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Thaïlande

Législatives : lendemains compliqués

par Georges Abou

Article publié le 24/12/2007 Dernière mise à jour le 24/12/2007 à 18:44 TU

Samak Sundaravej, dirigeant du Parti du pouvoir du peuple, en conférence de presse à Bangkok, le 23 décembre 2007.(Photo : Reuters)

Samak Sundaravej, dirigeant du Parti du pouvoir du peuple, en conférence de presse à Bangkok, le 23 décembre 2007.
(Photo : Reuters)

La composition de la nouvelle Assemblée thaïlandaise est un désaveu pour les militaires et un succès pour le Parti du pouvoir du peuple (232 élus) à qui il ne manque que neuf sièges pour obtenir la majorité absolue. Le parti proche de l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra a conservé son électorat du nord du pays et le soutien de la paysannerie, tandis que le Parti démocrate (165 sièges) a conforté son assise dans la capitale et au sein de la classe moyenne. L’un de ces deux partis dominants devra donc composer une équipe de coalition avec un certain nombre d’autres petits partis, parmi les 5 autres qui disposent d’élus. Le scrutin s’est déroulé sans incident. La participation a dépassé les 70%. Mais, quinze mois après le putsch, la nouvelle situation politique ne garantit pas la stabilité du pays.

Les Thaïlandais ont voté et ils ont choisi de ne pas donner de majorité incontestable à leur Assemblée législative. Compte tenu de la fragilité de la situation politique depuis le coup d’Etat militaire de septembre 2006 de la mise à l’écart de l’ancien Premier ministre et du résultat des élections, loin de clarifier la situation le scrutin semble au contraire embarquer plus profondément encore la Thaïlande vers un océan d’incertitudes. Au lendemain du vote, en effet, Thaksin Shinawatra, paria de la vie politique nationale, quasi banni, contraint à l’exil, menacé par la justice de son pays, s’impose comme une figure décidément incontournable de la vie politique thaïlandaise à l’occasion du come-back de ses amis par la grande porte : celle des urnes.

Les électeurs ont donc choisi de désavouer l’armée, et ses projets d’installer une direction alternative à la tête du pays, pour plébisciter le Parti du pouvoir du peuple (PPP) proche de l’ex-Premier ministre. Le PPP, à qui il ne manque que 9 voix pour détenir la majorité absolue au Parlement, est désormais conduit par Samak Sundaravej. Avec ses 232 élus (sur 480 députés), ce dernier revendique la victoire et, fort des ralliements de petits partis, annonce sa disponibilité à constituer et diriger le prochain gouvernement de coalition.

Samak Sundaravej ne fait pas mystère de sa filiation politique : il roule pour l’ancien chef du gouvernement Shinawatra et le proclame. Il promet de relancer l’économie en appliquant un programme libéral. Mais, à 72 ans, Samak Sundaravej est aussi un personnage controversé des allées du pouvoir thaïlandais. Ancien chef de milice, ancien député, ancien ministre et vice-Premier ministre, ex-gouverneur (de Bangkok), son parcours évoque un solide compagnonnage avec l’extrême droite. Après avoir été longuement associé aux militaires, il s’en est éloigné au moment de la déposition de son nouvel ami Thaksin Shinawatra. Le nom du leader du PPP est également cité lors de massacres d’étudiants (1976), de la répression contre des manifestations en faveur de la démocratie (1992) et il fait l’objet d’une enquête pour corruption lors de son mandat à la tête de la mairie de Bangkok (2000).

Alliances fragiles

On s’achemine donc vers un duel entre les deux principales formations, Parti démocrate (165 sièges sur 480) et PPP, qui vont maintenant se disputer les soutiens des petits partis qui ne manqueront pas de faire monter les enchères. Compte tenu des mauvaises relations entre le PPP et l’armée, on estime que la préférence des militaires va sans doute au Parti démocrate pour former le futur gouvernement de coalition. Mais, compte tenu de sa faiblesse par rapport au PPP, il ne pourra réunir qu’une alliance fragile à la pérennité douteuse. Au lendemain du scrutin, le PPP est serein. Si ce scrutin est validé, il dispose de la légitimité des urnes et demeure le mieux placé pour former la nouvelle équipe. Son Secrétaire général Sura Pong annonce qu’il va « attendre que la commission électorale ratifie le résultat des élections au mois de janvier. Et lorsque ce résultat sera ratifié, le gouvernement pourra être formé ».

Car, pour l’heure, rien n’est encore définitivement joué. Parmi les incertitudes qui planent sur l’avenir politique du pays, il faut compter avec les délais et les plaintes. Le Parlement dispose d’un mois pour désigner le gouvernement le plus représentatif de la nouvelle Assemblée, et se mettre au travail. C’est au cours de cette période que la Commission électorale va examiner les quelque 750 plaintes enregistrées à l’issue du scrutin, dont certaines déboucheront peut-être sur des invalidations.

C’est donc concrètement à partir du mois de février que le PPP pourra, éventuellement, mettre en œuvre sa politique et travailler au retour de Thaksin Shinawatra, dans le cadre d’une loi d’amnistie, selon la proposition formulée par M. Samak. Mais quelle place lui laisserait-on ? Ne pourrait-il pas à son tour s’avérer encombrant pour ses propres amis ? Thaksin Shinawatra, racheteur du club de football britannique Manchester City cet été, a été condamné au mois de mai dernier à cinq ans d’interdiction d’activités politiques par un tribunal mis en place par la junte et devant lequel il répondait des accusations de « fraude » et « corruption ». Son retour au pays pourrait également constituer un épisode propice à raviver les tensions.

Sous le regard de l’armée

Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’éventualité d’une nouvelle aventure conduite par les militaires. Ces derniers, qui ne sont pas neutres comme l’ont montré les événements, ne manqueront certainement pas d’intervenir à chaque étape du processus pour favoriser telle ou telle option. Mais, d’ores et déjà, l’armée a anticipé l’épreuve. A quelques jours du rendez-vous électoral le 20 décembre, à la veille de la dissolution du Parlement sortant, elle a verrouillé la situation en lui faisant adopter la « loi sur la sécurité nationale ». Il s’agit d’une série de mesures visant à élargir son contrôle et ses capacités d’intervention sur la vie publique, au cas où. Désormais, sans avoir besoin de recourir à des moyens extra-constitutionnels, ils peuvent de leur propre initiative décréter le couvre-feu, restreindre les libertés de mouvement, détenir sans jugement pendant plus de six mois, restreindre l’accès aux médias électroniques, s’opposer aux décisions de l’exécutif en cas de menaces sur la sécurité nationale. Les centaines de manifestants rassemblés à l’extérieur du Parlement n’y ont rien fait : selon l’un des opposants cité par l’agence Associated Press, « la loi va autoriser les militaires à contrôler la situation si les événements leur échappent ». De son côté le général Sonthi Boonyaratglin, auteur du putsch de 2006, a tenu à rassurer : « Si le PPP remporte les élections et dirige une coalition, tout se terminera pacifiquement. Je suis convaincu que les choses changeront sans le moindre chaos ».

Pragmatiques, les milieux d’affaires ne manifestent aucun enthousiasme. Le problème de la stabilité est centrale pour l’activité et, sur cette question, le doute persiste. Au cours de ces prochains mois, on peut miser sur un débat politique particulièrement vif et « on ignore de quelle manière le prochain gouvernement peut unifier un pays divisé et mettre en place des politiques économiques », déclare le vice-président de la Fédération des industries thaïlandaises. Dans ces conditions, les opérateurs économiques ne prédisent pas une croissance au-delà de 4,5% pour 2008. C’est honorable, mais faible pour la région.