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Thaïlande

Audiovisuel : l’armée et l’Etat, seuls maîtres à bord

par Georges Abou

Article publié le 15/01/2008 Dernière mise à jour le 15/01/2008 à 17:31 TU

Il n’y a plus de programmation indépendante au sein des chaînes de télévision en Thaïlande après la mise sous tutelle de ITV. Effective ce 15 janvier, la décision avait été prise en mars 2007, date du passage de ITV sous le contrôle de l’Etat. C’est le dernier règlement de compte contre « l’héritage Thaksin » qui vient d’avoir lieu, juste avant le transfert définitif du pouvoir au nouveau Parlement élu.

Des salariés de la télévision thaïlandaise ITV, rassemblés dans les locaux de leur chaîne en mars 2007.(Photo : AFP)

Des salariés de la télévision thaïlandaise ITV, rassemblés dans les locaux de leur chaîne en mars 2007.
(Photo : AFP)

Mardi, la Thaïlande est retournée à l’orthodoxie en matière d’audiovisuel. Les documentaires sur la famille royale ont définitivement remplacé les émissions de télé-réalité. L’autorité de tutelle déclare que les nouveaux programmes s’inspireront de modèles incontestables, comme ceux de la radiotélévision britannique BBC. Et la nouvelle mission de ITV sera élaborée dans la perspective de « forger le moral et l’éthique de la nation », déclare la ministre Dhipawadee Meksawan, chargée du dossier auprès du chef du gouvernement.

Règlement de compte

C’en est donc fini de la télévision commerciale en Thaïlande : ITV retourne dans le giron du « service public ». C’est une nationalisation qui a pris effet ce mardi et, dans le contexte thaïlandais, la décision fait figure de « mise au pas » d’un ancien élève turbulent. Ou plutôt, de « règlement de compte » définitif. Car ce contentieux entre la télévision et les autorités thaïlandaises est ancien. Non seulement en raison de la tentation autoritaire qu’entretient chaque pouvoir à l’égard des médias de son pays, comme un vieil et traditionnel antagonisme, mais également car, en l’espèce, ITV passe pour une créature de l’ancienne administration de l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra qu’elle a soutenue pendant cinq ans.

Concrètement, la liquidation de ITV est programmée depuis mars 2007, suite à la révocation de la concession qui lui avait été accordée pour trente ans, en 1995, et à une amende impayée de 2 milliards d’euros. ITV est alors rebaptisée Thailand-Independent Television (TiTV). La décision provoque un tollé parmi le personnel, les téléspectateurs et les organisations de défense de la presse. Tant et si bien que les autorités diffèrent la reprise en mains du média, indiquant que les « changements de programmation, de personnel et de salaires (qui) sont à prévoir […] ne seront pas effectués tout de suite ». Et, jusqu’ici, aucune intervention n’avait perturbé la diffusion des programmes commerciaux ordinaires. Jusqu’à ce 15 janvier.

Aujourd’hui, après l’annonce de la liquidation de la chaîne, l’inquiétude est vive parmi les quelque 800 salariés dont une partie se fait, légitimement, du souci sur son avenir.

Dernier verrou institutionnel

Il n’est certainement pas innocent que ce dernier épisode du bras de fer politique entre les militaires et civils s’accomplissent aujourd’hui. En effet, le temps est compté : en principe, suite aux élections générales du mois dernier, le nouveau Parlement élu devrait reprendre les affaires en mains dans les semaines qui viennent et les alliés de M. Shinawatra, sauf rebondissements judiciaires, dirigeront le prochain gouvernement thaïlandais.

Cette dernière manifestation de nettoyage du paysage audiovisuel thaïlandais survient donc dans un contexte d’ultime vérification des verrous institutionnels que les militaires ne veulent manifestement pas abandonner.

Reste ce paradoxe de la vie publique thaïlandaise : ITV, que pleurent aujourd’hui les défenseurs de la liberté de la presse, a été à l’évidence un outil médiatique au service d’une classe politique affairiste au moins, corrompue peut-être. Avec ses déclinaisons locales des émissions de télé-réalité, la chaîne ne compte pas parmi les modèles cités à titre d’exemple en matière de qualité audiovisuelle. Mais les militants attendent de la nouvelle administration qu’elle ne répète pas les erreurs du passé et qu’elle ouvre enfin le paysage audiovisuel thaïlandais au pluralisme en la matière. Car les faits sont incontestables : à dater de ce 15 janvier, c’est l’Etat et l’armée qui maîtrisent la programmation des 6 chaînes de télévision du pays.