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Somalie

Mogadiscio, lutte quotidienne pour la survie

Article publié le 18/12/2007 Dernière mise à jour le 18/12/2007 à 11:08 TU

Selon les Nations unies, 600 000 personnes ont fui la capitale somalienne depuis le début de l’année, dont 100 000 après les combats de début novembre. La plupart vivent aux alentours dans des camps de fortune, le long de la route d’Afgoye à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de la ville, ou à Daynile au nord-ouest. Ceux qui restent, gardent leur maison dans la crainte de se faire piller tous leurs biens. Au jour le jour, les habitants luttent pour leur survie dans une ville fantôme.

De notre envoyée spéciale à Mogadiscio, Stéphanie Braquehais 

Fatouma Abdoulaye, 26 ans, a choisi de rester à Mogadiscio.(Photo : Stéphanie Braquehais / RFI)

Fatouma Abdoulaye, 26 ans, a choisi de rester à Mogadiscio.
(Photo : Stéphanie Braquehais / RFI)

Deux femmes sont assises sur une natte devant une maison en tôle. Un enfant est allongé, il dort à poings fermés, enroulé dans une couverture. Fatouma Abdoulaye Hadji, 26 ans, prépare le repas de la mi-journée. Elle n’a pas quitté Mogadiscio, comme la plupart de ses voisins du quartier Scibix dans le sud-est de la ville. Si elle est relativement éloignée de Bakara où des échauffourées ont lieu au quotidien, elle ne s’estime pour autant guère en sécurité. Ce qui la fait rester ? « Il y a toujours le risque des obus, on ne sait jamais, mais ici c’est quand même un peu plus calme. Et puis, si je pars à Afgoye comme tout le monde, je sais qu’on va me voler le toit, les murs, les nattes et les quelques meubles qu’il me reste », lâche-t-elle avec fatalité, en glissant un regard en coin aux gardes du gouvernement de transition qui nous accompagnent. Elle préfère omettre de préciser qui pourraient être les auteurs de ces méfaits.

Dans une ville ravagée par la guerre civile depuis dix-sept ans, qui vit la plus grave crise humanitaire depuis janvier dernier, les habitants qui ont choisi de rester, se cachent dans les rares quartiers encore pacifiés, évitent de circuler durant la journée et s’imposent un couvre-feu à la tombée de la nuit. Sans Etat, les services publics sont pris en charge par des particuliers, comme à Médina dans le sud de la ville où Hirsi Oumar s’est procuré trois générateurs de 270 Kilowatts, a fait creuser un puits, et procure de l’eau et l’électricité à près de 1 000 foyers, pour 0,8 dollar le Kilowatt et 0,5 dollar le mètre cube d’eau.

Sans payer de taxes, le commerce est plutôt fructueux. Grâce à cette électricité, sa voisine, Fatma Mayor Mohamed, 45 ans, 8 enfants, a acheté un grand four à pain est s’est imposée comme la boulangère du coin, même si les clients se font de plus en plus rares. « Depuis le début du mois de novembre, beaucoup de gens sont partis, j’ai parfois du mal à joindre les deux bouts, car les tarifs sont quand même assez élevés ». Elle se tourne vers Hirsi Oumar, un peu embarrassée, puis s’empresse de rajouter : « mais je suis une bonne cliente, alors on me fait des prix ».

Des populations déplacées et en colère

Vers la sortie nord de la ville, à une dizaine de kilomètres, des camps de fortune s’étendent à l’infini. A Daymarudi, plus de 30 000 personnes vivent sous des tentes en tissus et se sont résignés à attendre l’aide humanitaire. Un comité de commerçants s’est constitué pour tenter de venir en aide à ces populations. Aisha Osmane Sahour, présidente de ce comité s’insurge tout à la fois contre la communauté internationale et les Nations unies, qui, dit-elle, ne se montrent pas là où les gens ont réellement besoin d’aide. « Personne n’est venu faire la moindre évaluation, pas un sac de maïs ou de riz n’est parvenu jusqu’à nous. Les gens meurent tous les jours ici », tonne-t-elle, sans pour autant donner un chiffre sur cette mortalité.

Des populations déplacées des quartiers de Bakara.(Photo : Stéphanie Braquehais / RFI)

Des populations déplacées des quartiers de Bakara.
(Photo : Stéphanie Braquehais / RFI)

En réalité, l’aide humanitaire relève de la gageure dans cette zone peuplée de milices indépendantes et d’insurgés qui se cachent le jour lorsque les Ethiopiens patrouillent et rentrent la nuit pour y dormir. Début novembre, des policiers ont volé un stock entier de nourriture et de bâches en plastique. La population est prise en étau entre les insurgés qui se dissimulent parmi elle et les troupes du gouvernement de transition.

Ali Mohamed, 38 ans était porteur d’eau à Mogadiscio, il a fui il y a un mois le quartier Black Sea, situé aux abords de Bakara. « Nous en arrivons presque à regretter le temps des seigneurs de guerre, au moins chacun avait sa zone d’influence. Au temps des tribunaux islamiques, la paix était revenue, pour nous ça a été une occasion en or, qui a été détruite du jour au lendemain. Les gens qui résistent à l’occupation ont raison, nous les soutenons », affirme-t-il. S’il les soutient, pourquoi ne va-t-il pas rejoindre les rangs de la résistance armée ? Le visage d’Ali Mohamed se fige, il hésite à répondre. « Non… Vous savez, moi j’ai des enfants, je dois m’occuper de les nourrir ».

Ubah Sharif, jeune femme de 28 ans, prend aussitôt la parole. « Tout est de la faute d’Abdulahi Yusuf [président du gouvernement de transition], explose-t-elle, c’est lui qui a fait venir les Ethiopiens, c’est cela qui le rend fort et qui lui permet d’imposer les Darods au pouvoir [les Darods, famille de clan venue principalement du nord de la Somalie au Puntland]. Mais s’il était tout seul, nous, les Hawiye, [clan majoritaire à Mogadiscio] nous serions capable de nous battre, nous savons le faire depuis 17 ans ».