mafieux). « Zuma n’est pas le seul à être corrompu. Beaucoup de membres de l’ANC ont abusé de leur position pour s’enrichir », affirme Sheila Meintjes, politologue à l’université de Johannesburg. La bataille pour le pouvoir est aussi devenue une course aux contrats.

Dans une interview au Mail and Guardian, Thabo Mbeki reconnaît que le parti n’a jamais été aussi divisé :  « Si l’élection conduit à la revanche, cela détruira l’ANC ». Pour le chef de l’Etat, qui accuse Zuma d’avoir mené une campagne de désinformation à son encontre, les « valeurs d’honnêteté » de l’ANC sont aujourd’hui menacées. « La grande majorité des gens ne s'intéresse pas à qui danse le mieux », dit-il, en faisant référence au talent de Zuma. Dans un dernier effort pour essayer de renverser les pronostics favorables à Zuma, le président et son entourage ont mené une contre-offensive pendant toute la semaine, en monopolisant les ondes de la SABC (radio et télévision publique).

Lundi, on devrait être fixé : les 4 075 délégués éliront, à bulletin secret, le président de l’ANC. « La première tâche du nouveau président sera de rétablir l’unité du parti, conclut Meintjes.  Mais Zuma est un excellent médiateur, comme il l’a prouvé en ramenant la paix au Kwazulu-Natal. Je ne crois pas qu’il faille vraiment s’inquiéter ».

A écouter

Gougou Mtetoi

Déléguée de l'ANC pour le Kwazulu Natal

« Zuma est le bon candidat. Lui vient d’une zone rurale, de ces zones désavantagées, donc il est mieux renseigné...»

16/12/2007 par Nicolas Champeaux